Face à l'inflation logicielle, quelles sont les pistes pour optimiser ses budgets ?

12 à 14% d'inflation par an sur les 4 prochaines années. Face à l'envolée des coûts logiciels, les acheteurs IT et DSI sont assez démunis. Même si quelques ficelles permettent de limiter les prétentions des éditeurs ou de repousser les augmentations à plus tard.
PublicitéTous les DSI sont confrontés à un problème commun : l'inflation rapide de leurs coûts logiciels, bien au-delà des augmentations de leur budget. Dès lors quels leviers d'action leur reste-t-il face à une tendance qui apparaît inexorable ? Selon Elée, entre 2020 et 2024, les prix des logiciels d'entreprise ont augmenté de 15 à 40% selon les éditeurs. Et le cabinet spécialisé dans la gestion des actifs logiciels s'attend à une hausse annuelle moyenne de 12 à 14 % sur les quatre prochaines années. Soit une facture globale qui enflera de 50 à 60% à cette échéance.
L'enjeu pour les directions IT consiste donc à ne pas subir intégralement ces hausses, via des actions portant notamment sur l'optimisation de l'existant, des renégociations astucieuses de contrats, une gouvernance affirmée des actifs logiciels ou encore la mise en oeuvre d'alternatives permettant de réduire les coûts et d'instaurer un rapport de force avec les grands noms du logiciel (Open Source, licences d'occasion, tierce-maintenance applicative, dual sourcing). C'est précisément ce thème qu'Elée a choisi d'aborder lors d'une table ronde qui s'est tenue sur son événement annuel, organisé le 16 septembre dernier à Paris.
Maintenance to kill : le plan de CACIB
« Notre constat, c'est que le coût récurrent du logiciel augmente régulièrement, et plus rapidement que celui des prestations. Or, nous n'avions pas de démarche d'optimisation structurée de ce pan budgétaire », raconte Antoine Trentesaux, le responsable achats IT et services de Crédit Agricole CIB (CACIB), qui pilote une équipe de 25 personnes dédiées à ce sujet. D'où le lancement par la banque d'affaires d'une démarche appelée « maintenance to kill ». Première étape de ce plan : l'envoi d'un courrier demandant aux éditeurs des propositions pour abaisser le coût de leur maintenance. « Une façon de légitimer la démarche et d'instaurer un dialogue. Même si les résultats sont restés en-dessous des objectifs », dit le responsable.
L'équipe achats IT du Crédit Agricole CIB enclenche alors la seconde phase, qui repose sur trois leviers. A commencer par une discussion approfondie avec les responsables applicatifs pour les pousser à mettre en oeuvre des optimisations, comme une baisse des niveaux de services, un engagement à long terme avec l'éditeur ou encore la réduction du parc de licences. « Passer de 20 à 18% de taux de maintenance par une réduction des niveaux de services, c'est une économie de 10% », souligne Antoine Trentesaux. La banque enclenche également des remises en concurrence impliquant systématiquement les éditeurs en place, « via lesquelles nous avons obtenu des propositions tarifaires très intéressantes », dit le responsable, et, arme ultime, envoie quelques courriers de résiliation aux éditeurs les plus récalcitrants. « Dans 100% des cas, après un tel courrier, le commercial est revenu vers nous en étant plus ouvert à la discussion que précédemment », assure le responsable achats. Pour ce dernier, il s'agit avant tout, pour les achats et la DSI de l'entreprise, d'imposer un narratif. « L'éditeur ne sait pas tout, dit-il. Avec l'appui des métiers et de l'IT, il est toujours possible de lui raconter une histoire crédible. »
PublicitéMaîtriser le patrimoine
De son côté, Mélinda Devaux, responsable des achats de Aesio, mutuelle créée en 2021 de la fusion de trois sociétés, explique l'importance de la maîtrise du patrimoine logiciel. « Après la fusion, nous nous sommes concentrés sur un état des lieux en nous focalisant sur les principaux postes de dépenses, sachant que le premier représentait plusieurs millions d'euros », explique-t-elle. Sur un de ces contrats, la mutuelle est parvenue, via un engagement avant la date de renouvellement prévue, à réduire d'un tiers les licences tout en conservant, pour 5 ans, les anciens tarifs.
Claire-Noëlle Chérie, directrice des achats IT de Michelin, souligne elle-aussi l'importance de cette maîtrise du parc. « Dans le cadre d'un plan d'économies sur les coûts récurrents IT, nous nous sommes aperçus que certains contrats étaient peu exploités. Nous avons donc mené un travail de réappropriation de ce patrimoine, en dressant une cartographie du portefeuille établissant le volume de dépenses et la criticité de chacune de ses composantes », explique-t-elle. Un préalable indispensable à l'indentification de pistes d'optimisation, qui peuvent découler d'une meilleure compréhension des clauses du contrat ou d'un meilleur alignement des achats sur les usages réels. « Dans les organisations, le poids de l'histoire fait que, très souvent, on renouvelle des contrats sans réellement en réévaluer tous les aspects », souligne Claire-Noëlle Chérie.
Contrats à long terme
Ce travail d'assainissement ne suffit toutefois pas à protéger les organisations des multiples annonces d'éditeurs qui, en refondant leur politique de licences, se traduisent par de brutales hausses de coûts. « Aujourd'hui, une fois les économies réalisées, nous sommes plutôt dans la remédiation des risques, indique ainsi Antoine Trentesaux. Depuis 2 ou 3 ans, nous subissons des hausses tarifaires suite à des notifications de non-renouvellement par les éditeurs, souvent 6 mois avant le terme du contrat, alors qu'il nous faudrait entre 3 à 5 ans pour sortir des solutions concernées. » Face à ce risque, CACIB tente d'anticiper. Par exemple, la banque d'affaires a renouvelé en 2024 un contrat dont l'échéance était... 2029 ! Le nouvel accord court désormais jusqu'en 2034.
Claire-Noëlle Chérie souligne également l'importance d'une connaissance aussi exhaustive des besoins que possible des besoins au lancement d'un projet et durant sa phase d'exécution. « Attention toutefois à ne pas s'engager sur une vision cible pour aller chercher des remises sur quelque chose qui ne sera pas utilisé, avertit la responsable. Nous préférons une vision plus court-termiste, en conservant des leviers de négociation lors des renouvellements, basés sur l'évolution des besoins. » Cette connaissance fine des besoins tout au long de la vie d'un projet passe par un dialogue étroit entre l'IT, les acheteurs et, très souvent, les métiers. « Le binôme formé par l'acheteur et le gestionnaire du contrat au sein de la DSI doit bien fonctionner et être capable de passer outre les questions de responsabilités de l'un ou de l'autre sur tel ou tel aspect, car la frontière entre les deux fonctions est parfois floue », prévient Claire-Noëlle Chérie.
Et ce partenariat trouve parfois ses limites quand les relations se tendent réellement avec un éditeur. « L'opérationnel choisira alors plutôt de limiter le risque et de privilégier une application fonctionnelle, maintenue par l'éditeur, quitte à payer 5% de plus », remarque Antoine Trentesaux. Sur ces dossiers conflictuels, celui-ci conseille de s'appuyer sur des responsables de haut niveau au sein de la DSI, plus enclins à accepter le risque qu'induit une négociation au cordeau avec un éditeur.
Article rédigé par

Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
Suivez l'auteur sur Twitter
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire