Etude : l'impact de l'infrastructure IA sur l'environnement dérape sévèrement

The Shift Project publie un rapport détaillé sur l'empreinte énergétique et environnementale de l'IA et de ses datacenters. Pour le think tank, si l'explosion de la consommation électrique de ces sites n'est pas anticipée et planifiée, elle mettra en danger l'environnement, mais aussi l'approvisionnement d'autres secteurs.
PublicitéL'arrivée de la GenAI fin 2022 a accéléré la croissance de l'empreinte carbone du numérique, déjà importante, en multipliant le déploiement d'imposants datacenters dans le monde entier. C'est un des constats du rapport « Intelligence artificielle, données, calculs : quelles infrastructures dans un monde décarboné », publié le 1er octobre par le groupe de réflexion sur la décarbonation de l'économie The Shift Project. Selon ce dernier, la dynamique de l'IA, principal moteur de la croissance de la filière des datacenters, représente déjà 15% de leur consommation électrique mondiale. Une proportion qui pourrait atteindre 35% dans les 5 prochaines années, voire 45% d'ici à 2035.
Selon les chiffres de The Shift Projet, le numérique représentait déjà globalement près de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en 2020. Et 4,4% de l'empreinte carbone française en 2022, d'après une étude de l'Ademe. La même année, selon les deux mêmes organisations, le numérique pesait par ailleurs 10% de la consommation mondiale d'électricité et aussi 10% de la consommation française. La GenAI a ensuite enfoncé la pédale d'accélérateur.
Une position insoutenable des acteurs de la tech
Si la stratégie en matière de datacenters des acteurs du numérique, à commencer par les géants de la tech, suit sa courbe actuelle, The Shift Project estime qu'en 2030 « ses émissions directes de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale atteindraient entre 630 MtCO2e et 920 MtCO2e, soit jusqu'à 2 fois les émissions de la France » en fonction des différents scénarios de transition énergétique [...], « ce qui placerait la filière dans une position insoutenable au regard de la contrainte climatique ». Cette empreinte carbone inclut les émissions directes liées à la consommation d'électricité et celles générées par la construction des datacenters et la production du matériel qu'ils abritent (serveurs, équipements informatiques, infrastructures de refroidissement, bâtiment, etc.). Un niveau tel qu'il équivaut - pour 600 MtCO2e - aux trois quarts des émissions du transport maritime estimées par l'International Energy Agency en 2021. The Shift Project base son estimation sur les dynamiques initiées par le secteur en matière de consommation électrique et de contenu carbone de l'électricité consommée.
Le think tank a par ailleurs choisi d'étudier une hypothèse spécifique : « viser un objectif de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2050 pour la filière des centres de données, explique-t-il dans son rapport, constitue un scénario cible qu'il est pertinent d'explorer pour élaborer une stratégie long terme de neutralité climatique à horizon 2050 [Commission européenne, 2019] ». Or, pour atteindre cet objectif, il faudrait selon l'association fixer un seuil de consommation situé entre 200 TWh et 1000 TWh pour le secteur des datacenters, en fonction du succès de la stratégie de décarbonation de l'électricité ou de la réduction de l'empreinte carbone adoptées.
PublicitéUn argumentaire pour les DSI
« Nous sommes rentrés dans le sujet via notre prisme traditionnel, celui de l'effet offre et de l'effet usage, considéré comme une dynamique de boucle de rétroaction, précise par ailleurs Alexandre Theve, membre du groupe expert numérique du think tank. Autrement dit, le volume et la variété de l'offre génèrent de plus en plus de demande, qui génère à son tour de l'offre. De plus, en ce qui concerne l'IA, si la demande explose - ChatGPT qui n'a pas encore 3 ans, compterait quelque 700 millions d'utilisateurs hebdomadaires -, l'offre la précède de loin, et avec elle, les investissements massifs dans les infrastructures et leur potentiel impact climatique. »
Pour autant, pour un DSI chargé de la stratégie IA de son entreprise et sensible à l'empreinte environnementale de ses systèmes, difficile d'estimer l'impact réel. Si Google, OpenAI ou Mistral ont publié quelques éléments, ni eux ni aucun acteur du secteur ne fournissent d'éléments détaillés, transparents et fiables sur sa consommation énergétique, et donc son empreinte GES (gaz à effets de serre). Face au développement de l'IA et à l'évidence de son importance croissante dans le risque environnemental, The Shift Project s'est donc plongé dans la documentation et les études disponibles, et s'est entretenu avec plus de 70 experts du sujet, afin de dresser un portrait détaillé et argumenté de la situation. Une matière suffisamment dense pour au moins servir d'argumentaire aux DSI.
L'exemple inquiétant de l'Irlande
Pour le think tank, qui plus est, les conséquences de la situation vont au-delà de la seule empreinte environnementale liée à la consommation d'énergie. Les datacenters derrière l'IA se situant dans le monde entier, il faut tenir compte du mix énergétique concerné. De plus, qui dit datacenter, dit bâtiment, équipements électriques, électroniques et informatiques dont l'utilisation, mais aussi la fabrication ont un coût énergétique, et donc environnemental. The Shift Project souligne d'ailleurs la difficulté à identifier clairement l'empreinte de la fabrication des composants électroniques, nombreux et variés, dans la fabrication des serveurs.
Mais ce n'est pas tout... Le niveau du besoin en énergie des datacenters est tel qu'il met déjà en danger l'alimentation d'autres activités. Comme le rappelle le think tank, l'Irlande a ainsi attiré avec sa politique fiscale les centres de calcul de nombreux acteurs du numérique. Hugues Ferreboeuf, chef de projet 'numérique' de The Shift Project parle de croissance météoritique de la consommation des datacenters qui s'en est suivie. Elle est passée de 5% de la consommation du pays en 2015 à 20% en 2022 (avant la GenAI donc), quand la courbe de tous les autres secteurs restait stable. Cette proportion est cependant atypique, et reste à peu près 10 fois plus importante qu'ailleurs en Europe. Pour autant, « il est intéressant d'observer ce qui se passe en Irlande, car c'est le résultat d'une dynamique qui n'a pas du tout été anticipée » et qui pourrait se reproduire ailleurs.
Le goût retrouvé des énergies fossiles
La tension sur les réseaux électriques depuis 2022, notamment dans la région de Dublin où se situe la majorité des datacenters, entraîne l'incapacité à fournir suffisamment de production électrique à tous les usages. « Des projets immobiliers ont dû être interrompus, car l'alimentation électrique ne suivait pas, poursuit Hugues Ferreboeuf. Résultat, l'opérateur électrique irlandais a annoncé qu'il ne connecterait plus de datacenter autour de Dublin ». Mais les géants du numérique ont contourné l'obstacle de ce moratoire de fait, en se raccordant directement au réseau de gaz naturel, pour des projets de centrales dédiées. Un retour aux énergies fossiles qui aggrave ainsi encore leur empreinte environnementale.
Dans leur pays d'origine, les États-Unis, les éditeurs de GenAI ont entrepris des démarches similaires se tournant de nouveau eux aussi vers les énergies fossiles, gaz naturel et même charbon. xAI (Grok) dispose par exemple déjà de 400 MW de générateurs mobiles au gaz naturel et Meta compte construire 3 centrales à turbines à gaz (2,3 GW). Selon le rapport, 85 installations au gaz naturel destinées à des datacenters sont en cours de construction dans le monde. « Au total, les réseaux électriques du sud-est des États-Unis prévoient l'ajout de 20 GW de capacités au gaz naturel, ce qui pourrait représenter jusqu'à 80 MtCO₂e d'émissions annuelles si l'on exclut la capture et le stockage du carbone [source : Data Center Dynamics, 2025]. La Chine de son côté parie sur la charbon. Ainsi, non seulement les datacenters indispensables à la GenAI entraînent-ils une explosion de la consommation électrique mondiale, mais ils conduisent aussi à un retour des énergies fossiles dans le secteur numérique, et par conséquent dans toute l'activité économique.
Des conflits d'usage avec les transports
L'anticipation et la planification de ce type de conséquences du développement des datacenters constituent les clés de la limitation de leur empreinte, selon The Shift Project. Or, en France, comme en Europe, « à l'instar de l'Irlande, on n'anticipe pas les conséquences [de cette évolution] dans les scénarios de transition énergétique. Bien au contraire. À l'occasion du sommet sur l'IA, comme le rappelle Pauline Denis, ingénieure de recherche 'numérique' au Shift Project, la France s'est portée volontaire pour accueillir des datacenters sur 35 sites prêts à l'emploi dans le cadre d'un investissement total de 109 Md€. Un scénario qui, s'il se concrétise, ferait passer selon le think tank, la consommation des datacenters en France, de 2% de la consommation totale du pays aujourd'hui à 7,5% en 2035. Et pourrait entraîner, si elle n'est pas planifiée, des conflits d'usage avec « des secteurs dont la décarbonation complète ne peut passer que par leur électrification, comme les transports ou le chauffage ». Pour The Shift Project, la prise en compte du numérique, et en particulier du développement des datacenters derrière la GenAI, dans les stratégies de transition énergétique est indispensable. Et elle passe aussi par une prise en compte du secteur en tant que tel et non au travers d'autres filières. RTE analyse ainsi désormais les chiffres de consommation électrique des datacenters dans la catégorie industrielle, et non plus tertiaire.
Les acteurs de la GenAI, et surtout les pays où les datacenters fleurissent, doivent ainsi s'interroger dès maintenant sur l'impact de ces infrastructures sur l'environnement et sur l'activité économique. Et à l'échelle du DSI, le think tank rappelle qu'il est possible de se tourner vers des solutions d'IA plus frugales, comme les SLM, et surtout de ne pas choisir systématiquement l'IA comme solution à tout, comme l'évoque par exemple la Macif dans son manifeste pour une IA éthique.
Article rédigé par

Emmanuelle Delsol, Journaliste
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