Après 5 ans de data et d'IA, LVMH explore l'agentique
À l'occasion du salon Tech for retail, Franck Le Moal, DSI du groupe de luxe LVMH, a décrit l'intérêt du groupe pour les agents IA. Avec toutes les précautions d'usage quant à son intérêt réel pour l'entreprise, les équipes et les métiers du luxe.
PublicitéAprès 5 ans de travail sur la data, l'IA et l'IA générative, le groupe LVMH franchit progressivement une nouvelle étape en explorant l'agentique, comme l'a raconté son DSI, Franck Le Moal, à l'occasion du salon Tech for Retail, à Paris, le 25 novembre. « En ce qui concerne la GenAI, nous sommes désormais en phase d'accélération, et dans une logique d'industrialisation plus que d'adoption. » Le DSI rappelle, qui plus est, que LVMH est un groupe très large, avec 75 maisons, dont Louis Vuitton, Tiffany, Christian Dior Couture, Bulgari et 6 grands types d'activités. « Donc [avec la data et l'IA], nous travaillons en global, mais aussi pour les maisons. »
Le groupe de luxe a commencé à rationaliser l'organisation de sa data et son exploitation en 2020. Avec une date pivot en juin 2021, comme l'a précisé Franck Le Moal, dans un entretien avec CIO l'an dernier, et la signature d'un contrat avec GCP, passant par l'intégration de l'ensemble de la stack Google. Aujourd'hui, le groupe LVMH dispose de 26 plateformes dans ses différentes maisons et de 18 plateformes en Chine. Des plateformes et une organisation déployées depuis 5 ans qui permettent aujourd'hui le passage à l'échelle, la généralisation de la GenAI et l'exploration de l'agentique.
L'IA classique reste un sujet central
L'entreprise avance désormais sur 3 sujets. Le premier, l'IA classique, reste important, comme le rappelle le DSI du groupe : « même si tout le monde parle beaucoup de GenAI aujourd'hui, c'est toujours l'IA classique qui nous rend plus percutants, que ce soit dans la relation client, la personnalisation, la gestion de la nouveauté, les prévisions commerciales, l'efficacité de la supply chain, qui sont des sujets majeurs dans notre industrie du luxe ». Le groupe a développé et déployé une cinquantaine d'algorithmes sur ces sujets dans ses maisons. « Aujourd'hui, plus de 70% des prévisions commerciales dans le groupe et dans nos maisons sont supportées par de l'IA. Donc, nous ne sommes clairement plus dans l'exploration. ».
Ensuite, le géant du luxe s'est intéressé à la GenAI dès 2023 et a mis en place son premier agent, Maia. Démarré avec ChatGPT, il donne aujourd'hui accès à Gemini, Claude ou encore Mistral. Ouvert aux 200 000 employés, il reçoit, comme le précise Franck Le Moal, entre 1,5 et 2 millions de prompts mensuels, et regroupe plus de 30 000 utilisateurs hebdomadaires qui envoie en moyenne 15 à 20 prompts chacun.
La 3e étape, ce sont donc les agents IA. Le DSI de LVMH explique que le groupe les explore avec prudence en ciblant « certains territoires de valeur » comme les opérations, le marketing, l'efficacité au quotidien, etc. Les algorithmes et composants développés en interne et mis à disposition des maisons sont les mêmes pour l'ensemble du groupe, mais vont être adaptés pour chacune des maisons avec un certain nombre de données qui leur sont propres. Ce que le DSI décrit comme une forme de « personnalisation du dernier kilomètre ». LVMH va, par exemple, reprendre dans d'autres maisons, son agent Voices développé et déployé chez Bulgari afin de conserver autant que possible un « tone of voice » homogène dans les différents contenus, qu'il s'agisse des réseaux sociaux ou de l'engagement avec les clients, par exemple. Mais, l'agent sera adapté à chaque maison pour qu'elle conserve sa spécificité.
PublicitéUn impact relatif sur le commerce
Franck Le Moal se dit par ailleurs peu concerné par l'augmentation des achats via les moteurs de GenAI, qui ne représentent qu'environ 3% des ventes du groupe, selon lui. LVMH se préoccupe néanmoins de son GEO - generative engine optimization, le SEO de la GenAI -, c'est-à-dire sa présence dans les réponses de ces moteurs aux questions des consommateurs sur ses marques, ainsi que de la justesse et de la véracité de celles-ci. LVMH s'intéresse aussi au développement du commerce conversationnel, même si les réponses seront probablement différentes suivant les marques. « Nous ne répondrons pas de la même façon chez Sephora sur la beauté que dans la haute joaillerie ou la haute maroquinerie. Nous sommes en phase d'observation, mais cela manque encore un peu de robustesse. Ça pose des questions de sécurité, de confidentialité des données, etc. Donc, nous sommes vigilants sur ce sujet. ».
Mais pour le DSI, le rapport au luxe reste l'expérience, le retour des clients en magasin. « Nous allons ramener les gens en magasin, les exposer à la sophistication de l'expérience et de nos produits, et à une interaction humaine, également sophistiquée, dit Franck Le Moal. Aujourd'hui, quand vous allez dans un magasin d'une des maisons LVMH, la tech, vous ne la voyez quasiment plus. La seule chose que vous voyez, c'est un conseiller de vente avec un iPhone ou une tablette. Pourtant, elle est présente en support, en backend, partout où c'est possible. » Et le DSI rappelle que la même logique est appliquée avec l'IA. Tous les conseillers retail sont équipés d'une application de clienteling, avec des agents pour éventuellement ajuster le message, la communication avec le client. Des agents de ce type sont déjà installés dans les maisons Tiffany et Céline.
Une triple posture face aux risques cyber
Autre sujet majeur avec le développement de l'IA pour LVMH, la cybersécurité. « Depuis environ un an, les grands retailers sont sous pression, constate Franck Le Moal. Et nous savons que ce problème va être amplifié par l'utilisation de l'IA et des agents. Le luxe y est confronté et nous allons adopter trois postures. » Une posture défensive pour commencer, qui consiste à doper les moyens de sécurisation des applications IA et, en particulier, des agents pour protéger les clients, le patrimoine produit, mais aussi les actifs digitaux. La deuxième posture que le groupe souhaite adopter face aux nombreuses menaces sur les États-Unis, l'Europe, la France, face aux tensions géopolitiques et économiques croissantes, est la proactivité. « Nous devons probablement changer notre rapport à l'information client, estime Franck Le Moal. Prendre davantage de précautions. Mieux segmenter les informations clients. » Troisième et dernière posture, la résilience. « Nous devons maîtriser nos partenaires, mieux hybrider nos systèmes et nos applications en fonction du contexte, en fonction des souverainetés. Et je pense que les grands acteurs de la tech doivent accompagner les grandes entreprises dans la sécurisation des informations clients, encore davantage avec l'émergence et la croissance de l'IA ! »
« Nous accélérons sur la GenAI. Nous accélérons sur les agents. Mais nous ne sommes pas dans une logique de soumission, conclut enfin Franck Le Moal. Nous ne sommes pas une société de technologie. » Le DSI insiste sur le développement et le déploiement d'une IA qui augmente, soutient, respecte, accompagne les métiers dans l'univers du luxe. « Effectivement, il y a des opportunités, notamment en amont, d'accompagner avec l'IA, de donner des pistes créatives sur des formes, sur des couleurs, sur des déclinaisons, sur les styles, le marketing, etc. Mais, d'une part, ce n'est pas si récent que cela, car nous sommes très investis dans l'imagerie numérique, par exemple. Et, d'autre part, encore une fois, la primauté est donnée à nos créatifs, à nos artisans, à nos savoir-faire, à nos conseillers de vente, à nos mannequins, etc. ».
Article rédigé par
Emmanuelle Delsol, Journaliste
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