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Et si l'IA dopait la productivité au détriment de la motivation ?

Et si l'IA dopait la productivité au détriment de la motivation ?
Si elle n'est pas accompagnée, l'IA générative menace la motivation des employés et leur connexion avec leur travail. (Photo Unplash/Magnetme)

Les entreprises comptent sur l'IA générative pour augmenter la productivité. Mais si elle démotivait aussi les équipes, en les dépossédant de leur esprit critique et de la connexion à leur travail ? Pour y remédier, les DSI doivent porter une attention particulière aux workflows, à la culture et à la formation.

PublicitéSi l'on en croit éditeurs et DSI, l'IA générative est source de productivité et redonne aux équipes des tâches à valeur ajoutée, motivantes. Mais la réalité pourrait être bien différente... Certains employés se sentiraient en effet déconnectés de leur travail et ainsi se désintéresserait des processus d'apprentissage et abandonnerait leur esprit critique. L'IA stimule peut-être les performances, mais elle sape souvent la motivation.

« Les employés ont tendance à passer en pilote automatique, observe Mike Anderson, CIO de l'éditeur de solutions cyber pour le cloud Netskope. Lorsque quelqu'un colle du contenu généré par l'IA dans un courriel ou une présentation sans le relire ni l'éditer, il ne s'agit pas de productivité, mais bel et bien de désengagement. » Une récente étude expérimentale publiée dans la revue Scientific Reports confirme les inquiétudes du CIO. Les chercheurs ont découvert que, si l'IA améliorait les performances sur le moment, elle ne conduisait pas à de meilleurs résultats ensuite, quand les employés s'attaquent à des tâches similaires sans son aide. En outre, lorsque les sujets se remettent à de nouveau travailler en solo, nombre d'entre eux se disent moins motivés et s'ennuient davantage. En d'autres termes, l'IA nous permet d'être plus efficaces dans l'immédiat, mais au prix d'une réalisation fastidieuse, moins engageante et dénuée de sens des tâches suivantes.

L'ennui naquit un jour de l'automatisation

La question de la démotivation et de l'ennui au travail provoqués par les machines n'est pas nouvelle. Bien avant l'IA, les premières vagues d'automatisation ont suscité des inquiétudes similaires quant au désengagement des travailleurs. « Il y a un siècle, l'industrialisation et l'automatisation ont créé des emplois très routiniers, car la machine faisait tout, rappelle Chester Spell, professeur de gestion à la Camden School of Business de l'université Rutgers. L'alcoolisme, la démotivation et même le sabotage par les employés posaient un gros problème, ce qui a conduit à la création de programmes d'aide aux employés qui demeurent aujourd'hui des éléments importants au travail aujourd'hui ».

À mesure que l'IA s'intègre dans les workflows quotidiens, éliminant les frictions et accélérant les tâches, elle modifie non seulement notre façon de travailler, mais aussi notre perception de notre travail. Pour les managers qui cherchent à exploiter les capacités de l'IA sans compromettre l'aspect humain du travail, il est essentiel de reconnaître et de prendre en compte l'engagement, l'apprentissage et la motivation à long terme des employés.

Le coût d'un travail trop facile

On pense souvent que nous sommes faits pour réaliser des tâches faciles et obtenir des récompenses rapides. Or, ce n'est pas la simplicité qui nous stimule, mais le défi. Nous choisissons d'entreprendre des tâches à fort enjeu non pas parce qu'elles sont faciles, mais parce qu'elles sont suffisamment difficiles pour que nous ayons l'impression de mériter nos progrès. Nous sommes naturellement attirés par les tâches qui représentent un défi et quelque chose de nouveau. En bref, nous sommes câblés non seulement pour obtenir la performance, mais aussi pour grandir. Le juste milieu entre l'effort et la maîtrise est ce qui rend l'expérience satisfaisante.

Publicité« Un travail qui ne comporte pas de défis à relever peut réduire la motivation intrinsèque », confirme Eva Lermer, professeure de psychologie de l'entreprise et vice-présidente chargée de l'excellence dans la recherche et l'enseignement à l'Université technique des sciences appliquées d'Augsbourg, en Allemagne. Par exemple, nous n'avons la possibilité d'entrer dans ce que l'on appelle "l'état de flow" [état d'une personne absorbée dans une activité au point d'atteindre une concentration, un engagement et une satisfaction maximaux] que lorsque les tâches sont difficiles, mais que nous avons les compétences pour les maîtriser ». D'autres recherches montrent que la motivation dépend en grande partie de trois facteurs : l'autonomie, la compétence et la connexion avec la tâche. Lorsque ces besoins psychologiques sont satisfaits, les employés se sentent plus engagés, épanouis et liés à leur travail, même en l'absence de récompenses externes.

Le syndrome du copier-coller

« Si l'IA élimine tous les défis et incertitudes, elle peut également supprimer la possibilité de faire l'expérience du développement, de la maîtrise et de la responsabilité personnelle, ajoute Eva Lermer. Il en résulterait une tâche efficace, mais qui n'a pas de sens pour soi ». L'identité de nombreux travailleurs dits « de la connaissance » est étroitement liée au rôle qu'ils jouent dans la résolution des problèmes. Si l'IA prend en charge l'ensemble des processus de ce type, la personne qui accomplit habituellement ce type de tâche n'a plus le sentiment d'avoir accompli quelque chose et ne trouve donc plus de sens dans son travail. Paradoxalement, l'ennui et la perte de motivation peuvent survenir même lorsque les résultats objectifs s'améliorent.

« Lorsque l'IA prend en charge la majeure partie du travail intéressant, il n'y a plus de sentiment d'accomplissement parce que tout ce que vous faites, c'est du copier-coller, explique Eva Lermer. Il est probable que la personne se sente davantage comme un superviseur passif que comme une personne qui résout des problèmes avec succès. Cela nuit à l'estime de soi et à la confiance en soi ». Cela ne signifie pas que nous devrions éviter d'utiliser l'IA au travail, compte tenu de son immense potentiel. Mais pour qu'elle prenne toute sa valeur, il faut repenser la manière dont elle est intégrée.

Détecter la démotivation liée à l'IA

Lorsque l'on travaille avec des outils de genAI, il est facile de croire que tout se passe bien. Mais les DSI doivent aller au-delà des seules mesures de productivité et s'efforcer de détecter les signes subtils qui montrent que les employés s'ennuient. « L'un des signes les plus évidents se trouve dans cette culture du copier-coller, explique Mike Anderson. Lorsque les employés utilisent les résultats de l'IA tels quels, sans les remettre en question ou les adapter à leur public, c'est un signe de désengagement. Ils ont cessé de penser de manière critique ». Pour éviter cela, les DSI peuvent examiner de plus près la manière dont les équipes utilisent réellement l'IA. Un feedback honnête de la part des employés peut être utile, mais il y a souvent un fossé entre ce que les gens disent faire de l'IA et la façon dont ils l'utilisent réellement en pratique. Aussi, essayer de détecter des schémas d'utilisation du copier-coller peut aider à améliorer les workflows.

Les DSI devraient aussi être attentifs à la manière dont l'IA affecte les rôles et les identités de chacun, ainsi que la dynamique d'équipe. Lorsque des employés expérimentés ont l'impression d'être remplacés, ou lorsque des compétences précédemment appréciées sont mises de côté, le moral peut doucement chuter, même si la productivité reste élevée sur le papier. « Dans un cas, un expert senior qui avait l'habitude de répondre aux questions difficiles se sent remis en cause lorsque la direction commence à utiliser l'IA pour obtenir directement des réponses à ses questions, complète Mike Anderson. Sa motivation chute, car il a l'impression que sa valeur est remplacée par un outil ». Toutefois, avec le temps, il peut s'habituer à utiliser l'intelligence artificielle de manière plus tactique et découvrir qu'elle peut en fait atténuer les problèmes ponctuels et lui laisser de la latitude pour effectuer des tâches plus stratégiques. « Ce passage de la menace à l'autonomie est quelque chose que chaque manager devrait surveiller et soutenir », poursuit le CIO.

Repérer le silence et l'inaction

Ce dernier a également remarqué une forme subtile de résistance à l'IA de la part des équipes les plus créatives de l'entreprise. « C'est une réaction qui a davantage lieu sous la forme de silence et d'inaction, plutôt que dans le bruit, explique-t-il. Il est facile de ne pas remarquer ce genre d'évitement silencieux, pourtant il est important d'y remédier ». Comme pour tout changement technologique majeur, le vrai défi est d'ordre culturel. Pour réussir, il faut préparer les gens à travailler et à penser différemment, et à faire confiance aux nouveaux processus.
L'un des défis des DSI est de montrer aux employés que l'IA peut être un collègue, un collaborateur plutôt qu'un rival qui va les remplacer, et de leur montrer comment travailler au mieux avec cette technologie. « Nous formons les équipes à valider les réponses, à vérifier les faits et à affiner les résultats, et non à leur faire aveuglément confiance, explique Mike Anderson. Lorsque l'IA commet des erreurs, nous les utilisons comme des moments de coaching pour aider à améliorer la qualité des réponses et la pensée critique ». Ce type d'organisation va plus loin que la simple formation des employés, faisant de l'adoption de l'IA un processus pratique et compétitif et encourageant tous les employés à expérimenter.
Maintenir les performances dans le temps

« Cet automne, nous organisons un "prompt-a-thon" à l'échelle de l'entreprise, raconte Mike Anderson. Il s'agit de notre version d'un hackathon, axé sur la rédaction de prompts, la création de Gems [experts personnalisés dans Gemini Pro] et des cas d'usage NotebookLM. Les équipes créent des Gems spécifiques à un rôle, comme un architecte Salesforce ou un product owner, afin de rationaliser leurs tâches quotidiennes tout en restant connectées au travail ». L'objectif, comme il le précise, est de transformer les utilisateurs passifs en utilisateurs critiques, car la rédaction rapide de prompts et l'utilisation responsable de l'IA sont désormais des compétences essentielles.

Conserver des temps de réflexion

Mais pour maintenir à la fois la productivité et l'engagement dans la durée, les organisations doivent repenser les workflows, laisser la place au jugement humain et s'assurer que la technologie sert à mettre en lumière et non à éclipser les contributions humaines. « Les dirigeants devraient se préoccuper activement du contrat psychologique entre les employés et leur travail, et se demander si ils continuent d'apprendre, de se développer et d'être fiers de ce qu'ils font, estime Eva Lermer. Il faut également encourager une culture où l'utilisation de l'IA est considérée comme une compétence et non seulement comme un moyen de faciliter cette tâche.

La professeure de psychologie de l'entreprise conseille également aux DSI de concevoir des workflows qui intègrent des temps de réflexion. De cette manière, les employés peuvent s'arrêter pour évaluer et remettre en question les résultats générés par l'IA, ce qui renforce la pensée critique et maintient un sentiment d'appropriation du travail. Il est tout aussi important d'affiner en permanence la manière dont les outils alimentés par l'IA sont utilisés. « Cela signifie mettre en place des garde-fous, créer des programmes éducatifs et renforcer le jugement humain dans chaque workflow », complète enfin Mike Anderson.

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