Pour le luxe, l'IT n'en est plus un

Longtemps réfractaire à l'IT, le secteur du luxe va devoir investir pour faire face à la situation économique et géopolitique. Dans son étude sur le sujet, Bain & Company observe des entreprises encore trop tournées vers la maintenance de l'existant et une innovation uniquement orientée client. Il évoque la nécessité d'investissements en ligne avec la stratégie et le rapprochement entre DSI et DG.
PublicitéPendant longtemps, le secteur du luxe a négligé, voire méprisé, la technologie. Associée dans l'imaginaire à l'automatisation, la mécanisation, la production en série, l'IT était bien trop loin de l'artisanat ou de l'exclusivité dont ses marques se revendiquent. Mais sur un marché où la croissance arrive moins naturellement et dans un contexte économique et géopolitique difficile, ce n'est plus un luxe pour le secteur. Alors que les grands groupes, comme les maisons plus modestes ont pris un certain retard en matière de système d'information face aux autres secteurs économiques, ils comptent désormais s'emparer de la technologie pour optimiser leur activité, mais aussi pour trouver de nouvelles sources de revenus, sans pour autant abîmer leur image. Bien au contraire. Selon la 4e étude annuelle « Luxe et technologie » de Bain & Company, « 85 % des directeurs généraux estiment que la technologie est importante pour la mise en oeuvre de leur stratégie, et 8 % supplémentaires la jugent même critique ». Et pour cela, ils donnent progressivement une place stratégique aux DSI.
Autant de constats qui ressortent de cette 4e étude annuelle menée par le cabinet de conseil Bain & Company avec le Comité Colbert, association historique des maisons de luxe, d'une part par la collecte de mesures factuelles et d'autre part des entretiens individuels avec des DG, DSI, CDO, DAF, etc., du secteur. L'enquête confirme bien que les entreprises européennes du luxe ont peu investi dans la technologie, en comparaison d'autres secteurs d'activité. Elles affectent en moyenne 3,1% de leur CA à l'IT, dans une fourchette qui s'étend de 1,9% à 5,5%. Une faiblesse des investissements qui va de pair avec un faible intérêt porté aux DSI par les directions générales, si l'on en croit Bain & Company. En juillet 2025, seuls 35% siègeraient au comex, contre 50% dans les biens de grande consommation ou 70% dans la mode de masse.
Peu d'innovation, et surtout en front office
Ces faibles dépenses dans l'IT sont moins consacrées à l'innovation, et davantage au maintien en fonctionnement des systèmes en place. Le luxe affecte en moyenne 37% de son CA à l'innovation, comme le fait l'industrie manufacturière, contre 40% dans la distribution par exemple, ou 44% dans la banque de détail. Qui plus est, la majorité (40%) de ce budget innovation est orienté vers des sujets de front office, liés aux clients, comme le marketing, les centres de contact ou le commerce. Le métier proprement ne se voit affecté que 31% des investissements, et la technologie (infrastructure, cyber, data, IA, etc.) seulement 21%.
Mais le contexte économique change la donne. Aujourd'hui, « 60% des maisons prévoient une hausse significative de leurs budgets technologiques dans les 2 à 3 prochaines années », d'après l'enquête. Tout est relatif, puisque le marché mondial du luxe pèse toujours 1500 milliards d'euros dans le monde et pourrait gonfler de 500 à 1000 milliards supplémentaires d'ici à 2030, selon Bain & Company. Mais le secteur est néanmoins quelque peu chahuté depuis le Covid et les diverses crises géopolitiques et économiques mondiales qui ont fortement aplani sa croissance. Ainsi, entre 2019 et 2024, le marché mondial du luxe et celui spécifique des biens personnels de luxe ont continué de croitre respectivement de 3% et de 5%, mais le premier a chuté de 1% à 3% entre 2023 et 2024, et le second devrait même plonger de 2% à 5% entre 2024 et 2025, toujours selon les prévisions de Bain & Company. « Même si cela reste un marché fort, explique Joëlle de Montgolfier, executive vice-présidente de la practice global retail and luxury chez Bain & Company, nous sommes bel et bien dans un contexte où l'on doit serrer un peu les vis et les boulons dans les groupes de luxe ». Une bonne raison pour les grands groupes autant que les maisons indépendantes de regarder de plus près l'optimisation de leur activité, en particulier, avec les technologies.
PublicitéAligner les investissements avec la stratégie
Le luxe souffre en particulier d'un manque d'alignement de ses investissements IT avec ses objectifs commerciaux et stratégiques, selon l'étude. Quand ils ne sont pas soutenus par leur direction générale, 57% des DSI du luxe interrogés dans l'enquête disent ainsi souffrir de l'absence d'une feuille de route claire avec des objectifs précis. Mais même parmi ceux qui ont le soutien de la direction, 43% déclarent manquer d'un soutien clair aux initiatives technologiques. Pour Bain &Company, cela signifie que pour avancer dans leur transformation numérique, les DG du luxe auraient intérêt à « veiller à ce que les priorités de la maison soient transmises aux équipes technologiques de façon suffisamment précise pour être traduites en actions concrètes et intégrées aux processus opérationnels. Éclaircir dès maintenant les zones d'ombre et combler les lacunes d'information pourrait constituer un véritable levier de performance, à l'heure où les défis se multiplient ».
Comme le précise Luca Diomede, partner enterprise technology and retail practices du cabinet, deux sujets majeurs émergent qui demandent l'attention des entreprises du luxe : la simplification d'une infrastructure ancienne et accumulée entre autres au fil d'opérations de croissance externe, et la réintégration de la compétence IT en interne. Celle-ci a en effet été longtemps massivement externalisée. 68% des dépenses d'innovation dans le luxe sont allouées à des prestataires externes, loin devant l'énergie, deuxième avec 61% et les biens de grande consommation avec 59%.
Des DSI plus valorisés et les compétences adéquates
Pour Bain & Company, le secteur du luxe est ainsi poussé à optimiser l'allocation de ses ressources à tous les niveaux de son activité, et pour cela, s'intéresser de près à ses systèmes d'information et surtout les aligner avec sa stratégie. En 4 ans la situation a déjà beaucoup évolué : les DSI sont de plus en plus souvent adoubés par les directions générales, et certains deviennent même des porte-paroles de leur entreprise, et plus généralement, 37% des répondants à l'enquête estiment disposer des compétences technologiques nécessaires à une telle transformation.
Article rédigé par

Emmanuelle Delsol, Journaliste
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