L'IA, vous la paierez que vous la vouliez ou pas

En plus de leurs projets internes, les DSI voient arriver des fonctionnalités d'IA dans la plupart de leurs logiciels. La technologie les confronte également à des modèles de licensing assez exotiques.
PublicitéInvestir dans l'IA peut-être, mais pas deux fois pour des fonctionnalités identiques. C'est le message qu'a fait passer Emmanuel Sardet, le président du Cigref, lors de la table ronde d'ouverture de la Cloud conférence, organisée par Eurocloud le 17 septembre à Paris. En cause : le fait que les DSI investissent souvent dans des accès à des modèles de GenAI et se retrouvent à payer, bon gré mal gré, des fonctionnalités bâties par les éditeurs SaaS sur ces mêmes modèles ou sur leurs concurrents. Et le DSI adjoint et CTO groupe du Crédit Agricole de réclamer une capacité d'opt-out pour les entreprises, qui serait imposée par la législation et permettrait aux entreprises de ne pas souscrire aux fonctions d'IA de leurs éditeurs. Aujourd'hui, les DSI estiment ne plus avoir la main sur leur feuille de route en matière d'innovation », résume Emmanuel Sardet.
Cette question du coût et du licensing de l'IA était également au centre d'une table ronde organisée par le cabinet spécialisé dans la gestion des actifs logiciels Elée, lors de son événement annuel, organisé la veille de la Cloud conférence, toujours à Paris. « Ce qui est inclus dans les logiciels d'entreprise résulte souvent de l'exploitation de modèles qui ne sont pas la propriété de leurs éditeurs, souligne Marie Fontaine, responsable IA au sein du cabinet de conseil Wenvision. Est-ce que des fonctionnalités similaires ne seraient pas envisageables en utilisant directement l'API de l'éditeur de ce modèle ? C'est aussi ce qu'a voulu dire Satya Nadella [le Pdg de Microsoft, NDLR] en indiquant que le SaaS est mort ou presque : on peut imaginer demain un chatbot centralisé interrogeant différents logiciels. Ce qui comptera alors, dans ce nouveau monde du logiciel, ce sera la donnée elle-même. »
Tarification : exotisme et créativité sans limite
Présent à cette même table ronde, Damien Juillard, un ancien d'Elée qui a monté un cabinet de conseil en IA, On Behalf AI, souligne encore que les éditeurs de logiciels restent dans une approche assez classique de développement de leurs produits, avec des cycles d'environ un an avant la mise sur le marché de nouvelles fonctionnalités. « Dans ce contexte, il n'est par certain que les entreprises bénéficient, avec leurs fonctions, des dernières avancées d'un domaine qui évolue bien plus rapidement », dit-il.
Pour les entreprises, l'arrivée de l'IA dans leur logiciels traditionnels ou via des contrats avec des éditeurs de modèles confronte les acheteurs IT et DSI à de nouvelles modèles de tarification. « En la matière, on est sur de la pure créativité, chacun inventant son modèle ou presque, raille Stéphanie Susin, directrice des achats informatiques de CMA CGM. Les grands éditeurs conservent des métriques assez classiques, mais d'autres proposent des quantifications aux tokens, en entrée et en sortie, qui ne veulent rien dire pour le commun des mortels. » Un constat que partage Damien Juillard : « avec les tokens, il est très compliqué de prédire un engagement budgétaire. » Et de recommander la recherche de schémas de tarification à la consommation s'éloignant de ce modèle.
PublicitéAnticiper l'inflation à venir
Pour la directrice des achats IT de CMA CGM, « le secteur est jeune et compte nombre de scientifiques brillants, qui ont une propension à inventer des modèles exotiques. Notre enjeu est de ramener de la rationalité dans ce dialogue, et nous nous trouvons souvent face à des acteurs qui affichent une volonté de collaborer pour co-construire des modèles économiques. » Et de citer le cas de Mistral, dont le partenariat stratégique avec l'armateur marseillais comporte une clause de revoyure deux ans après sa signature, permettant à CMA CGM de se désengager si la valeur promise par les projets réalisés avec les technologies de l'éditeur n'est pas au rendez-vous. Une souplesse que la multinationale n'a pas retrouvé chez son autre partenaire stratégique, Google, qui sans surprise reste attaché à son cadre contractuel standard. « Le domaine compte beaucoup de start-ups qui ont envie de signer des contrats où leurs clients s'engagent sur de longues durées et sur des volumes significatifs, renchérit Narjis Benadda, acheteuse IT au sein de CMA CGM. On peut donc se montrer exigeants avec eux. L'entreprise cliente est en position de force. »
De gauche à droite, Damien Juillard (On Behalf AI), Marie Fontaine (Wenvision), Stéphanie Susin et Narjis Benadda (CMA CGM), lors du forum organisé par Elée. (Photo : R.F.)
Les éventuelles clauses de sortie ne sont toutefois pas contradictoires avec les logiques d'engagement à long terme et de remises qui les accompagnent. Une façon de se prémunir d'une inflation des prix que les experts jugent inéluctable, les tarifs actuels ne reflétant pas les niveaux d'investissement de l'industrie dans cette technologie. « Le jour où ces acteurs voudront rentrer dans leurs frais, ce seront de bonnes clauses protégeant les entreprises. Car la course à l'innovation actuelle va, un jour, laisser la place à une phase de consolidation et de hausse des coûts. Il faut s'y préparer. », souligne Damien Juillard.
Clauses de responsabilité : les éditeurs rechignent
Narjis Benadda souligne que, face à cette nouvelle technologie, les acheteurs aussi « doivent penser de façon exotique ». Notamment en tenant compte des dimensions de criticité et d'intensité d'usage, très différentes selon que l'on parle d'une IA intégrée à un processus métier ou d'un simple chatbot. « L'enjeu consiste à bâtir un comparatif des coûts réels à l'heure d'usage, afin d'en faire un levier de négociation », souligne-t-elle. L'acheteuse IT de CMA CGM souligne également une autre caractéristique des projets d'IA : l'augmentation des risques en ligne avec celle du ROI. « D'où l'importance d'engager les négociations avec l'appui de la direction des achats et de la direction juridique, pour se confronter d'emblée aux questions de responsabilité sur lesquelles les éditeurs rechignent à s'engager », insiste-t-elle. CMA CGM a bâti un clausier spécifique pour les fonctions d'IA, insistant sur les risques juridiques et comportant une clause de benchmark, permettant de réévaluer les tarifs durant le contrat afin de s'aligner sur les éventuelles baisses de prix constatées sur le marché.
Damien Juillard insiste sur les enjeux relatifs à la propriété intellectuelle. Car, les éditeurs de modèles d'IA ont souvent une double casquette. En plus de proposer des accès à leur modèle (via des API), ils effectuent aussi du développement à façon pour adapter leurs outils aux besoins spécifiques des entreprises. « Ces dernières doivent s'assurer que ces développements restent bien leur propriété, dit le fondateur et Pdg de OnBehalf AI. Car il faut non seulement veiller à ce que l'avantage concurrentiel qu'elles souhaitent obtenir via leurs développements dans l'IA soit effectif, mais aussi qu'il soit pérenne. »
Article rédigé par

Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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