Didier Bonnet : « la transformation numérique ne peut pas réussir sans le DSI »


De l'IT et des hommes
S'il n'est de richesse que d'hommes, c'est également vrai pour le numérique. Les hommes sont au coeur de la transformation numérique. Et la gestion du changement est nécessaire. Peut-être paradoxalement, le numérique peut aussi servir à améliorer les relations humaines, notamment entre des...
DécouvrirDidier Bonnet est Corporate Vice-President et Global Practice Leader au sein de Cap Gemini Consulting. Il porte également l'offre Transformation Digitale de CapGemini. Co-auteur avec George Westerman et Andrew McAfee de Leading Digital : Turning Technology into Business Transformation, publié par Harvard Business Review Press, aujourd'hui traduit sous le titre Gagner avec le digital aux éditions Diateino, il nous explique la raison d'être de cet ouvrage. Parce que la révolution numérique n'est pas une option pour les entreprises. Extrait exclusif de l'ouvrage (PDF, 2,5 Mo).
PublicitéCIO : Pourquoi avez-vous souhaité contribuer à un nouvel ouvrage sur la transformation numérique alors qu'il en existe déjà un certain nombre ?
Didier Bonnet : Nous avons commencé à sérieusement regarder le sujet vers 2009. Quand nous avons écrit notre livre, beaucoup d'articles et d'ouvrages traitaient de la révolution numérique dans quelques secteurs économiques précis comme les médias ou le logiciel. En tout, ces secteurs représentaient à peu près 6% de l'économie mondiale. Il restait donc 94% de l'économie mondiale à étudier !
Au premier chef, il y a tout le secteur industriel. Et transformer une industrie traditionnelle de grande taille, cela n'a rien à voir avec créer une start-up !
Deuxième point, il fallait remettre un peu d'ordre dans les concepts avec une vision peut-être plus académique, face à des manques de définition et du saucissonnage des idées. Enfin, on voyait qu'il y avait des changements importants dans l'expérience client, dans le rôle de la DSI, dans les modèles économiques des entreprises... Les sujets étaient très larges. Mais il manquait une feuille de route pour le PDG.
CIO : Comment s'est déroulée la collaboration avec George Westerman et Andrew McAfee ? Pourquoi avoir travaillé avec eux ?
Didier Bonnet : Nous travaillons ensemble depuis 2010. A l'époque, le thème était moins courant qu'aujourd'hui. Chez Capgemini, nous avions regardé qui travaillait sur le sujet. Le MIT, avec sa dimension technologique et son école de commerce intégrée au beau milieu, s'est rapidement imposé.
Quand nous nous sommes rencontrés, nous avons rapidement constaté notre accord sur une vision commune de la transformation des grandes entreprises. Et nous sommes complémentaires : Andrew a plutôt une vision macro-économique et sociétale, George plus tourné vers l'entreprise et la DSI, et moi vers le consulting en grandes entreprises avec un profil d'économiste.
Nous avons mené notre recherche durant trois ans et nous avons écrit le livre la quatrième année.
CIO : Est-ce que le DSI doit être le pilote de la révolution digitale alors même que la transformation concerne toute l'entreprise ? Si non, quel doit être son rôle et qui doit être ce pilote ?
Didier Bonnet : La transformation numérique est un sujet très horizontal, transverse à tous les silos classiques de l'entreprise. On y trouve l'expérience client comme la performance industrielle ou la réduction des coûts. De ce fait, vous avez raison, la question « à qui appartient le sujet de la transformation numérique ? » se pose bien.
Nous sommes dans un cas très différent des transformations fonctionnelles d'il y a quinze ans. Les sujets, à l'époque, étaient très délimités, avec des objectifs également très clairs, comme l'optimisation des coûts. La responsabilité de chaque projet était, à l'époque, évidente.
Sur la transformation numérique, nous avons vu tous les modèles. Bien entendu, l'idéal est le pilotage par le haut avec le PDG qui devient le pilote enthousiaste de cette transformation. Cela a été le cas chez Burberry ou Starbucks.
Si la transformation est focalisée sur un point précis, c'est la direction en charge de ce point qui va devenir le pilote. Typiquement, si la focalisation se fait sur l'expérience client, ce sera le marketing. D'autres modèles existent et peuvent être pertinents.
Mais, dans tous les cas, il est indispensable d'avoir une gouvernance serrée. Et il est impossible de réaliser et de réussir une transformation numérique sans le DSI. Quand on essaie, on va toujours droit à l'échec. Cela dit, il y a bien un besoin de changer les approches et les modes de collaboration entre métiers et DSI.
PublicitéCIO : Ce n'est pas un discours universel...
Didier Bonnet : En effet, certains éditeurs SaaS -par exemple- vont voir les métiers avec la promesse de ne pas travailler avec la DSI. Mais c'est un mensonge !
Après, tout dépend de ce que l'on entend par « DSI ». Il est parfois possible de scinder l'IT en deux, avec une notion d'« IT à deux vitesses » : d'un côté l'IT traditionnelle, de l'autre l'IT digitale agile, parfois sous le contrôle d'un Chief Digital Officer voire du marketing.
Parfois, le CDO est un facteur d'accélération. Parfois, on le voit dans le rôle d'un arbitre entre marketing et DSI qui se battent . Dans ce cas, il arrive que la bataille à deux DSI/marketing devienne une bataille à trois CIO/CMO/CDO.
Pour faire comprendre de quoi il s'agit, lorsque l'on parle de transformation numérique, de plus en plus d'entreprises emmènent tout leur comité exécutif visiter quelques start-up. La prise de conscience est alors généralement plus forte.
CIO : Les entreprises sont-elles toutes menacées par la révolution digitale si elles échouent à profiter de ses opportunités ? Peut-on espérer « passer entre les gouttes » ?
Didier Bonnet : Dans un premier temps, sans doute. Mais c'est bien une question de temps. Certaines entreprises ont raté le virage numérique dans un secteur encore protégé ou en forte croissance avec une concurrence également en retard. Mais l'exemple d'Uber démontre qu'une entreprise peut surgir à tout moment et imposer de nouveaux standards d'expérience client en utilisant le numérique.
Le deuxième risque est opérationnel. En effet, le numérique permet de baisser les coûts et d'accroître la performance. Si une entreprise a optimisé sa performance grâce au numérique, elle sera plus profitable que ses concurrents qui ne l'ont pas fait. Ceux-ci seront donc rapidement en difficulté.
CIO : Pouvez-vous nous expliquer en quoi la transformation numérique impacte aussi l'entreprise en interne, notamment sur le management des équipes ?
Didier Bonnet : C'est là aussi un point très important. En effet, l'expérience client, c'est le côté sexy de la transformation numérique, un arbre qui cache la forêt. Or, dans « transformation numérique », il y a « transformation », donc changement. Il faut donc, comme dans tout changement, faire évoluer les hommes et changer les méthodes managériales. Les méthodes militaires verticales de jadis ne sont plus appropriées.
Les managers intermédiaires souffrent dans ce passage au management collaboratif, c'est à dire un management nettement plus horizontal. Il en résulte un certain malaise managérial.
Enfin, les prises de décision sont de plus en plus basées sur l'information analysée. Il faut donc des managers aptes à nager dans les données et, surtout, à manager de façon plus transparente. Auparavant, il fallait choisir entre la direction centralisée autoritaire et la délégation flexible au terrain. Aujourd'hui, avec le numérique, on peut très bien concilier une certaine liberté et une grande flexibilité au terrain, au plus près des clients, tout en supervisant au niveau central.
Plus généralement, on parle beaucoup d'entreprise numérique, mais on en est véritablement au début. Les modèles managériaux vont encore beaucoup évoluer.
CIO : Investir, convaincre la direction générale et le comité exécutif, inciter et accompagner le changement, motiver les collaborateurs à épouser la révolution numérique... Tout cela suppose de pouvoir montrer un retour sur investissement, même non-financier. Comment peut-on le prouver et le mesurer ?
Didier Bonnet : La transformation se fait dans la durée et c'est une vraie difficulté. Il est très compliqué de démontrer quelque chose sur des temps brefs, comme celui d'un exercice annuel ou, pire, d'un quarter. Des éléments comme la croissance de l'engagement client sont difficiles à mesurer : nous commençons tout juste à définir des indicateurs-clés (KPI) pour l'étudier. Si le Big Data est bien mis en oeuvre, c'est plus facile, même si tout ce qui relève de l'expérience client reste compliqué à étudier.
A l'inverse, pour la partie opérationnelle, il est plus facile de calculer un impact sur les coûts. Nous pensons donc que, dans les années à venir, ces types de projets de transformation numérique vont prendre le pas sur ceux concernant l'expérience client, simplement parce que leur rentabilité est plus simple à calculer. Un bon exemple est la refonte des back-offices bancaires.
Mais nous avons la conviction d'un impact financier évident. Dans le cadre de notre recherche, nous avons cherché une corrélation entre les niveaux de maturité numérique et les résultats financiers. Et ces liens existent. L'exemple de Burberry est d'ailleurs particulièrement parlant puisque l'entreprise a fortement remonté ses résultats.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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