Tribunes

La maturité de l'entreprise face à la transition vers le numérique

La maturité de l'entreprise face à la transition vers le numérique

« Le cheval porte son cavalier, mais c'est le cavalier qui conduit le cheval »
Vassily Kandinsky

L'ancien directeur de l'IMI (Institut du Management de l'Information de l'Université de Technologie de Compiègne) revient ici sur la lente maturation des entreprises en matière de numérique.

PublicitéLes 3 niveaux de maturité

Historiquement, nous avons successivement créé trois couches sédimentaires de métiers liés aux technologies de l'information : ceux de la direction informatique (DI) jusqu'aux années 80, ceux de la Direction des Systèmes d'Information (DSI) naissante et de ce que l'on pourrait appeler « l'école de la conception, de l'urbanisme et de la planification des systèmes d'information » (à partir de 1981), puis ceux de « l'école du positionnement stratégique » (1) qui avait pris son essor bien avant, en tant que processus créateur de valeur (Sun Tzu, von Clausewitz, BCG, Porter, Wiseman, ...). La fonction de CIO s'est développée au sein des grandes organisations. De puissants clubs, fédérations et associations se sont formés (Cigref, Syntec, AFAI, Club Urba-EA, Club des Pilotes de Processus, etc.).

Chacune de ces couches peut donner lieu à des critiques et des éloges mais leur présence respective s'explique si on analyse le contexte dans lequel chacune d'entre elle s'est insérée pour résoudre les problèmes de chaque période. Il serait trop long de les expliciter ici.

De mon côté j'ai tenté de clarifier la situation en inventant au début des années 80 une « échelle de maturité à 3 niveaux » qui refléterait ces trois couches sédimentaires. Je l'ai testé pendant plusieurs années sur de multiples cas concrets. En novembre 1986, je publiais dans les colonnes du Monde Informatique une étude sur la maturité en prenant pour socle 15 schémas directeurs des systèmes d'information. Trois niveaux de maturité s'en dégageaient :

- Maturité de niveau 1 : le regard est tourné vers le contrôle des technologies et des architectures applicatives ;

- Maturité de niveau 2 : le regard est tourné vers la maîtrise de l'information et les processus métiers ;

- Maturité de niveau 3 : le regard est tourné sur la communication et la valeur ajoutée imprégnée de la stratégie d'entreprise.

Diagnostiquer et connaître, ce n'est pas comprendre

Le diagnostic et le constat qui en découlaient étaient bons en soi mais ils ne suffisaient pas pour comprendre en profondeur les difficultés, les freins, les cloisonnements et les réalités des rapports SI /Métiers / DG. Connaître, ce n'est pas comprendre. Il m'a fallu encore six ans supplémentaires pour effectuer ce chemin entre la connaissance qui semblait analysée et appropriée et la compréhension profonde (2) des réalités au contact des responsables. Par exemple j'ai compris les raisons pour lesquelles la maturité de niveau 3 avait encore autant de difficultés à se concrétiser en entreprise. J'ai aussi compris pour quelles autres raisons certaines DSI en particulier dans des bureaucraties mécanistes, s'étaient réfugiées derrière le niveau de maturité 1. J'ai aussi compris que l'évaluation de la maturité présentée sous des formes 'scientifiques' ne se limitait qu'à une portion des réalités, vue sous l'angle des évaluateurs.

PublicitéEn réalité la maturité d'une organisation et de la gouvernance de l'information s'inscrivait dans un processus d'apprentissage collectif. Un fruit ne mûrit par sur une branche en trois jours. Une mesure à un instant déterminé n'a qu'une signification relative. Il faut une mise en perspective dans le temps du parcours de maturation collective avec la même échelle et répéter le même exercice à période fixe.

En 2006, j'ai donc récidivé avec la même échelle de maturité mentionnée ci-dessus (3) afin de vérifier d'une part sa solidité au contact de 23 nouvelles entreprises et d'autre part l'évolution de la maturité des responsables face au SI. Cette échelle résistait certes au temps car elle devint une référence au sein de la profession des systèmes d'information et fut utilisée dans de multiples études par d'autres professionnels des systèmes d'information.

Un changement de regard s'impose(...)

Notes
(1) Safari en pays stratégie, Henry Mintzberg, Bruce Ahlstrand, Joseph Lampel, Village Mondial, 1999

(2) Niveau de maturation 1 : Le schéma directeur d'informatisation de votre entreprise, Gérard Balantzian, Masson, 1982
Niveau de maturation 2 : Les schémas directeurs, Gérard Balantzian, Masson, 1985 et 1988
Niveau de maturation 3  : Les schémas directeurs stratégiques, Gérard Balantzian, Masson, 1992, chapitre IV

(3) Plan de gouvernance du SI, Gérard Balantzian, Dunod, 2006, chapitre 4




Un changement de regard s'impose

En revanche, au delà du diagnostic de maturité chiffré, le défi du numérique exige de l'entreprise une clarification de sa stratégie numérique car l'action à la vitesse de la pensée est devenue possible (4). C'est sur ce point que la cogouvernance® s'impose (5). En d'autres termes, l'usage optimisé d'un smartphone ou la rationalisation d'un processus ne suffisent pas à affirmer que l'usager a atteint un niveau optimal de maturité.

Notre regard doit changer de plan. En effet, la guerre de la propagande fondée sur le socle numérique mondial « montre un visage différent de la communication de masse développée en Occident » (6) de même que les influences de toutes sortes et le lobbying. De nouveaux pouvoirs tentent d'occuper le « vide » de la stratégie et le capitalisme dit « cognitif » oeuvre pour l'envahissement des esprits de l'opinion et des coeurs des consommateurs invités à être acteurs ? « L'obsolescence programmée » et le « jetable » sont une réalité et chacun d'entre nous est contraint (en particulier dans le domaine du logiciel) de s'aligner sur les tendances accélérées du marché pour ne pas être décalé.

Comme l'affirme Vassily Kandinsky, « le cheval porte son cavalier, mais c'est le cavalier qui conduit le cheval ». Mais sept questions surgissent dans mon esprit :

1 - Le cheval (socle numérique) a-t-il changé ?

2 - Le cavalier manager est-il déconcerté ?

3 - Le cavalier est-il mûr sur ce nouveau cheval ?

4 - A quelle vitesse court ce cheval ?

5 - Comment le cavalier doit-il conduire le cheval ?

6 - Peut-il maîtriser tous ses chevaux ?

7 - Quelle est la trajectoire et le cap à suivre lorsque l'incertitude et la complexité augmentent ?


Notes

(4) Le travail à la vitesse de la pensée, Bill Gates, Robert Laffont, 1995

(5) Gouvernance de l'information pour l'entreprise numérique, Gérard Balantzian, Hermès Lavoisier, 2013

(6) Le vide stratégique, Philippe Baumard, CNRS Editions, 2012, P. 89



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