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Jean-Philippe Faure, DSI Eiffage : « L'enjeu de demain, c'est l'interopérabilité des agents d'IA »

Jean-Philippe Faure, DSI Eiffage : « L'enjeu de demain, c'est l'interopérabilité des agents d'IA »
Jean-Philippe Faure, DSI d’Eiffage : « mon retour sur investissement, c’est le taux d’adoption, le nombre de prompts, le feedback des opérationnels. »

Eiffage a défini 15 cas d'usage prioritaires de l'IA générative, en misant sur un dispositif contrôlé, accompagné d'une formation obligatoire. Et le DSI étudie maintenant comment équiper les métiers d'agents d'IA spécialisés.

PublicitéCIO : Quelle était la genèse du projet IA au sein d'Eiffage ?

Jean-Philippe Faure : Au démarrage, nous souhaitions lancer une initiative autour de la data et de l'IA en construisant un data hub. Nous avions déjà des choses autour de la finance, mais la volonté de la direction générale était de voir si nous pouvions agréger d'autres données structurées ou non. Nous avons donc cherché une solution technique pour arriver à la fois sur ce data hub et aller ensuite vers des solutions d'IA. Il était possible de faire d'une pierre deux coups.

Quel a été le choix technologique ?

Nous avions déjà du Big Query de Google Cloud pour la finance, mais nous voulions quelque chose qui fédère toutes les données structurées ou non dans un même environnement. Après plusieurs tests, nous avons considéré que Big Query était la solution qui répondait à nos attentes. Puis avec la plateforme Vertex AI, nous allions avoir un package autour de la collecte, du traitement et de l'utilisation des données.

Vous saviez déjà que vous vouliez aller sur l'IA ?

Les technologies évoluent très rapidement. Nous avons signé avec Google Cloud en décembre 2023 et, dans les quatre premiers mois de 2024, nous avons mis en place nos fondations data. Et en mai 2024, nous avons fait notre IA Day en ayant à l'esprit de travailler pour toutes les branches du groupe, tous nos métiers, à travers des cas d'usage communs. Mon paradigme est de ne pas servir un roi, mais le plus grand nombre et qu'ils en tirent bénéfice dans leur vie quotidienne.

Vous avez démarré avec un petit groupe, comment avez-vous choisi ?

Nous avons travaillé avec une équipe de pionniers choisis par les métiers. Ils étaient une quarantaine avec une dizaine de personnes au sein de l'IT. Au total, une cinquantaine de personnes ont été sollicitées sur un cas d'usage. En premier lieu, nous avons vérifié si du point de vue de la data, nous étions capables de le traiter ou pas. Ensuite trouver le cas d'usage peut être difficile et compliqué, il peut bénéficier d'un effet whaoo moindre tout en ayant un impact plus important sur la productivité. Au final, nous avons élaboré 15 cas d'usage à livrer en un an. J'avoue que quand je vois mes confrères avoir 200, 300, 400 ou 500 cas d'usage, je leur dis soit vous êtes très riches, soit vous être très malheureux.

Pouvez-vous nous parler de ces cas d'usage ?

Le premier, c'est le cas qui fait le plus de sens d'un point de vue métier, c'est le DCE, dossier de consultation des entreprises. Nous répondons à des appels d'offres et c'est toujours la même structure. A travers des PDF de 500 à 600 pages, il faut trouver des points saillants, les enjeux. Cet exercice prenait deux jours en moyenne pour lire le document. Aujourd'hui, nous sommes passés à 20 minutes. Ce cas a été écrit par quelqu'un du métier.

PublicitéComment se passe l'acculturation sur l'IA générative ?

En accord avec notre direction générale, pour se servir de notre IA générative, il est impératif de suivre une formation au prompt de 80 minutes. Une fois cette étape accomplie, les salariés ont immédiatement accès à l'outil que nous appelons Le Chat, avec l'ensemble des prompts. Il est possible d'enrichir ce catalogue, je crois beaucoup dans l'intelligence collective. Et l'IA en est un révélateur. Par exemple, les requêtes pour le DCE ont été créées par un collaborateur de la région Ouest, puis d'autres salariés les ont enrichies.

Comment avez-vous intégré cette proposition ?

Nous l'avons itéré, puis nous avons réalisé les premiers tests auprès du métier, qui a donné un retour positif. Ensuite, nous avons passé le cas d'usage en salle de musculation avec un régime sportif pour le passage à l'échelle. Nous l'avons mis à disposition des salariés. Le prompt a été fait pour la construction, mais l'énergie peut l'utiliser. S'il faut faire une variante pour un autre métier et bien nous le faisons. Il y a eu une grande publicité en interne, mais finalement c'est le succès d'un collaborateur.


« Depuis la mise en place de notre solution, nous voyons une baisse des utilisateurs de ChatGPT, car les collaborateurs ont accès à une solution complètement sécurisée. Progressivement, nous allons interdire et bloquer les IA génératives. » (Photo : J.C.)

Pouvez-vous nous citer un autre exemple ?

Nous avons mené un autre travail sur la prévention. Le but, bien sûr, c'est d'éviter un accident. Nous avons réuni le code du travail, les normes Afnor, les 20 règles de sécurité fondamentales du groupe Eiffage. Le chef de chantier fait une photo, il la met dans l'IA et elle l'analyse sur la base de ce corpus documentaire. L'assistant donne des indications, des recommandations. Après, le chef de chantier reste le patron, c'est lui qui décide ce qu'il fait.
Dans un autre ordre d'idée, nous avons réalisé un test réel sur la partie RH avec Workday en intégrant toute la base documentaire dans notre assistant. Avec une simple requête en langage naturel, le collaborateur peut notamment trouver la dernière version d'un document. Avec le développement de ces cas d'usage, nous sommes maintenant dans la diffusion à d'autres métiers et la recherche de pionniers.

Avez-vous été confrontés au shadow IA ?

Oui, mais je n'ai pas voulu interdire ChatGPT. Interdire, si vous n'avez pas d'alternatives, c'est une décision qui est extrêmement contre-productive. Nous avons sensibilisé à la GenAI et puis nous avons choisi notre solution couplée au format en e-learning sur le prompt. Ce dispositif a été mis en place en février 2025. Depuis cette date, nous avons plus de 3300 demandes et environ 2600 ont terminé la formation. Avec cela, nous voyons une baisse des utilisateurs de ChatGPT, car les collaborateurs ont accès à une solution complètement sécurisée. Progressivement, nous allons interdire et bloquer les IA génératives en guidant les gens vers notre solution et la formation de 80 minutes.

Comment vérifiez-vous l'usage de l'IA ?

Le nombre d'utilisateurs uniques évolue quotidiennement, mais nous en recrutons une centaine par jour. Et les gens s'en servent. Nous disposons d'un outil d'analyse sur les prompts en fonction de la nature des demandes. Ainsi, 40% des requêtes concernent l'amélioration d'un texte pour le rendre attractif. Dans une même proportion, l'IA les aide à prendre une décision. 5% des prompts se focalisent sur le code. Même taux pour l'aide à l'utilisation d'un outil. Ces résultats peuvent être affinés par branche, par métier. In fine, nous voyons que cela touche tous les métiers et que cela fait du sens.

La tendance est autour des agents IA, est-ce que vous regardez dans cette direction ?

Les agents IA et la capacité à dialoguer entre eux sont l'actualité et l'avenir. Il faut que le métier valide cette inflexion, avec comme question : comment peut-on l'aider à aller plus vite et que chacun dispose de son agent ? Un point sur lequel nous travaillons. Je pense que demain, le métier aura son agent qui va l'aider à taper ses contrats cadres, faire les meilleurs choix en fonction des besoins. Par-contre, il est nécessaire d'assurer une interopérabilité entre les agents, sinon cela va être compliqué. Je regarde donc attentivement les progrès réalisés sur des protocoles comme A2A (agent to agent) de Google Cloud.

Cette interopérabilité est importante. Imaginons que demain pour différentes raisons Google change de politique. Nous avons eu le cas avec VMware ou Microsoft qui ont modifié leurs stratégies de manière drastique. Mon travail est de servir Eiffage, donc d'anticiper ce genre de chose. Il faut que je puisse rebondir. Le multicloud est une voie et pour l'IA, c'est la même chose. Nous avons lancé un programme Rise with SAP, qui intègre de l'IA. Avec Workday, il y a aussi de l'IA. Aujourd'hui, mon challenge réside dans l'interopérabilité.

Est-ce que l'IA va remplacer les salariés chez Eiffage ?

Les métiers vont se transformer, car nous apportons de la valeur avec l'IA. Et puis nous avons une particularité, 80% des salariés d'Eiffage sont actionnaires de la société. Nous n'allons donc pas virer nos actionnaires. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'impact. Il y a un volet RH extrêmement important. Comment allons-nous former nos collaborateurs et collaboratrices à de nouveaux métiers pour ceux qui vont être touchés ? Mais quand on voit la croissance du business, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.

Existe-t-il un retour sur investissement pour les projets IA ?

Je ne fais pas de ROI sur l'IA, car je ne suis pas favorable à cette approche sur les projets informatiques. Mon retour sur investissement, c'est le taux d'adoption, le nombre de prompts, le feedback des opérationnels... Quand vous faites un prompt qui va vous aider à enrichir votre offre, à prendre les meilleures décisions, vous êtes vraiment dans le métier. Pour moi, équiper chaque opérationnel d'Eiffage ou chaque fonction support d'un assistant IA, j'estime être dans mon métier.

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