Henri d'Agrain : « comment je suis passé d'officier de marine, puis entrepreneur, au Cigref »

Depuis le 2 janvier, Henri d'Agrain est délégué général du Cigref, une nouvelle étape dans un parcours étonnant.
PublicitéCIO : Comment devient-on délégué général du Cigref ?
Henri d'Agrain : L'histoire est assez simple. Diplômé de l'Ecole navale et de l'Ecole des officiers transmetteurs, j'ai passé 27 ans dans la Marine, où j'ai mené une carrière classique d'officier. J'ai par exemple commandé deux bâtiments, dont le Dupuy de Lôme [en photo dans son bureau, NDLR]. Dès 1992, j'ai par ailleurs participé à l'élaboration du SI au ministère de la Défense. A l'époque, il se composait de trois SI : celui destiné à la gestion classique, celui des grands systèmes d'armement, le dernier pour la partie télécoms, avec les systèmes radios VHF, UHF et les systèmes télégraphiques.
Au tournant des années 90, l'arrivée des satellites Inmarsat et Syracuse (SYstème de RAdioCommunication Utilisant un SatellitE) a mis les télécoms au premier plan. J'ai piloté les deux premières étapes du projet d'intégration des navires de la marine dans un réseau IP unique utilisant des réseaux support filaires, des liaisons radio UHF ou du satellite. Soixante navires ou sous-marins sont actuellement reliés par ce système.
De 2008 à 2013, j'étais à la DSI de la Marine. C'est l'époque où j'ai fait la connaissance du Cigref et de ses groupes de travail. L'occasion de vérifier que les questions traitées sont à 80% les mêmes d'un DSI à l'autre, le reste appartient à sa sphère professionnelle. Une organisation militaire a évidemment des structures très particulières, notamment pour les télécoms dans la Marine. Une période de réflexion pour moi, j'ai préparé ma retraite d'officier et la suite de ma carrière.
CIO : Vous avez acquis et gardé un profil très orienté vers la cyberdéfense ?
Henri d'Agrain : En plus de DSI de la Marine, j'étais autorité de cyberdéfense au sein de cette armée. L'impératif dans la dimension cyber-sécurité est de comprendre et de faire partager le sujet, sous l'impulsion des ministres de la défense successifs et de l'Etat-Major des armées. Nous devons faire monter en compétences les armées sur la cyberdéfense et prendre en compte le cyber-espace, un nouvel univers de confrontation, mais sans frontière où, classiquement, nous devons à la fois dénier à l'adversaire l'utilisation de cette ressource et protéger nos propres capacités à l'exploiter.
CIO : Après votre carrière d'officier, vous devenez entrepreneur ?
Henri d'Agrain : Avec un associé, j'ai créé Small Business France pour accompagner les entreprises, en particulier les PME, notamment dans le domaine de la cybersécurité. Nous sommes partis d'un constat : la France doit valoriser ses entreprises. Elles sont très innovantes et très pertinentes, mais se confrontent à des concurrentes, américaines ou israéliennes, ces dernières restant proches des Etats-Unis, qui déploient une attitude commerciale très agressive.
L'Europe et la France peuvent retrouver une forme de souveraineté, dans la valorisation de leurs compétences, pour entrer efficacement en concurrence. Les besoins, publics ou privés, sont immenses. Nous avons travaillé dans le cadre de Small Business France, à mieux référencer la filière dans les appels d'offres, en organisant des groupes de PME sur des thématiques innovantes, comme la cybersécurité, l'éducation numérique ou l'e-santé. On leur présente des grands comptes, par exemple l'Ugap. Nous avons ainsi travaillé en partenariat avec Hexatrust et les pôles de compétitivité Systématic et Images&Réseaux. Depuis mon arrivée au Cigref, mon associé Loïc Leprince-Ringuet poursuit cette activité. Voilà comment je suis passé d'officier de marine, puis entrepreneur, au Cigref.
PublicitéCIO : Votre profil numérique se confirme avec une deuxième création, celle d'une école ?
Henri d'Agrain : En 2014, effectivement, j'ai mis sur pied le Centre des hautes études du cyberespace (CHECy). Il a pris pour modèle pédagogique l'IHEDN, un cadre dans lequel on se forme en rencontrant des gens passionnants, enseignants ou autres membres de la promotion. Nous l'avons appliqué à la compréhension des enjeux de la transformation numérique. Le cyberespace est un cinquième « espace stratégique commun » ayant des caractéristiques communes avec les quatre autres espaces stratégiques communs : orbital, aérien, maritime, fréquentiel. Cinq espaces, donc cinq ressources communes à l'ensemble de l'humanité, qu'il faut réguler pour optimiser leur emploi et éviter leur appropriation illégitime par des intérêts étatiques ou privés. Le cyberespace appartient à tout le monde.
Le CHECy a ouvert sa première promotion au mois de septembre 2015, avec seize auditeurs. La deuxième promotion, ouverte un an plus tard, en compte seize autres. Il est installé dans les locaux de l'Ecole européenne d'intelligence économique de Versailles.
CIO : Désormais, vous êtes délégué général du Cigref, comment abordez-vous ce nouveau poste, qui doit vous paraître un peu administratif ?
Henri d'Agrain : Je me mets au service de la transformation numérique avec beaucoup d'intensité. Et, détrompez-vous, ce n'est pas du tout un poste de type administratif ! Quand vous créez une entreprise et même quand vous commandez un bateau, vous avez nettement plus d'administratif dans votre travail quotidien !
Le Cigref a 46 ans d'expérience, des membres très satisfaits, et recueille une forme d'admiration de l'extérieur. Son indépendance vis-à-vis de tout intérêt public ou privé, de l'Etat comme des fournisseurs est notable. Il faut la conserver. De même, la qualité des publications, l'implication des membres, font sa force. Le Cigref restera le Cigref. Ce qui va changer ? C'est le monde extérieur qui change.
Le rôle du Cigref est aujourd'hui d'accompagner ses membres pour percevoir ce nouveau monde, celui de la transformation numérique. C'est le but de nos groupes de travail, des publications, de notre approche pluridisciplinaire, économique, juridique, culturelle. Et c'est le rôle du DSI appelé à jouer un rôle plus central dans l'entreprise, avec la transformation numérique.
CIO : Vous revenez du CES à Las Vegas, avec quelles conclusions ?
Henri d'Agrain : La délégation du Cigref était forte de 40 membres, contre 30 l'an passé. Le fil rouge cette année, c'est le « back to tech », l'idée qu'il n'y aura pas de transformation sans maîtrise profonde des technologies, sans sous-jacent technologique. C'est le rôle du DSI. Lors du CES, nos membres ont pu approcher des sujets voisins de leurs secteurs, comme la vue pour Essilor, le parcours client chez AirFrance KLM. La délégation elle-même a fait un focus plus transverse sur les technologies applicables dans la transformation numérique. En trois jours au CES, on gagne six mois de travail !
Quand on en revient, on est porté par l'enthousiasme qui se dégage. La France est troisième en nombre de présents, deuxième en nombre de start-ups accompagnées. Partout, on entend parler français. Nombre de grandes entreprises se présentent avec des start-ups qu'elles incubent, comme La Poste, Air Liquide, Engie, le Crédit Agricole, Valéo, EDF. Je n'oublie pas les régions présentes, ni les politiques qui ont fait le déplacement. C'est un appel d'air pour une nouvelle croissance. »
Article rédigé par

Didier Barathon, Journaliste
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