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Seth Ravin, Rimini Street : « SAP S/4Hana est le dernier dinosaure logiciel »

Seth Ravin, Rimini Street : « SAP S/4Hana est le dernier dinosaure logiciel »
Seth Ravin (Rimini Street), à gauche, et Bill McDermott (ServiceNow). « Nous ne pensons tout simplement pas qu'il y aura encore un ERP dans 10 ans ! », dit Seth Ravin. (Photo : D.R.)

Pdg du spécialiste de la tierce maintenance Rimini Street, Seth Ravin s'attaque aux modèles des grands du logiciel d'entreprise, misant sur des marges maximales dans le support. Dans son viseur, Oracle et VMware, mais surtout SAP qui peine à emmener sa base installée vers S/4Hana.

PublicitéCIO : Quel est le parcours qui vous a amené à créer Rimini Street il y a de cela 20 ans ?

Seth Ravin : C'est mon expérience dans la vente de services et de support chez PeopleSoft qui a été déterminante dans la naissance de Rimini Street. J'ai fait partie de l'équipe de direction qui a bâti Peoplesoft. Ce que j'ai constaté, c'est que sur les services de maintenance, le taux de profit d'Oracle (qui a racheté Peoplesoft en 2005, NDLR) s'élève à 95%, celui de SAP à 91%. Et les entreprises n'avaient pas d'alternative. Aucune autre industrie ne fonctionne sur cette base. Prenez la mécanique automobile : si vous avez un problème sur votre voiture, vous pouvez aller chez votre concessionnaire, mais aussi chez un mécanicien indépendant.

Pour le bug de l'an 2000, nous avions construit un service de conciergerie pour les entreprises, afin de les aider à passer ce cap. Nous avions multiplié les coûts de maintenance par deux et nous avons tout de même eu un grand nombre de sollicitations de clients, tout simplement parce qu'ils ne voulaient pas remplacer leurs logiciels. Cela a été un moment décisif pour moi, une forme de prise de conscience.

En créant Rimini Street, mon ambition était d'offrir des services de maintenance pour la moitié des tarifs pratiqués par les éditeurs. Et à ce niveau, nous pouvons proposer un très bon niveau de service, tout en conservant une bonne marge. Nous avons démarré nos activités autour des produits Oracle, avant de les étendre à SAP. Et nous pensons que nous avons une meilleure offre de maintenance que ces éditeurs. Notre spécialité est de travailler autour de ces boîtes noires que sont les logiciels d'entreprise. Et, en vingt ans, nous avons résolu tous les problèmes qui nous été soumis, en faisant économiser à certaines organisations jusqu'à des centaines de millions de dollars.

Où en êtes-vous de votre procès avec Oracle ?

En décembre dernier, nous avons remporté la procédure d'appel : devant la Cour suprême, nous avons gagné par 9 juges à zéro. Il ne subsiste qu'un faible nombre d'éléments qui feront partie d'une nouvelle procédure, portant uniquement sur Peoplesoft. Nous avons gagné la partie sur toutes les autres lignes de produits. À mes yeux, c'est la conclusion de 15 ans de procédures judiciaires. Mais, avec Oracle, l'opposition n'est pas uniquement fondée sur notre concurrence, elle revêt des dimensions personnelles et non rationnelles. Nous n'avons été en procès avec aucun autre éditeur. Nous allons continuer à développer notre support Oracle, mais SAP est un autre de nos principaux centres d'intérêt. Aux côtés, évidemment, de VMware

PublicitéConcernant les environnements SAP, la base installée peine à suivre le rythme qu'impose l'éditeur. Comment Rimini Street va-t-il se positionner sur ce marché ?

J'étais récemment à Londres avec l'une des plus grandes entreprises du monde que me dit être sur le point de se lancer un projet de transformation de plusieurs milliards de dollars, en passant à S/4Hana dans 190 pays. Je leur ai répondu : 'vous pensez que c'est de l'innovation et de la transformation, alors qu'il s'agit juste d'une mise à niveau vers un nouvel ERP'. Une nouvelle version de l'ERP ne fait pas de vous une meilleure entreprise. Elle ne modifie pas votre position concurrentielle. Vous accédez à quelques fonctionnalités supplémentaires, à une meilleure interface, mais cela ne transforme pas votre entreprise. Au contraire de ce que nous proposons avec ServiceNow.

Quelle est la nature de cet accord ?

C'est une histoire assez extraordinaire. Bill McDermott (actuel Pdg de ServiceNow, NDLR) et moi-même avons été en concurrence féroce quand il dirigeait SAP (de 2010 à 2019, NDLR). Lors d'une réunion, Bill m'a présenté une nouvelle gamme de produits de ServiceNow, tournée vers la modernisation d'ERP. Ils se positionnent au-dessus de l'ERP et fournissent ces technologies que les entreprises attendent : l'IA, l'automatisation des workflows, etc. Le tout intégré dans une interface moderne. Les utilisateurs n'ont plus à aller dans les systèmes SAP ou Oracle, qui deviennent des bases d'enregistrement. Dans cette configuration, l'entreprise n'a plus à se préoccuper des migrations et mises à jour que veulent imposer les éditeurs d'ERP.

ServiceNow fournit la couche d'orchestration, tandis que nous assurons la maintenance des ERP sous-jacents. Car ServiceNow sait que, pour que cet édifice soit solide, il faut connaître de façon intime le fonctionnement de ces progiciels. Comme le dit Bill McDermott, la migration vers S/4 Hana est le plus grand gaspillage d'argent des entreprises dans l'IT à l'heure actuelle. C'est formidable de la part de l'ancien dirigeant de SAP, qui a imposé cette solution à tant de clients, non ?

Ce partenariat repose sur votre offre de maintenance de SAP ECC étendue jusqu'en 2040, contre 2030 au mieux chez l'éditeur...

2040 au minimum ! ECC est le meilleur ERP jamais développé, le plus stable et le plus riche en fonctionnalités. Il surpasse même S/4. Et les entreprises qui l'utilisent aujourd'hui l'ont tellement intégré dans leur activité, avec des centaines d'interfaces, que le risque d'une migration sur la production les effraie au plus haut point. Qui plus est, ce n'est pas là que se produit l'innovation, qui se situe plutôt à l'interface avec les clients ou dans la façon de penser l'automatisation. La raison pour laquelle les DSI ne veulent pas effectuer cette migration vers S/4Hana, c'est qu'ils savent que c'est un projet perdant. Personne ne leur attribuera le mérite d'une transition ERP réussie. À l'inverse, le DSI peut être brutalement licencié en cas de dépassement de coûts et de délais ou d'un impact négatif sur la production de l'entreprise. Or, en France et aux États-Unis, la plupart des DSI sont à cinq à dix ans de la retraite. Ils ne veulent pas finir leur carrière là-dessus !


« Il ne faut pas confondre les bénéfices financiers immédiats de Broadcom avec la relation à long terme avec leurs clients. Lorsque vous prenez les gens en otage, ils n'oublient jamais. » (Photo : D.R.)

Combien de clients SAP avez-vous déjà fait basculer vers votre offre de maintenance ?

Nous avons d'ores et déjà annoncé 1000 clients SAP. Et je pense que nous pouvons en gagner 1000 autres ! Les chiffres indiquent qu'environ 20 000 entreprises n'ont pas encore migré vers S/4 Hana. C'est énorme et c'est une opportunité majeure pour nous ! Il faut comprendre que la stratégie de SAP, une fois que vous avez migré vers S/4 Hana, est de vous pousser à remplacer votre version de progiciel tous les 3 à 5 ans. On parle ici de systèmes centraux dont le remplacement dépasse parfois le milliard de dollars. Or, les conseils d'administration attendent désormais un retour sur investissement des sommes engagées dans l'informatique, pas simplement une injonction d'un fournisseur. Nous proposons tout simplement une meilleure allocation des ressources que l'éditeur.

Par ailleurs, SAP transforme les équilibres de l'écosystème en poussant ses clients vers Rise. Imaginez que votre ERP soit chez T-Systems, le plus grand hébergeur SAP dans le monde. La montée de version implique alors une migration vers un autre environnement technique. Soit un énorme projet supplémentaire. Vous comprenez maintenant pourquoi T-Systems North America a signé un partenariat avec Rimini Street. Et HPE connaît le même problème sur Greenlake.

N'est-ce pas prendre le risque de ne plus pouvoir effectuer de montée de version SAP, par exemple d'ici 10 ou 15 ans ?

Avec Bill McDermott, nous ne pensons tout simplement pas qu'il y aura encore un ERP dans 10 ans ! L'ERP en lui-même est en fait un ensemble de processus qui vont de la commande à l'encaissement, de l'approvisionnement au paiement, etc. L'idée est de construire ces processus à l'aide d'API et d'un ensemble de microservices, de les lier ensemble avec un workflow ServiceNow et d'utiliser l'IA agentique pour exécuter ces processus. L'ERP disparaît alors, tout simplement parce qu'il n'est plus nécessaire. C'est ce que nous appelons l'ERP agentique. Et nous le faisons déjà. Pour le laboratoire Apsen Farmacêutica, au Brésil, nous avons automatisé plus de 70 % des processus. C'est ce que j'appelle une réelle transformation, contrairement à une simple montée de version d'ERP sur une génération de produit, S/4 Hana, qui a déjà 20 ans d'âge.

S/4 est le dernier des grands dinosaures du logiciel. Si ce truc était aussi bon que SAP le prétend, tout le monde se précipiterait pour l'installer. Ce n'est pas ce que l'on constate. Les entreprises sont pressurisées par les éditeurs. On les menace d'absence de support, d'une augmentation des coûts de maintenance. Alors que ces éditeurs réalisent déjà 90% de profit ou davantage sur la maintenance. Évidemment, ce constat inclut Broadcom-VMware. Nous venons de réaliser un webinar consacré à cet éditeur et nous avons enregistré 600 participants. Un record nous concernant.

Le plan de Broadcom, annoncé lors du rachat de VMware, paraît pourtant se dérouler conformément aux promesses de sa direction...

C'est une victoire à court terme, parce que beaucoup des clients qui ont renouvelé leur contrat avec VMware ont eu l'impression d'être pris en otage et de se voir imposer un contrat qu'ils ne voulaient pas, à des tarifs trop élevés. Ils cherchent donc d'autres solutions. Il ne faut pas confondre les bénéfices immédiats de Broadcom avec la relation à long terme avec les clients. Lorsque vous prenez les gens en otage, comme cela se produit également chez Oracle et SAP, lorsque vous les poussez, ils n'oublient jamais. Certaines entreprises ont ainsi décrété qu'elles ne voulaient plus aucun produit Oracle dans les 10 prochaines années !

Concernant VMware, des alternatives vont émerger. Chez Nutanix évidemment, mais également chez HPE ou Dell. La concurrence va s'intensifier dans ce domaine à cause des pratiques de Broadcom. En optant pour le support de Rimini Street, les entreprises s'achètent du temps et une capacité de choix. Elles auront besoin de trois à cinq ans pour évaluer les différentes options. À l'issue, elles peuvent décider de rester chez VMware. Et cela ne nous pose aucun problème. Encore une fois, n'oubliez pas que nous ne vendons pas de logiciel ; notre mission consiste à assurer le bon fonctionnement en production de ces systèmes critiques. Si certaines organisations veulent migrer sur Nutanix, nous assurerons la maintenance également ! Cela n'a pas d'importance pour nous. Ce qui compte, c'est que l'entreprise puisse prendre la bonne décision pour ses besoins propres. Ce que nous offrons aux DSI et aux directeurs financiers, c'est la possibilité de dire à Broadcom et VMware : non, merci.

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