Les agents d'IA en mission pour éliminer le SaaS

Jusqu'où iront les agents d'IA ? Pour certains, ils sont déjà sur la bonne voie pour tuer et remplacer les applications SaaS. Pour d'autres, ils se contenteront probablement de jouer les super interfaces utilisateurs sur un marché du SaaS, lui-même déjà en mutation vers l'IA et ses agents.
PublicitéÀ l'heure où l'IA agentique focalise l'attention, une théorie se renforce, suggérant que cette technologie pourrait tuer le modèle bien installé des applications SaaS. Cette affirmation n'est pas particulièrement nouvelle, mais elle ne cesse de refaire surface jusque dans le discours de personnalités comme le CEO de Microsoft, Satya Nadella, qui a défendu cette position en début d'année. Il a en effet suggéré que les agents d'IA se doteraient progressivement de fonctions CRUD (create, read, update, and delete) multirepository, censées assurer la consistance des données et de leur traitement dans un environnement logiciel à référentiels multiples, ce qui rendrait les systèmes SaaS sous-jacents obsolètes.
« C'est la notion même d'application business qui va probablement s'effondrer à l'ère des agents, a déclaré en substance le patron de Microsoft. Parce que, si l'on y réfléchit bien, ce sont essentiellement des bases de données CRUD enrobées de logique business. Aujourd'hui, celle-ci est confiée à des agents, qui ne vont donc pas faire de distinction entre les bases de données. Ils vont mettre à jour plusieurs d'entre elles, et toute la logique sera prise en charge
par l'IA. »
Les agents rendent les IHM inutiles
D'autres acteurs du marché abondent dans le même sens. Greg Isenberg, PDG de Late Checkout, incubateur de startups au modèle basé sur l'audience, prédit une révolution agentique dans les 18 prochains mois, l'IA passant d'une fonction de simple copilote à celle d'opérateur autonome. Le barrage a déjà cédé, selon lui, dès lors qu'il suffit d'envoyer le prompt suivant : « analyse nos performances au 2e trimestre », plutôt que de cliquer sur Tableau pour le faire, ou « optimisez nos campagnes publicitaires », plutôt que de naviguer dans le gestionnaire de publicités de Meta. « L'expertise qui était jusqu'ici concentrée dans le logiciel est déconstruite par les agents », dit-il.
Et Greg Isenberg va encore plus loin, estimant que dans les trois prochaines années les logiciels deviendront de plus en plus invisibles. « La phase ultime de cette mutation démarrera lorsque les agents contourneront complètement les interfaces humaines, poursuit-il. La proposition de valeur du SaaS, qui consiste à regrouper les logiciels, le workflow et l'expertise dans des interfaces conviviales, se désagrège complètement. Les interfaces ont été conçues pour les humains, mais les agents, eux, n'en ont pas besoin ».
De l'importance de l'écosystème autour des applications
D'autres observateurs du marché estiment cependant que ce point de vue est trop étroit dans la mesure où, même si les agents élimineront en grande partie la nécessité pour les humains d'interagir avec les IHM des logiciels SaaS, leurs fonctions backend resteront indispensables. « Les agents remplaceront probablement certains éléments d'interface utilisateurs, pour des interactions de routine entre autres, estime ainsi Kaveh Vahdat, fondateur et PDG de RiseAngle, société spécialisée dans la création par IA de jeux et de vidéos. Mais les plateformes SaaS sous-jacentes resteront essentielles pour garantir la fiabilité et les contrôles de gouvernance ». Pour lui, les agents deviendront en réalité aussi des éléments essentiels de l'interface utilisateurs pour les outils SaaS, même si les utilisateurs privilégieront toujours des outils logiciels qu'ils comprennent bien et qui leur permettent de se sentir productifs.
Publicité« Même lorsque plusieurs plateformes offrent des fonctions de base similaires, les utilisateurs vont se tourner vers celle qui correspond à leur façon de penser et de travailler. Et il ne faut donc pas sous-estimer le design de l'interface utilisateur, la présentation des tableaux de bord ou les espaces d'accueil des utilisateurs, par exemple. C'est au coeur du succès du SaaS ». Pour le PDG de RiseAngle, l'idée d'une IA tuant le modèle SaaS est trop simpliste. « Les outils SaaS ne se définissent pas uniquement par le CRUD ou la logique business, mais par leur écosystème : le design de l'interface et de l'expérience utilisateur, les workflows vers lesquels ils guident les utilisateurs, la capacité à organiser visuellement des informations complexes et les communautés qui se développent autour d'eux », explique Kaveh Vahdat.
Une guerre de territoires
Bien sûr, on peut trouver de l'ironie dans le fait que Satya Nadella parle d'agents d'IA qui dévorent le marché SaaS, comme c'est le cas de Dev Nag, fondateur et PDG de la société d'automatisation du support QueryPal. « Le plus drôle, c'est qu'il introduise en ce moment même des agents dans tous les produits de Microsoft, déclare-t-il. Excel écrit désormais en Python, Teams transcrit les réunions et suggère des actions à mener, et Dynamics engendre des agents autonomes comme s'il s'agissait d'une colonie de fourmis numériques ». C'est probablement oublier que Microsoft a toujours su s'adapter à la tendance la plus crédible et la plus rentable du moment... quitte à ajuster la voilure si besoin, le moment venu, voire à revenir en arrière. Son histoire est truffée de mouvements de balancier opportunistes.
Et comme l'observe le PDG de Querypal, on assiste en réalité plus généralement à une course à l'échalote entre sociétés SaaS pour devenir des plateformes d'agents avant que les sociétés qui développent des agents ne prennent leur place de fournisseurs de confiance auprès des entreprises. « C'est une guerre pour la conquête de territoire, avec en ligne de mire le contrôle de la manière dont les employés interagissent avec l'IA tout au long de leur journée de travail, explique-t-il. Les entreprises qui pilotent déjà vos workflows ont une longueur d'avance, parce qu'elles savent exactement ce que vous faites toute la journée, jusqu'à vos fautes de frappe et vos pauses café. Et au bout du compte, c'est un nouveau type de service que la convergence des agents d'IA avec les logiciels SaaS va engendrer : des logiciels qui vous observeront travailler et prendront progressivement en charge les parties de votre travail jugées rébarbatives ».
Une migration de la valeur vers l'orchestration
« En réalité, la transition a déjà commencé, affirme Nic Adams, cofondateur et PDG du fournisseur de solutions de cybersécurité automatisée 0rcus. Les agents commencent d'abord par faire disparaître la couche d'interface avec les logiciels SaaS. Ceux de ces derniers qui ne font que générer des synthèses d'extraits de bases de données ou de logiques business sont déjà sur le déclin. Les agents n'ont pas besoin d'une interface graphique. Ils se déplacent à travers les API, écrivent dans les bases de données et exécutent la logique sans friction humaine ».
Pour Nic Adams, c'est une évolution qui va aboutir à un changement structurel sur le marché SaaS. « Il va se diviser en deux avec, d'un côté, des fournisseurs devenus inutiles et, de l'autre, des fournisseurs qui proposeront des infrastructures de base, avec des API propres et des schémas de fonctionnement conviviaux pour les agents, prédit Nic Adams. Les agents s'appuient toujours sur des systèmes back end, mais ils les considèrent comme interchangeables. Ils ne sont pas fidèles aux marques, aux plateformes ou à l'interface utilisateur. La couche fonctionnelle est toujours importante, mais la valeur migre de la navigation vers l'orchestration ».
Des utilisateurs lassés de passer d'une application à l'autre
Justin Etkin, directeur des opérations de Tropic, fournisseur de services d'IA de gestion des dépenses, se range du côté de ceux qui voient l'agentique comme une future super interface d'accès aux logiciels. Pour autant, il pense bel et bien que les agents d'IA remplaceront l'énorme quantité de solutions sans grand intérêt qui se sont développées au cours des dix dernières années, à mesure que le SaaS se répandait. « Aujourd'hui, les utilisateurs sont fatigués de cela, car ils doivent désormais se connecter à de nombreuses applications différentes pour effectuer leur travail ».
Néanmoins, les entreprises continueront à avoir besoin de la fonctionnalité SaaS de base, ajoute-t-il. « Ce que le SaaS a créé, ce sont des applications d'infrastructure de base qui continueront d'être nécessaires aux organisations pour maintenir l'intégrité des données, pour cimenter et établir des processus, et pour soutenir certaines des infrastructures clés de l'entreprise, ajoute-t-il. Je n'imagine pas un monde où nous aurions un tas d'agents d'intelligence artificielle qui se contenteraient de parler entre eux ». On pourrait parfois penser que cela en prend le chemin.
Article rédigé par
Grant Gross, CIO.com (adapté par E.Delsol)
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