Stratégie

Budget IT 2026 : la quadrature du cercle

Budget IT 2026 : la quadrature du cercle
Les budgets IT 2026 sont sous pression : d’un côté, nombre d’organisations veulent freiner leurs dépenses technologiques, de l’autre, les coûts notamment logiciels continuent à progresser rapidement. (Photo : Steve Buissinne/Pixabay)

Contexte économique, tensions à l'international, éditeurs en roue libre sur leurs tarifs... Prévoir le budget de 2026 s'avère plus complexe pour les DSI que les années précédentes. Voici quelques pistes pour se sortir de cet exercice périlleux.

PublicitéPour de nombreux DSI, le budget 2026 sera plus contraint que depuis les dix derniers exercices. Selon une étude d'Experio, un cabinet spécialisé, un gros tiers des responsable IT prévoient un budget en hausse alors qu'un an auparavant, il était neuf sur dix à tabler sur une augmentation de leur budget 2025. Et ce, alors que le contexte géopolitique global et leur direction, souveraineté numérique oblige, les poussent à réduire leur dépendance aux fournisseurs étrangers.

Phénomène moins visible mais peut-être plus important, le changement du mode de tarification pratiqué par la plupart des éditeurs, et pour certains, l'explosion des tarifs compliquent la donne. Les changements de licensing chez VMware illustrent bien évidemment ces dérapages. Selon un rapport d'Elée, un cabinet spécialisé dans les achats logiciels, plus de 80% des éditeurs sont passés d'un mode de commercialisation en licences perpétuelles à une formule basée sur l'abonnement. Côté tarif, toujours selon Élée, les augmentations attendues entre 2025 et 2028 vont de 10 à 15% par an chez les grands éditeurs, une estimation basée sur un suivi détaillé des annonces de ceux-ci et corroborée par le Cigref. « A raison de 15% annuel, le coût des logiciels va doubler en huit ans », souligne Henri d'Agrain, le délégué général de l'association. Dans les budgets IT, ces hausses se traduisent par un 'transferts de fonds' des ESN et cabinets de conseils vers les éditeurs, ce qui freine de nouveaux développements.


Guillaume Geudin, directeur des pôles performance achats chez Elée : « opter pour Copilot de Microsoft fait environ doubler le coût de la licence utilisateur ». (Photo : D.R.)

La musique est connue. Pour justifier ces augmentations allant bien au-delà de l'inflation, les éditeurs mettent en avant l'innovation, en particulier dans l'IA. Illustration parmi d'autres, « opter pour Copilot de Microsoft fait environ doubler le coût de la licence utilisateur », illustre Guillaume Geudin, directeur des pôles performance achats chez Elée. Côté cloud par contre, les prix pratiqués par les hyperscalers « restent stables, voire en légère baisse », assure-t-il. Une bonne nouvelle qui laisse tout de même entière la question des données soumises aux lois extraterritoriales. Dernière grande tendance, l'accroissement des cyberattaques implique la mobilisation de ressources pour la cybersécurité. Au final, l'arbitrage entre les sommes affectées au maintien en conditions opérationnelles, aux nouvelles applications ou fonctionnalités, à la cybersécurité et, désormais, à la souveraineté devient délicat. Dans ce contexte, plusieurs leviers existent tout de même pour maîtriser au mieux les budgets.

PublicitéAugmenter la productivité des développeurs

« La masse salariale et les prestations externes représentent en moyenne respectivement 35% et 25% du budget d'une DSI, le logiciel 23% », détaille Stéphane Roger, vice-président, executive partner chez Forrester France. Or, des gisements d'économies existent sur ces postes. « L'utilisation de l'IA va se traduire par des gains de productivité des développeurs de l'ordre de 15 à 20%, assure Stéphane Roger. Les entreprises sont encore en phase d'apprentissage sur cet usage et ces IA doivent être entraînées avec un patrimoine applicatif conséquent et interne. A ces conditions, les bénéfices concrets commencent à émerger et devraient progresser », ajoute-il, optimiste. Plus classique, l'externalisation des ressources à l'international représente toujours un levier d'économie potentielle important. La limite de l'exercice ? Les DSI sont poussés à « réduire leur dépendance aux fournisseurs étrangers, particulièrement américains et asiatiques, dans des domaines stratégiques comme le cloud, les semi-conducteurs, et les services numériques », explique le Cigref dans un rapport de février 2025.

Suivre les usages et les contrats à la loupe

Dans de nombreuses organisations, des optimisations restent possible sur le portefeuille applicatif à condition de suivre les usages et les contrats à la loupe. Souvent, les licences sont renouvelées d'une année sur l'autre sans vérifier si elles correspondent toujours vraiment aux besoins, et à leurs évolutions. Guillaume Geudin d'Élée insiste : « C'est un travail de fourmi, mais qui peut être au moins partiellement automatisé. Par exemple, via un antivirus qui va pouvoir remonter certains usages. Attention, cela a un coût de l'ordre de 3 à 4% du budget logiciel. » Ce suivi va permettre de décommissionner des applications pas ou peu utilisées, de contrôler le shadow IT et de donner des arguments pour négocier ou renégocier avec les éditeurs. Les gains potentiels dépassent souvent largement l'effort à consentir. Pourtant, « les organisations françaises restent faiblement outillées, contrairement à leurs homologues en Suisse par exemple », regrette-il.


Stéphane Roger, vice-président, executive partner chez Forrester France : « L'utilisation de l'IA va se traduire par des gains de productivité des développeurs de l'ordre de 15 à 20% ». (Photo : D.R.)

Parallèlement aux usages, les contrats eux-mêmes doivent être passés à la loupe. Les entreprises françaises sont souvent victimes d'une certaine négligence dans la contractualisation avec les éditeurs, qui reste trop souvent dépendante du droit américain. Autre risque, les clauses de sortie et de réversibilité, parfois peu détaillées dans les contrats. A condition de s'appuyer sur le droit français dans les contrats, les entreprises pourront s'appuyer sur la loi SREN. « Le Data Act (entrée en vigueur le 12 septembre, NDLT) et la SREN transposant le Data Act organisent une obligation de transférer les données pour les hébergeurs, avec une interdiction de frais de réversibilité trop élevés », explique Alexandre Diehl, avocat spécialisé.

Renégocier régulièrement

Si ce n'est pas l'habitude en France, renégocier en cours de contrat peut aider à limiter l'inflation du logiciel, surtout grâce au suivi des usages, mais aussi en s'informant sur son fournisseur. « Connaître les dates de fin de l'exercice fiscal de son fournisseur, par exemple, est un plus », souligne Stéphane Roger. Même son de cloche pour le Cigref qui préconise d'adopter une pratique de « Know Your Supplier ». Sur le terrain, nombre d'entreprises se sont tout de même organisées pour mieux négocier. Une tâche qui nécessite une bonne coopération entre les achats, les chargés du Software Asset Management (SAM), les DSI et les responsables applicatifs.

Responsable achats de la mutuelle Aesio, Mélinda Devaux explique : « nous avons recensé tous les logiciels, tous les usages et tous les contrats et nous nous sommes concentrés sur les éditeurs représentant 80% des dépenses. Ce qui a permis de réduire d'un tiers le nombre de licences. Les tarifs ont été conservés contre un engagement passé de 2 à 5 ans. » Pour négocier au mieux, la mutuelle pratique le "early commit". « Nous renégocions longtemps avant la date de fin du contrat et aussi en fonction du moment où nous aurons le plus de poids, peu avant la présentation des résultats aux actionnaires chez les éditeurs américains par exemple », ajoute-elle. Ces renégociations peuvent être également l'occasion « de réaffecter des licences pas utilisées à de nouvelles versions », ajoute Guillaume Geudin. Ou encore, de revendre des licences perpétuelles sur le marché de l'occasion en passant par des spécialistes comme Softcorner.

D'autres organisations ont été un peu plus loin. Pour baisser les coûts récurrents liés à la maintenance, la filiale Corporate and Investment du Crédit Agricole a envoyé des courriers à ses fournisseurs de logiciels. « Nous leur avons proposer de trouver eux-mêmes des leviers pour abaisser l'addition, en limitant par exemple le niveau de service sur un applicatif peu utilisé. Ce qui a permis de passer de 20 à 18% les coûts de maintenance dans certains cas, soit 10% d'économies », décrit Antoine Trentesaux, responsable achats IT & services dans la banque.

L'option tiers mainteneur

Autre gisement d'économies substantielles, pour les applications critiques : garder ses licences perpétuelles et basculer sur un tiers mainteneur. La démarche est toutefois plus à manier avec circonspection. « C'est un choix envisageable notamment quand l'outil en production répond à 100% des besoins. Opter pour cette alternative suppose une stratégie à long terme avec un engagement des directions générales », souligne Bernard Cottinaud, chargé de mission stratégie à l'USF, le club francophone des utilisateurs SAP. D'autres conditions doivent être réunies : pérennité du tiers mainteneur, besoins d'évolution, cybersécurité... Le marché évolue sur ces aspects. Exemple, une offre de support autour de VMware se développe.

Cloud hybride d'abord

Pour le cloud, la mise en place d'une démarche Finops permet de générer jusqu'à 7% d'économies par an, d'après Elée. Outre le seul facteur prix, le choix d'un hyperscaler devient aujourd'hui plus sensible à cause des lois extraterritoriales et de la manière dont celles-ci sont maniées par l'administration américaine. Un risque de coupure ne peut plus être totalement ignoré. Pour Stéphane Roger, la bonne approche consiste à définir les besoins, en termes de besoins de disponibilité et d'innovation, d'identifier la criticité des applications et d'opter ou non pour un hyperscaler en fonction de ces critères. Aujourd'hui, selon lui, « il s'agit de passer du cloud first à de l'hybride d'abord. Une partie du parc applicatif a vocation à rester on-premise. »

Une démarche qui se décline bien sûr différemment suivant les secteurs d'activité et les réglementations auxquelles ils sont soumis. Pour Jean-Baptiste Courouble, DSI des Urssaf, « l'une des pistes devrait être d'intégrer le facteur souveraineté numérique dans les appels d'offres, à hauteur de 10 à 15%. » Le rapport du Cigref "Géopolitique et stratégie numérique" résume la situation : lors du choix d'un cloud, les aspects sécuritaires et financiers, et parfois le make-or-buy, font l'objet d'études. Mais les questions comme « où se situe le datacenter ? » et « quel est le risque de coupure de connexion entre nos bureaux et ce datacenter ? » sont souvent négligées. Au final, le choix de faire appel à un ou plusieurs hyperscalers dépasse le simple calcul budgétaire, mais devrait reposer sur une analyse de risques.

Le facteur géopolitique

Peut-être plus importante que l'optimisation budgétaire elle-même, et en tout cas plus stratégique, la capacité de la DSI à garder une maîtrise des SI, pas seulement en répartissant ses achats entre plusieurs fournisseurs plus locaux, mais en reprenant en partie la maîtrise de logiciels et/ou des opérations en interne, doit dicter ses choix. Et lui permettre de dépasser une vision court-terme. Le rapport du Cigref souligne que si le 'make' n'est pas toujours nécessaire pour avoir un contrôle total, une « stratégie hybride entre 'make', 'buy' et Open Source peut offrir des avantages dans certains contextes. » Une formulation prudente pour (re)mettre en avant le développement maison et l'Open Source en lieu et place d'offres de fournisseurs.

Pour une DSI, vendre cette alternative à sa direction générale suppose de démontrer que le coût des achats externes, principalement pour les logiciels, dépasse ou dépassera dans les années à venir celui des ressources nécessaires pour développer et maintenir une partie des applications et faire appel à des fournisseurs plus petits. Et prendre en compte le facteur géopolitique dans le choix d'un fournisseur et d'un éditeur en particulier fait désormais partie de l'équation.

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