Marc Camus, DSI de BNP Paribas : « La GenAI, c'est 10% de la création de valeur avec l'IA »
Nommé à la tête de la DSI de la première banque française en avril dernier, Marc Camus dresse un premier état des lieux de ses priorités. Avec une volonté affichée d'aller un cran plus dans la mutualisation de l'IT entre les différentes entités.
PublicitéPrésent dans le groupe depuis près de 20 ans - il était jusqu'à récemment DSI de la banque de détail de BNP Paribas en Belgique (Fortis) -, Marc Camus a pris la succession de Bernard Gavgani en avril dernier comme DSI groupe. Un périmètre vaste, la banque étant à la tête du premier budget IT d'une organisation française. La dépense annuelle de BNP Paribas en informatique frôle désormais les 8 Md€, le run représentant environ les deux-tiers de ce total.
Pour financer ses projets réglementaires ou d'innovation, le DSI insiste sur la nécessité de contenir l'inflation structurelle de ces coûts de run. Cette discipline financière passe notamment par la mutualisation de la production, la convergence des entités vers des standards communs ou la généralisation de certaines automatisations. C'est à ce prix que BNP Paribas parvient à contenir l'inflation de ses budgets IT (environ 2% par an) et à financer ses projets innovants, comme ceux liés au déploiement de l'IA. La technologie doit générer 750 M€ de valeur pour le groupe d'ici fin 2026, selon les annonces de BNP Paribas aux marchés. Dans ce total, la GenAI, encore loin d'être passée à l'échelle, ne représente qu'une fraction modeste.
CIO : Voilà environ 200 jours que vous avez pris la tête de la DSI du groupe. Quels premiers constats tirez-vous de la phase d'analyse de l'existant que vous avez menée ?
Marc Camus : J'ai effectivement passé beaucoup de temps au contact des équipes de l'IT groupe, ici à Paris, mais aussi dans les différentes entités du groupe. J'hérite d'un cadre structuré et robuste : l'IT du groupe est en ordre de marche. La gouvernance est bien établie, les rôles et responsabilités sont bien définies, des avancées notables ont été effectués sur la gestion de la production et la sécurité. Ce qui est frappant, au-delà de la taille du groupe présent dans 64 pays, c'est le niveau avancé de transformation numérique dans les différentes entités. Sans oublier le retour de grands projets d'intégration, notamment avec l'acquisition d'Axa Investment Management au sein du pôle IPS (Investment & Protection Services, soit les activités dédiées à la protection, à l'épargne, à l'investissement et aux services immobiliers, NDLR). Cela faisait longtemps que nous n'avions pas mené un projet d'une telle envergure. Le niveau d'attente des métiers, pour réussir ces intégrations, développer de nouvelles offres ou améliorer l'efficacité opérationnelle, est élevé. Concernant le plan pour la DSI, 2025 étant la dernière année du programme en cours, 2026 s'inscrira dans la continuité mais sera aussi une année charnière de préparation des nouvelles orientations. Je m'attacherai notamment à continuer de renforcer la proximité entre IT et métiers et à accélérer l'adoption de l'innovation à l'échelle. Sur ces sujets, nous avons encore des marges de progrès.
PublicitéEst-ce que la réponse à ces besoins passe par une nouvelle croissance des budgets IT ?
Les demandes des métiers, celles du régulateur et l'évolution de nos modèles font que la dépendance à l'IT se renforce. Cela implique des investissements soutenus par notre direction générale, et qui débouchent majoritairement sur des économies dans des back-office, dans des middle-office ou dans la distribution. Aujourd'hui, le budget IT du groupe, de l'ordre de 8 Md€, augmente environ de 2% par an ces dernières années, une progression qui est contenue grâce à toute une série d'efforts, mais qui reste supérieure à la croissance globale des coûts de la banque.
Pour conserver une capacité de transformation des métiers et de livraison des projets réglementaires, nous devons trouver des pistes d'optimisation dans l'adoption de l'innovation à l'échelle, par exemple sur le Devops ou l'automatisation des tests. Ces pratiques sont déjà bien établies dans le groupe, nous devons continuer à les généraliser et à les exploiter à plein. Sans oublier l'impact de l'IA sur l'IT : nous anticipons une amélioration de l'efficacité des développeurs, mais aussi des gains dans la production, par exemple sur la gestion des incidents.

« Au sein du groupe, existent deux producteurs d'infrastructure IT, appliquant un même modèle global, reposant sur des choix technologiques de plus en plus convergents. » (Photo : Thomas Léaud)
Qu'en est-il du regroupement de la production, un sujet sur lequel BNP Paribas a lancé un plan de consolidation de ses datacenters ?
Un gros effort a effectivement été mené sur l'industrialisation de la production. Jusqu'à récemment, de nombreuses entités avaient leurs propres datacenters. Le transfert de certaines productions vers BP²I (BNP Paribas Partners for Innovation, la filiale du groupe spécialisée dans la production informatique, NDLR) a déjà été effectué. Et les économies proviennent tant de la rationalisation des datacenters que de la mutualisation des équipes de production, ce qui suppose une convergence vers les standards technologiques du groupe. Lors de ces opérations, nous passons souvent par une étape dite d'hébergement sec, avec un transfert dans les datacenters du groupe, mais en conservant une exploitation par les équipes qui opéraient auparavant ces environnements.
Aujourd'hui, au sein du groupe, existent deux producteurs d'infrastructure IT - BP²I et CIB ITO (le pôle opérations IT de la banque d'investissement de BNP Paribas, surtout présent à l'international, NDLR) -, appliquant un même modèle global, reposant sur des choix technologiques de plus en plus convergents. Auparavant, ces deux entités effectuaient leurs propres choix. Sur les postes de travail, sur les télécoms, nous avons déjà convergé. Un collaborateur peut prendre son PC d'entreprise et se connecter immédiatement depuis n'importe quel site du groupe. En matière d'infrastructures, des harmonisations ont déjà été effectuées et d'autres arriveront au gré des renouvellements de contrats avec les fournisseurs. Même si nous pouvons aussi sciemment conserver plusieurs solutions dans une logique de résilience et d'agilité.
Quel est le niveau d'avancement de ce chantier ?
Une partie importante du travail a été mené, en particulier en Europe où des datacenters ont été fermés dans plusieurs pays. Les entités du périmètre CPBS (Commercial, Personal Banking & Services, soit le réseau des banques de détail et les métiers spécialisés, NDLR) et IPS, auparavant autonomes, ont migré vers ces infrastructures mutualisées. Nous avons effectué environ 70% du programme de consolidation proprement dit. Derrière, il reste l'étape de transformation, consistant à sortir du mode d'hébergement sec.
A ce chantier, s'ajoute un sujet relatif à la résilience, notamment en cas d'incident majeur. Nous renforçons notre résilience régionale, pour que des datacenters en Europe, qui sont complétement convergés et gérés par BP²I, puissent par exemple prendre le relai de datacenters en France.

« Sur la banque commerciale en Europe, nous avons la volonté d'identifier des sujets de mutualisation, démarche qui peut aller jusqu'à la création d'une solution commune. » (Photo : Thomas Léaud)
Quels leviers d'optimisation explorez-vous sur l'optimisation de l'applicatif ?
Ce sujet a longtemps été piloté au niveau local ; les différents métiers ont beaucoup d'autonomie et nous souhaitons conserver cette approche. Dans une logique visant à contenir les coûts et financer des investissements assez lourds, sur l'IA par exemple, nous voulons toutefois transversaliser et mutualiser un peu plus, en identifiant des périmètres pertinents et des processus très transverses, comme l'anti-blanchiment qui concerne toutes les entités du groupe. Aujourd'hui, les solutions restent assez morcelées.
Par ailleurs, un de nos enjeux majeurs reste la gestion du Legacy. Si nous construisions une banque dans la zone euro aujourd'hui, nous n'aurions pas quatre core banking différents, un pour chacune de nos quatre grandes banques commerciales de la zone euro (en France, en Belgique, en Italie et au Luxembourg). Sur ce périmètre-là, nous avons la volonté d'identifier des sujets de mutualisation, démarche qui peut aller jusqu'à la création d'une solution commune - ce que nous avons fait sur les paiements instantanés -, mais peut aussi se traduire par le partage de bonnes pratiques, le choix des mêmes fournisseurs ou la signature d'un contrat groupe.
Voyez-vous l'IA transformer la DSI de BNP Paribas ? Anticipez-vous des transformations importantes en matière d'organisation et de compétences dans les deux ans qui viennent ?
Le premier impact se situe sur le cycle de développement. Nous avons commencé à déployer une solution d'aide aux développeurs ; d'ici la fin de l'année, plus des deux-tiers de cette population sera équipée, pour aller vers 100% de la population éligible l'an prochain, soit avant tout les équipes travaillant sur les développements open (Java, Python...). Sur le Cobol, les résultats ne sont pas encore réellement à la hauteur de nos attentes.
Certaines études externes mentionnent jusqu'à 30% de gains d'efficacité. Nous n'en sommes clairement pas là. Nous tablons plutôt sur un objectif de 8 à 15% sur les deux prochaines années, même si cela suppose un effort de transformation et de rester vigilant sur la qualité du code. Ces progrès sont déjà intégrés dans nos budgets 2026. Et nous comptons aussi sur cette technologie pour nous aider sur des sujets connexes, comme la rétro-documentation du code.

« Si, au sein de l'IT, nous effectuons les gains de productivité attendus, cela doit nous permettre de réaliser davantage de projets à budget constant ou de modérer la croissance actuelle des budgets IT. » (Photo : Thomas Léaud)
Qu'en est-il des métiers de la production ?
Nous avons déployé une solution d'IA sur la gestion des incidents. Développée en interne, elle permet, lors d'incidents significatifs, d'aller chercher un maximum d'informations pour diminuer le temps de résolution : liste des changements sur les ressources concernées, précédents incidents répertoriés dans notre outil interne, chemins de résolution déjà identifiés, etc. Cette solution nous fait gagner du temps et nous commençons à constater une réduction du temps de résolution des incidents de priorité 1 (soit classés comme critiques, NDLR). Environ 80% des événements de ce niveau de criticité sont déjà gérés avec cet assistant.
Par ailleurs, nous testons, pour l'instant au sein de la seule DSI groupe, un chatbot dans Teams permettant d'assister les collaborateurs pour le support de proximité, via un accès à la base de connaissances interne. L'étape suivante sera de connecter cet assistant à notre centre de contacts pour les cas où l'utilisateur ne parvient pas à résoudre la panne seul.
Quel sera l'impact de ces automatisations sur les recrutements ou la taille des équipes IT ?
Je n'anticipe pas d'effet majeur dans les prochaines années. Néanmoins, si nous effectuons les gains de productivité attendus, cela doit nous permettre de réaliser davantage de projets à budget constant ou de modérer la croissance actuelle des budgets IT.
Dans les métiers, BNP Paribas a annoncé un objectif de création de valeur avec l'IA. Où en êtes-vous aujourd'hui ?
Cela fait déjà près de 10 ans que le groupe déploie de l'IA et cela a déjà généré de la valeur dans le passé, soit par la création de revenus additionnels, soit en dégageant des économies, sur la détection de la fraude ou via des réductions de coûts.
L'objectif dans le plan stratégique du groupe s'élevait à 500 M€ de création de valeur à horizon 2025, et cette ambition a été portée à 750 M€ à horizon 2026. Nous sommes aujourd'hui dans les temps pour y parvenir, avec quelque 800 cas d'usage. La majorité de cette création de valeur vient plutôt d'IA traditionnelles, les premiers cas d'usage de la GenAI commençant seulement à passer à l'échelle. Dans le total des gains amenés par l'IA, la GenAI représente environ 10%. Même si ce chiffre n'est qu'une estimation, certaines solutions combinent IA traditionnelles et GenAI. C'est, par exemple, le cas du chatbot que nous développons pour les clients de nos banques commerciales.

« Nous voulons aller vers une focalisation sur certains cas d'usage de l'IA, déployés à l'échelle et sur des processus de bout en bout que nous choisissons. » (Photo : Thomas Léaud)
Quelles évolutions mettez-vous en oeuvre pour encadrer cette montée en puissance de l'IA ?
Après une période où nous avons mené de nombreuses expérimentations, nous avons renforcé la gouvernance, pour mieux capter les idées qui émergent dans les différents métiers du groupe. Si nous souhaitons conserver la proximité avec les métiers - l'IA a vocation à rester décentralisée -, certains investissements sont coûteux et peuvent être mutualisées. C'est le cas de la gestion des GPU, du choix et de l'optimisation des modèles ou des cas d'usage génériques comme la conversion de la voix en texte.
Nous renforçons également le pilotage de la valeur créée. Les 750 M€ ne seront pas créés par 800 cas d'usage générant chacun près de1 M€. Nous sommes plutôt dans un scénario de type 80/20. Dans ce schéma, si à une certaine période, dans une démarche d'innovation, l'expérimentation de multiples scénarios avait du sens, aujourd'hui, nous voulons aller vers une focalisation sur certains cas d'usage, déployés à l'échelle et sur des processus de bout en bout que nous choisissons.
Quelles sont vos principales priorités pour 2026 ?
L'IT a toujours deux grandes ambitions. La première consiste à accompagner la stratégie des métiers. En la matière, de nombreux projets déjà engagés vont entrer dans une phase de delivery en 2026 : intégration d'Axa IM, accélération digitale dans la banque commerciale ou encore changement de core banking dans notre activité de banque privée. La seconde se focalise sur la transformation de l'IT elle-même. Sur ce terrain, au-delà de la priorité donnée à la cybersécurité et la résilience - du fait notamment de l'environnement géopolitique -, nous nous focaliserons sur l'adoption de l'innovation à l'échelle dans l'IT, comme le déploiement de l'IA pour les développeurs, ainsi que sur la gestion du Legacy. Il nous faut simplifier et décommissionner certaines applications. Et des initiatives ont été lancées en ce sens, par exemple sur la gestion du cash : nous allons mettre à la retraite un ancien outil de gestion de la trésorerie mis à disposition des entreprises clientes, ce qui va, à terme, permettre le décommissionnement d'un second outil connexe. Car on parle ici très souvent de projets de longue haleine.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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