La vie sous sanctions US : le témoignage du juge français Nicolas Guillou
Placé sous sanctions américaines le 20 août, le juge de la Cour pénale internationale détaille les conséquences pratiques de cette décision. Et la portée des lois extraterritoriales US. Un « quasi-bannissement » d'un citoyen dans son propre pays.
PublicitéLe 20 août dernier, les Etats-Unis plaçaient sous sanctions quatre nouveaux officiels de la Cour pénale internationale (CPI), dont le juge français Nicolas Guillou, qui préside la chambre sur la situation dans l'Etat de Palestine au sein de la juridiction de la Haye. Lors du congrès de l'Union syndicale des magistrats (USM), le 10 octobre dernier, Nicolas Guillou est venu détailler les conséquences de cette décision du département d'Etat américain. « En pratique, le pouvoir exécutif américain peut exclure n'importe quel citoyen européen du système bancaire et de l'espace numérique de son propre pays », a explique Nicolas Guillou, voyant dans ces conséquences une démonstration du « déficit de souveraineté » bancaire et technologique de l'Europe.
En pratique, pour le juge français, les sanctions ont abouti au blocage de ses comptes auprès d'entreprises américaines (AirBnB, Amazon, PayPal...), à des refus de service par certaines entreprises (Expedia), à des livraisons de colis bloquées (il suffit qu'un intermédiaire soit américain). « Vous vivez un peu comme les années 90 », a ironisé Nicolas Guillou. Mais c'est surtout sur le volet bancaire que les conséquences des sanctions sont les plus lourdes. Avoirs gelés, comptes bancaires fermés - même en zone euro - et moyens de paiement souvent supprimés (Visa et Mastercard étant américains). Comme l'a indiqué le juge, toute transaction avec une entreprise américaine ou lorsque le dollar est la monnaie pivot (soit presque tout le temps hors d'Europe) devient impossible. Une perspective dévastatrice pour une entreprise, les sanctions US pouvant concerner des personnes physiques, mais aussi morales.
La nationalité US décuple l'effet des sanctions
Les conséquences des sanctions s'étendent également aux proches de la personne visée. Comme l'a détaillé le juge, conjoints et enfants se voient privés d'accès aux Etats-Unis et toute personne de la famille ayant la nationalité américaine est passible de sanctions pénales dès qu'elle fournit un service quelconque à un entité ou un individu visé par l'administration américaine.
En termes juridiques, Nicolas Guillou tire notamment deux enseignements de cette forme de « quasi-bannissement ». Primo, la nationalité américaine des personnes physiques et morales « décuple l'impact des sanctions ». Autrement dit, quels que soient leurs engagements contractuels et leurs déclarations, les entreprises américaines peuvent difficilement ignorer ou minimiser ce type de décisions du gouvernement américain. Secundo, « la peur de sanctions secondaires poussent les auteurs non-américains à faire de 'l'over-compliance' », soit, dans le cas présent, à appliquer des règles ou à mettre en place des blocages qui n'ont pas lieu d'être dans l'espace européen.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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