Aux Etats-Unis, les conseils d'administration poussent les PDG à remplacer les informaticiens par l'IA

Le nombre considérable de licenciements dans le secteur de l'informatique en 2024 et au début de 2025 devrait se poursuivre outre-Atlantique, car les entreprises cherchent à améliorer leur efficacité grâce à l'IA tout en se préparant à une récession.
PublicitéLa vague de licenciements dans les technologies de l'information - avec plus de 238 000 emplois perdus en 2024 et 76 000 autres depuis le début de l'année - est là pour durer, car les entreprises se préparent à une récession potentielle et cherchent à réduire considérablement leurs effectifs grâce à l'utilisation de l'IA.
Si de nombreux partisans de l'IA ont minimisé le potentiel de cette technologie en matière de remplacement du travail humain, tel n'a pas été le cas au sein des conseils d'administration, affirment les experts en recrutement informatique. Nombre de ces structures de direction poussent désormais les PDG à réduire de 20 % les coûts de main-d'oeuvre, dans l'attente que l'IA prenne en charge les emplois supprimés, explique Camille Fetter, PDG de la société de chasseur de têtes Talentfoot Executive Search & Staffing.
Stimulées en partie par les craintes d'une récession à venir, de nombreuses entreprises donnent la priorité à l'efficacité et à l'agilité, ajoute-t-elle. « Les entreprises reconfigurent leurs organigrammes pour améliorer leur efficacité et réduire la pléthore de cadres intermédiaires, analyse Camille Fetter. Je participe constamment à des dîners de PDG et ils me disent tous : 'si vous n'avez pas de plans pour remplacer au moins 20 % de votre personnel par ces nouvelles technologies et tirer parti de ces gains d'efficacité, c'est que vous n'avez pas la bonne vision des choses' ».
Licenciements en série
Au cours du seul mois de mai, Microsoft a annoncé le licenciement de 3 % de ses effectifs, soit environ 6 000 personnes, après que son PDG Satya Nadella a indiqué que jusqu'à 30 % du code de l'entreprise était écrit par l'IA. Quelques jours plus tard, Walmart a annoncé 1 500 licenciements, dont des membres de son équipe IT. Moins d'une semaine après, la presse américaine indiquait qu'IBM avait licencié 8 000 personnes, dont de nombreux employés des ressources humaines remplacés par l'IA.
Outre la recherche d'efficacité grâce à l'IA, les dirigeants d'entreprises ont également élaboré des plans pour faire face à une possible récession, souligne Camille Fetter. Et ce, même si J.P. Morgan Research a réduit la probabilité d'une récession en 2025 de 60 % à 40 %.
Une évolution de la structure de la main-d'oeuvre
Pour Patrice Williams-Lindo, PDG de la société d'accompagnement professionnel Career Nomad, les entreprises qui cherchent à se développer délaissent les recrutements massifs au profit d'un redimensionnement sélectif. « Elles réduisent les emplois traditionnels tout en recrutant discrètement pour de nouveaux postes liés à l'IA, explique-t-elle. Les gros titres sur les pertes d'emplois masquent une réaffectation plus profonde de la main-d'oeuvre - de la maintenance des opérations vers les centres d'innovation et les rôles d'intégration de l'IA. »
PublicitéPatrice Williams-Lindo considère que l'impact de l'IA ne se limite pas à remplacer des emplois, mais qu'elle déplace également des ensembles de compétences. Le support IT de niveau intermédiaire, les tests d'assurance qualité et certains emplois en génie logiciel sont de plus en plus automatisés, dit-elle.
« Les licenciements dans le secteur de la technologie ne sont plus seulement une correction du marché, mais une restructuration discrète de l'ensemble du travail dans l'économie numérique, ajoute Patrice Williams-Lindo. « Et les travailleurs licenciés ? Ce sont souvent ceux-là mêmes qui l'ont construite. » Sauf que la technologie a toujours besoin d'employés pour la surveiller, ajoute-t-elle. « L'IA crée une nouvelle demande massive pour des professionnels requalifiés capables d'entraîner, de gérer et de gouverner ces systèmes, explique la PDG de Career Nomad. Ceux qui s'orientent vers la maîtrise de l'IA et l'éthique du numérique prospéreront. Ceux qui ne le font pas risquent d'être laissés pour compte. »
Remplacés par l'IA ou pas ?
Les professionnels de l'informatique qui survivront à l'environnement actuel devront être adaptables, disposer d'une certaine visibilité personnelle et augmentés par l'IA, dit-elle. « Nous sommes dans un marché du travail post-fidélisation », analyse Patrice Williams-Lindo. « La vraie question n'est pas de savoir si l'IA est utilisée pour supprimer des emplois, mais comment les dirigeants peuvent l'utiliser pour réimaginer les postes, améliorer les compétences des équipes et préparer l'avenir de leur main-d'oeuvre sans gommer tout aspect humain. »
Les travailleurs dotés d'une 'intuition' sur les produits et de compétences en matière d'IA touchent aujourd'hui les salaires les plus élevés, ce qui laisse présager un ensemble de compétences hybrides, selon Sam Wright, responsable des partenariats sur le site de recherche d'emploi Huntr.co. Patrice Williams-Lindo, de Career Nomad, et Camille Fetter, de Talentfoot, appellent toutes deux les informaticiens à développer leur expertise en matière d'IA, et les données de Huntr.co, collectées auprès des personnes en recherche d'emploi et des sites spécialisés, confirment cette nécessité.
Mais, même dans un marché de l'emploi informatique dégradé aux Etats-Unis en dehors de quelques zones métropolitaines comme Seattle et San Francisco, Sam Wright n'a pas encore constaté d'effort généralisé pour remplacer les informaticiens par l'IA, malgré les avertissements de Camille Fetter et de Patrice Williams-Lindo. « L'IA est davantage considérée comme un facteur de croissance que comme un facteur de coût à l'heure actuelle, estime-t-il. Nous constatons que les employeurs convoitent les employés qui utilisent l'IA pour accroître leur chiffre d'affaires ».
Les postes les plus menacés
D'autres observateurs prévoient, de leur côté, des licenciements liés à l'IA. Pour Nic Adams, PDG du fournisseur de sécurité automatisée 0rcus, cette vague va s'étaler jusqu'en 2026, et les administrateurs système, les spécialistes d'assurance qualité, le back-office IT et les emplois de management de niveau intermédiaire figureront parmi les postes les plus menacés.
« Les postes qui reposent sur un travail routinier et répétitif ou qui peuvent être automatisés par le biais de LLM, de scripts ou de RPA sont en passe d'être supprimés, explique-t-il. Seuls les spécialistes techniques liés aux infrastructures critiques, aux systèmes d'IA ou à la sécurité offensive sont réellement à l'abri de ces réductions. »
Les analystes de sécurité débutants, les agents du support technique de bas niveau, les testeurs et les techniciens de monitoring réseau risquent tout particulièrement d'être remplacés par l'IA, ajoute Nic Adams. « Les outils d'IA gèrent déjà la détection, le triage et la production des réponses de base plus rapidement que les humains. Plus le travail est régi par des règles, plus il est susceptible de disparaître définitivement », dit-il.
Si les craintes de récession et l'incohérence de la politique commerciale des États-Unis ont motivé certains licenciements dans le secteur IT, le catalyseur sous-jacent est l'automatisation systémique de ces opérations, selon Nic Adams. « Les entreprises exigent des équipes plus légères, une plus grande vélocité des opérations et une mise à l'échelle instantanée, explique-t-il. Le tiers inférieur des équipes existantes est remplacé, uniquement en raison des nouveaux modèles économiques qui prennent forme. Ce n'est pas seulement une question d'Opex et de réduction des coûts. »
Article rédigé par
Grant Gross, CIO US (adapté par Reynald Fléchaux)
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