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5 ouvrages pour explorer le monde d'aujourd'hui sous influence numérique

5 ouvrages pour explorer le monde d'aujourd'hui sous influence numérique
Immersion dans la Silicon Valley ; Exploration de son histoire ; Fin du réel : Dangers éthiques de l'IA ; Exploitation humaine derrière les algorithmes. 5 façons de lire la transformation numérique du monde.

En cette période de transition d'une année vers l'autre, CIO a sélectionné 5 ouvrages pour prendre un peu de recul sur la technologie, et l'IA en particulier. Chercheurs en IA et en sciences humaines, leurs auteurs partagent un regard pointu sur une transformation du monde hors normes.

PublicitéQu'il vous manque quelques cadeaux de Noël de dernière minute ou que vous cherchiez l'inspiration dans la lecture pour une fin d'année au coin du feu, CIO a sélectionné quelques ouvrages pour prendre un peu de recul sur le quotidien de DSI. À l'heure où le numérique, avec pour étendard l'intelligence artificielle, joue avec l'éthique, la vérité, la liberté, les sentiments et la conscience humains, etc., ce sont donc des ouvrages de chercheurs en sciences humaines et en IA, que nous vous proposons. Ceux de Laurence Devillers, Fred Turner, Gérald Bronner, ainsi qu'Antonio Casilli et Olivier Alexandre. Un pas de côté salutaire à la faveur du temps de pause que représente la transition d'une année vers une autre. D'une année 2025, chaotique et violente, vers une année 2026 qu'on oserait espérer meilleure.

- L'IA, ange ou démon ? Le nouveau monde de l'invisible, de Laurence Devillers

Chercheuse au CNRS et professeure en intelligence artificielle appliquée aux sciences humaines à Sorbonne université, Laurence Devillers explore depuis longtemps la réalité scientifique et les enjeux des interactions entre humains et IA. C'est ce qu'elle a fait par exemple dans son ouvrage de 2017 « Des robots et des hommes, mythes, fantasmes et réalité ». Mais depuis, l'IA générative a fait une apparition fracassante et s'est répandue dans le grand public et dans le monde professionnel à une vitesse phénoménale. Dans son dernier livre, « L'IA, ange ou démon ? Le nouveau monde de l'invisible », c'est bel et bien son regard de scientifique que Laurence Devillers porte sur les espoirs, les craintes, les fantasmes que la GenAI fait apparaître ou ressurgir. Elle rappelle ainsi à la fois ce qu'est très concrètement l'intelligence artificielle, et ce qu'elle n'est pas ou pas encore. Mais elle souligne aussi ce que la science sait des émotions, et même de la conscience des êtres humains.

A la croisée de ces domaines de connaissance, la chercheuse donne bien un point de vue basé sur la science, quant à la façon dont l'IA transforme, et pourrait encore transformer, l'humain et le monde. Aucun tabou. Pas même celui d'une IA qui puisse justement un jour développer une conscience. Mais c'est uniquement sur la science et ses potentielles évolutions que s'appuie Laurence Devillers pour livrer cette analyse.

Confidente, aimante, consciente, une IA très idéalisée

Derrière un titre un brin provocateur, la chercheuse veut également alerter dans son livre sur l'étendue de ces espérances humaines vis-à-vis de l'IA. Certains internautes, jeunes ou en difficulté avec leur santé mentale par exemple, se confient aux chatbots et cherchent conseil auprès d'eux comme à un psychanalyste. D'autres cherchent l'affection et l'amour directement auprès des IA ou pensent converser avec leurs proches au-delà de la mort. Pour Laurence Devillers, l'enjeu est bien plus que technologique bien sûr, il est éthique et encore trop souvent sous-estimé. Un constat qui lui fait régulièrement alerter sur la nécessité d'une régulation de l'IA sur ces sujets.

Publicité« L'IA, ange ou démon ? Le nouveau monde de l'invisible ». Laurence Devillers aux éditions du Cerf, 2025. 22 €.


- Politique des Machines, de Fred Turner, Richard Barbrook et Andy Cameron

Professeur au département des sciences de la communication de l'université de Stanford, ancien journaliste et professeur au MIT et à Harvard et habitant de la Silicon Valley, Fred Turner est un historien expert de l'évolution des technologies de l'information depuis leurs débuts dans les années 50, et de cette bande de terre californienne qui les a vues fleurir depuis. Observateur de l'intérieur, de ces technologies et de leurs impacts, il est en particulier l'auteur de l'ouvrage « Aux sources de l'utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture : Stewart Brand, un homme d'influence », paru en 2006.

Dans un nouveau livre publié en cette fin d'année 2025, près de 20 ans plus tard, ses deux textes « L'idéologie texane » et « Politique des machines » prolongent cette exploration de l'influence de l'idéologie des hippies des années 60 et 70 sur le numérique de la Silicon Valley et la suivent jusqu'au Texas. Fred Turner décrit ainsi ce nouveau tournant idéologique du secteur qui se traduit par une grande migration des désormais géants du numérique, et de leurs sièges sociaux, depuis leur berceau californien vers cet état conservateur façonné par le pétrole. Exil fiscal et politique, mais aussi signe d'un changement d'attitude de ces entreprises vis-à-vis du monde dont ils tirent en grande partie les ficelles technologiques. Dans le deuxième texte, au titre éponyme de l'ouvrage, « Politique des machines, Internet et le nouvel âge de l'autoritarisme », paru en 2019 dans Harper's Magazine, Fred Turner analyse la mutation de l'idéologie californienne, en particulier avec l'avènement des plateformes. Fidèle à son ancrage dans l'histoire des technologies de l'information, il rappelle les racines à l'étonnante croisée du libéralisme américain de la fin de la 2e guerre mondiale des premiers ordinateurs et des théories libertaires hippies devenues libertariennes. Le tout donnant l'écosystème tech actuel.

De la Californie au Texas, la fin de l'utopie numérique ?

L'ouvrage se termine sur un texte de référence écrit en 1995 sous la présidence Clinton, « L'idéologie californienne » de Richard Barbrook et Andy Cameron, qui met justement en doute à l'aube du XXIe siècle, cette utopie numérique de l'Ouest américain. « L'idéologie texane », le texte de Fred Turner qui ouvre le livre, est écrit en miroir de celui-ci 30 ans plus tard, pointant l'à-propos du document de Barbrook et Cameron. Aujourd'hui partiellement retiré de la recherche, Richard Barbrook est le fondateur de l'Hypermédia Research Center de l'université de Westminster et chercheur sur la régulation des médias. Andy Cameron, décédé en 2012, était écrivain, mais aussi artiste interactif, comme il se décrivait.

« Politique des machines ». Fred Turner, Richard Barbrook et Andy Cameron, en Français chez C&F éditions, 2025. 15 €

- A l'assaut du réel, de Gérald Bronner

« J'aurais pu faire commencer ce livre en 2025 », écrit Gérald Bronner en incipit de son dernier essai A l'assaut du réel. Sauf que, précisément, le sociologue ne se contente pas de tirer sur l'ambulance du trumpisme pour montrer comment le numérique modifie notre perception du réel. Dans son essai regorgeant d'exemples, Gérald Bronner montre combien la technologie fait glisser peu à peu la frontière de la réalité, sur des sujets aussi centraux que la politique, mais aussi les relations amoureuses, avec l'officialisation de relations avec des créatures fictives, ou la mort, avec la création de profils numériques de personnes décédées.

Si le réel a longtemps été ce mur sur lequel se fracassaient nos rêves et approximations, il peut désormais être déformé pour s'y plier, assure le sociologue. En ce sens, « aussi graves et inquiétantes soient-elles, les agitations du 47e président des États-Unis ne constituent pas le sujet unique de ce livre. Il n'est qu'une facette d'un phénomène qui le dépasse et qui tire ses racines à la fois de notre histoire commune et de notre nature anthropologique », écrit Gérald Bronner, pour qui nos désirs peuvent, depuis toujours, contaminer notre rapport au réel. Mais cette corruption de la réalité, qui prend donc ses racines dans notre nature même, est aujourd'hui largement amplifiée par les « conditions technologiques ».

Les LLM pour empirer la situation

En somme, nous sommes plongés dans une « conjoncture cognitive » qui nous conduit à « espérer au-delà de ce raisonnable ». Pour le sociologue, la conséquence est imparable. « Face à cette situation inextricable, il existe une ultima ratio : corrompre le réel même. Pourquoi faudrait-il que nos désirs ne se conforment qu'au possible ? Soyez réalistes, demandez l'impossible ! », écrit-il, recyclant un slogan de mai 1968. Prolongeant les travaux de ce professeur à la Sorbonne, entamés dans La Démocratie des crédules et Apocalypse cognitive (PUF, 2013 et 2021), l'essai du sociologue explore, sur près de 400 pages assez touffues, les perturbations du réel et la manière dont les fictions que nous créons viennent « exercer une influence en retour sur le monde dans lequel nous vivons ». Un phénomène que vient accélérer l'IA générative. Si le sociologue semble avoir eu moins de temps pour explorer les impacts de cette technologie que ceux des mondes virtuels par exemple, il estime que les LLM ne feront qu'empirer la situation actuelle, via ces multiples vérités alternatives que la technologie est capable de générer à peu de frais. Dès lors, selon Gérald Bronner, « les citoyens pourraient céder à un principe de précaution informationnel : dans le doute, mieux vaut considérer une information comme fausse ou du moins problématique ». Sauf celle qu'ils désirent lire, entendre ou regarder, évidemment. Bienvenue dans l'ère du « scepticisme opportuniste ».

« A l'assaut du réel ». Gérald Bronner aux éditions PUF, 2025. 22 €

- Waiting for robots d'Antonio Casilli

Le sociologue italien Antonio Casilli, professeur à l'Institut Polytechnique de Paris, théoricien du digital labor, décrypte dans cette traduction enrichie de son livre de 2019 En attendant les robots, la façon dont le numérique, et désormais l'IA, cachent des armées de travailleurs précaires de la data. Des centaines de millions de data et AI workers souvent installés dans des régions du monde où cette même IA exploite les ressources naturelles et métaux rares.

« Waiting for robots » d'Antonio Casillli Antonio Casilli chez University of Chicago Press, 2025. 27,50$. Version traduite et enrichie de « En attendant les robots », publié en 2019 au Seuil.

- La Tech: Quand la Silicon Valley refait le monde, d'Olivier Alexandre

Enfin, pour terminer, il est intéressant de reprendre l'impressionnant décryptage de la Silicon Valley par Olivier Alexandre, sociologue chargé de recherche au CNRS. Comme l'a fait son auteur durant plusieurs mois, le livre immerge le lecteur au coeur de la vie de cette bande de terre de l'Ouest américain pour un portrait de ceux qui la font et qui y habitent, travaillent, vivent. Le livre vient d'être traduit en anglais aux éditions University of California Press, sous le titre Tech. When Silicon Valley Remakes the World.

« La Tech: Quand la Silicon Valley refait le monde ». Olivier Alexandre, aux éditions du Seuil, 2023. 24 €.

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