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Nadi Bou Hanna, directeur de la Dinum : « l'internalisation du pilotage des projets est un vrai sujet. »

Nadi Bou Hanna, directeur de la Dinum : « l'internalisation du pilotage des projets est un vrai sujet. »
Nadi Bou Hanna, directeur de la Dinum : « 20 points de gagnés sur la maîtrise des budgets évite près de 600 millions d’euros de dépenses. »

Nadi Bou Hanna, directeur de la Dinum (direction interministérielle du numérique), revient sur le 14e panorama des grands projets numériques de l'État, publié le 15 décembre 2021. Il s'agit du dernier qu'il est amené à présenter.

PublicitéCIO : pour commencer, pouvez-vous nous présenter le rôle de la Dinum en matière de pilotage des grands projets numériques de l'État et nous retracer son évolution ?

M. Nadi Bou Hanna : en 2012-2013, un rôle de pilotage a été confié à la direction devenue aujourd'hui la Dinum, après que quelques gros projets ont connu de graves difficultés, notamment autour des systèmes d'information RH. Le Premier ministre a demandé la mise en place d'un contrôle des grands projets numériques de l'État, afin de définir une trajectoire et un cadrage et d'augmenter les chances de réussite. Il s'agit de s'assurer que les projets ne dérivent pas, en intervenant à des moments clefs, par exemple quand un projet demande un budget supplémentaire.

Un seuil budgétaire a été fixé pour déterminer les projets à surveiller, à partir de 9 millions d'euros à la fois sur la phase de construction et les deux premières années de fonctionnement. Tout projet avec une telle enveloppe a vocation à être audité par la Dinum. Lors de ces audits, nous donnons un avis de conformité. S'il est négatif, le projet doit s'arrêter. Ce contrôle est donc quelque chose d'assez engageant et contraignant pour les ministères. C'est aujourd'hui un dispositif qui fonctionne depuis plusieurs années. Nous intervenons également quand un projet sollicite le FTAP (Fonds pour la transformation de l'action publique) mis en place par Amélie de Montchalin, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques. Chaque demande à ce fonds déclenche une mission d'audit et de contrôle. Nous essayons de réaliser ces contrôles le plus tôt possible, car cela augmente les chances de remettre sur les rails un projet qui dérive.

À mon arrivée à la Dinum, en 2019, j'ai souhaité compléter ce dispositif d'audit et de contrôle par un dispositif de conseil, pour ne pas se contenter de constater les problèmes, mais aussi aider le pilotage des projets à s'améliorer dans le temps. Nous avons alors créé un cabinet de conseil interne à l'État, en recrutant des consultants aguerris pour répondre aux sollicitations des ministères dans la phase amont des projets et durant la réalisation. Pour la Dinum, cela représentait un changement de posture, et cela a fluidifié notre relation avec les ministères.

CIO : venons-en au panorama. Celui-ci existe depuis 2016. Quelle est sa vocation ?

M. Nadi Bou Hanna : notre activité est transparente. Tous les six mois, nous publions des indicateurs pour rendre compte de la capacité de l'État à mener ces grands projets. Nous mesurons notamment le taux de glissement des projets, avec deux indicateurs, l'un sur les budgets et l'autre sur le respect du calendrier, pour nous assurer que les promesses initiales sont tenues. Il faut savoir qu'une majorité des projets suivis s'étalent sur 6, 7, 8 ans voir davantage. Sur de telles durées, les projets ont tendance à dériver. En 2019, les taux de glissement moyens des projets se situaient autour de 35% et 36%, quand dans le secteur privé, les taux moyens de glissement oscillent plutôt autour de 18 à 20%. Depuis, les indicateurs ont connu une amélioration constante, pour atteindre aujourd'hui 15,4% de taux d'écart calendaire moyen et 13,5% d'écart budgétaire moyen.

PublicitéCIO : concrètement, qu'est-ce que cela signifie ?

M. Nadi Bou Hanna : notre action vise à contenir les dérives pour se rapprocher des bonnes pratiques du secteur privé. Cette année, nous avons gagné 20 points par rapport à 2019, ce qui témoigne d'un travail de reprise en main assez conséquent. L'amélioration était déjà perceptible en décembre 2020 et s'est poursuivie en juillet. C'est une vraie dynamique de fond. Par ailleurs, l'ensemble des projets suivis représente un budget de plus de 2,6 milliards d'euros : 20 points de gagnés sur la maîtrise des budgets évite près de 600 millions d'euros de dépenses, c'est un moyen de faire des économies, pour l'État et pour les contribuables.

CIO : où en est cette activité de conseil et d'accompagnement aujourd'hui ?

M. Nadi Bou Hanna : initialement, trois personnes intervenaient sur le conseil. Aujourd'hui nous en sommes à une dizaine et l'activité est en hausse. L'équipe réunit des consultants expérimentés, désireux de contribuer à l'intérêt général en mettant leurs compétences au service de l'État. Nous n'avons pas vocation à développer une activité récurrente, nous intervenons avant tout de manière ponctuelle, en fixant des recommandations. Les ministères apprécient par ailleurs le fait que ces conseils soient désintéressés, sans enjeu de développement commercial.

CIO : au-delà des grands projets emblématiques, les ministères peuvent-ils s'approprier ces pratiques afin de mieux cadrer et piloter l'ensemble de leurs projets numériques?

M. Nadi Bou Hanna : collectivement, il y a tout intérêt à ce que chaque ministère internalise cette capacité d'appui et de pilotage des projets numériques, pour l'appliquer à des projets de toutes tailles. Il s'agit de mettre en place des opérateurs avec une certaine autonomie. Cela fait partie des discussions en cours. Le ministère des Armées est par exemple en train de mettre en place une telle approche, à travers la création de l'agence du numérique de défense.

Les contrôles et missions de conseil donnent également lieu à des actions de formation en amont auprès des directeurs de projets. Nous cherchons aussi à sensibiliser l'état-major des différents ministères sur les enjeux liés à la gouvernance des projets. Par exemple, des chaînes de décision pas suffisamment simples ni comprises peuvent aboutir à des dérapages. Une autre question concerne l'arrêt des projets en souffrance : comment procéder ? Ce n'est pas simple, mais il faut savoir le faire, quitte à aller au contentieux avec le prestataire défaillant. Ces savoir-faire ne sont pas encore très développés au sein de l'État, nous essayons de susciter une prise de conscience.

CIO : avez-vous quelques exemples de bonnes pratiques à partager, mais aussi de moins bonnes pratiques que vous avez pu observer ?

M. Nadi Bou Hanna : une bonne pratique qui me semble essentielle est de se confronter rapidement aux utilisateurs, qu'il s'agisse des citoyens ou des agents publics. Réaliser un MVP (produit minimum viable) le plus tôt possible est le meilleur moyen de détecter rapidement si un projet fait fausse route ou pas. Même un simple bouton « je donne mon avis », comme celui proposé pour l'observatoire de la qualité des démarches en ligne, est un indicateur très profond du caractère sain ou non d'un projet.

Inversement, une mauvaise pratique assez répandue est le grand projet infini. Si la durée du projet dépasse la durée de vie des directeurs de projets dans la fonction, c'est un mauvais signe, indiquant que le projet n'a sans doute pas été assez segmenté. Il vaut mieux prévoir des jalons pour réinvestir. Aujourd'hui, les administrations sont revenues de ces projets où l'on donnait carte blanche. Il existe encore quelques projets de ce type dans le stock suivi par la Dinum, mais leur proportion se réduit. Une de nos priorités est d'assainir le portefeuille de projets de l'État, en arrêtant les projets mal engagés, où la poussière a été poussée sous le tapis. Nous faisons en sorte que le flux des projets entrants mette en oeuvre les bonnes pratiques. La responsabilité de l'administration est de lancer des projets dont elle est en mesure de garantir le succès.

CIO : quels sont les objectifs et les enjeux liés à ces grands projets pour les prochaines années ?

M. Nadi Bou Hanna : nous sommes partis d'assez loin, mais l'objectif aujourd'hui est de maintenir les chiffres excellents que nous avons atteints au fil du temps. Ce serait déjà un bel accomplissement d'y parvenir.

Au niveau des enjeux, l'audit de la Cour des comptes en 2020 pointait le fait qu'il manquait des compétences internes pour réussir le pilotage des grands projets numériques. Pour moi, cette internalisation des fonctions critiques est un vrai sujet. Sur certains projets, nous avons constaté un taux d'externalisation de 90% : à ce niveau, les projets sont impossibles à piloter. Nous avons fixé un seuil de 70% maximum. Les ministères sont invités à réinternaliser une partie des fonctions clefs et à s'outiller afin de développer leur résilience sur le pilotage. Cette année, sur le Forum de l'emploi Tech de l'État, 400 postes sont à pourvoir sur le numérique. Amélie de Montchalin a d'ailleurs annoncé hier, le 15 décembre 2021, le lancement du site metiers.numerique.gouv.fr, mis en oeuvre par la Dinum, afin de présenter les opportunités de carrière dans le numérique au sein de l'État.

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