UE : comment les lobbys ont sapé la préférence donnée à l'Open Source

Une étude revient sur la « surprenante volte-face » de Bruxelles sur la primauté donné à l'Open Source dans les administrations des pays membres. Et pointe le travail de l'ombre des lobbys entre 2004 et 2010. Eclairant à l'heure où l'Union cherche à se réapproprier son avenir technologique.
PublicitéL'histoire ne se répète pas, mais elle bégaye parfois. Ainsi en va-t-il de la politique de l'Union européenne en matière d'Open Source. Comme le rappelle une étude récente de Nora von Ingersleben-Seip, du département des sciences politiques de l'Université d'Amsterdam. Celle-ci souligne les récents débats qui ont agité Bruxelles lors de l'annonce du partenariat entre Mistral, la start-up d'IA française, et Microsoft, verrouillant l'accès du modèle Mistral Large au cloud de l'éditeur. Un débat qui, selon la chercheuse, renvoie à ceux du début des années 2000, quand les responsables politiques de l'UE ne s'inquiétaient pas de la dépendance de l'Europe à l'égard de l'IA américaine, mais de celle touchant aux « logiciels essentiels, tels que les systèmes d'exploitation pour ordinateurs de bureau, les systèmes d'exploitation pour serveurs et les logiciels de productivité bureautique. » Trois segments dominés alors par Microsoft.
C'est ce constat qui avait poussé les législateurs à introduire différentes mesures en 2003 et 2004 favorisant l'Open Source et les standards ouverts. Notamment via la rédaction du European Interoperability Framework (EIF), établissant des standards d'interopérabilité pour les achats publics de services numériques. « Toutefois, dans une volte-face surprenante, l'UE a supprimé les préférences pour les logiciels libres dans les marchés publics et a modifié sa définition des standards ouverts quelques années plus tard, à savoir en 2010 », note Nora von Ingersleben-Seip, qui tente précisément d'analyser ce revirement.
Conditions inchangées, conclusion inversée
Son étude (ici en PDF), qui décortique notamment les versions de travail des textes et les interventions des uns et des autres, montre notamment comment Microsoft et d'autres éditeurs de logiciels propriétaires sont parvenus à semer le doute sur l'intérêt de l'Open Source parmi les législateurs et comment ils ont infiltré les groupes d'experts travaillant sur la stratégie Open Source de l'Union pour s'assurer que la seconde version de l'EIF soit plus conforme à leurs intérêts. Selon Nora von Ingersleben-Seip, ce sont ces facteurs qui expliquent la volte-face de Bruxelles entre 2004 et 2010, « malgré la rhétorique positive inchangée et sans équivoque de l'UE sur le logiciel libre et les standards ouverts, et malgré la domination persistante de Microsoft sur le marché du logiciel en Europe. » Autrement dit, alors que le problème qui avait poussé les législateurs à s'intéresser à la question est resté entier.
Notons d'ailleurs qu'en France, un combat similaire avait eu lieu à la même époque, avec un texte sur les formats admis dans l'administration (le RGI, référentiel général d'interopérabilité) qui a patiemment attendu la normalisation ISO du format bureautique de Microsoft pour être publié, le plaçant ainsi sur un pied d'égalité avec son rival de la suite Open Source Open Office.
PublicitéL'alerte lancée par le rapport Draghi
L'étude de la chercheuse de l'Université d'Amsterdam sonne comme un avertissement à l'heure où le rapport Draghi pointe clairement le rôle des services numériques dans le différentiel de compétitivité entre l'Europe et les Etats-Unis. Une alerte qui pousse aujourd'hui l'UE à chercher des leviers favorisant le développement d'une offre européenne. Nul doute que les lobbyistes des Gafam et leurs proxys regorgent d'idées en la matière. Mais la Commission ne peut désormais plus arguer qu'elle n'en connaît pas la conclusion.
Article rédigé par

Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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