Stratégie

Bertrand Munch (DILA) : « notre culture a déjà basculé vers le numérique »

Bertrand Munch (DILA) : « notre culture a déjà basculé vers le numérique »
Bertrand Munch est préfet, directeur de la DILA (Direction de l'information légale et administrative). - (c) DILA
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°97 !
Dépasser les contraintes imposées pour conduire la transformation des organisations

Dépasser les contraintes imposées pour conduire la transformation des organisations

La sécurité est de plus en plus réglementée. Loin d'être une contrainte, cette réglementation est un outil à utiliser. Il faut cependant être conscient que les seules règles imposées ne sont pas suffisantes pour définir une stratégie. C'est également vrai pour l'ensemble des contraintes imposées à...

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Bertrand Munch est préfet, directeur de la DILA (Direction de l'information légale et administrative) qui a été créée par fusion des Journaux Officiels et de La Documentation Française. La bascule vers le numérique y a commencé depuis plusieurs années. Une nouvelle étape va être franchie avec la fin des Journaux Officiels en format papier. De nombreux autres chantiers sont en cours.

PublicitéCIO : Quand le Journal Officiel Lois et Décrets va-t-il totalement basculer en mode numérique avec disparition de l'édition papier ?

Bertrand Munch : Cette bascule aura lieu au 1er janvier 2016. Mais la transition s'amorce depuis une dizaine d'années au niveau des différents Journaux Officiels. Le BOAMP (Bulletin Officiel des Annonces de Marchés Publics) est ainsi totalement numérique depuis 2012 et le BODACC (Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales) le sera avant la fin de l'année 2015.
A l'époque du tout-papier, le Journal Officiel Lois et Décrets disposait de 70 000 abonnés payants. La chute est en moyenne de 20% par an. Le 45 grammes (par référence au grammage du papier) n'a plus aujourd'hui que 1800 abonnés payants. A l'inverse, la version électronique a 70 000 lecteurs quotidiens.
Nous pouvons donc affirmer que notre culture a déjà basculé vers le numérique et que nous arrêtons juste un service qui avait perdu ses clients. Nous menons des enquêtes qualitatives comme des enquêtes de satisfaction et tout montre que nos lecteurs ont déjà basculé. Ils apprécient la fiabilité de notre service malgré de très fortes exigences. Les demandes portent surtout sur des outils de recherche plus performants mais il ne faut pas oublier que notre service est gratuit et s'adresse aux professionnels. Il n'est donc pas forcément pertinent de mettre en place, par exemple, des dictionnaires de correspondance entre des termes grand public et des termes juridiques.

CIO : Comment réalisez-vous cette transition vers le numérique, notamment pour vos équipes et vos moyens techniques ?

Bertrand Munch : Bien sûr, nos effectifs évoluent à la baisse sur le long terme. Mais notre objectif n'est absolument pas d'arrêter l'impression. Nous reconvertissons nos moyens techniques -parfois récents- de l'édition officielle vers l'imprimerie de labeur pour les autres administrations. Cela implique d'aller chercher le client. Pour l'édition papier, nous sommes dans une logique de prestation de service sur un marché qui se resserre à grande vitesse.
Depuis toujours, les autres administrations ont le choix entre faire un appel d'offres au secteur privé (mais nous pouvons aussi y répondre) et faire appel à un service interne comme nous. Par contre, nous sommes un service du Premier Ministre et pas un EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial). Nous ne pouvons donc pas nous adresser au secteur privé.
Tout comme nous, les grands acteurs de l'impression -je pense par exemple à Jouve- prennent tous le virage vers le numérique et la gestion de l'information.

CIO : Et vos personnels suivent ?

PublicitéBertrand Munch : La chaîne de conception, de la composition à la publication, a été largement automatisée, ce qui a pour effet de baisser la quantité de travail manuel. Certaines personnes continuent de craindre de perdre leur emploi alors que, en fait, ils évoluent. Aujourd'hui, beaucoup de nos collaborateurs ont ainsi obtenu un métier plus intéressant et aux missions plus riches.

CIO : Comment l'exigence de fiabilité et d'opposabilité des Journaux Officiels a-t-elle évolué avec le numérique ?

Bertrand Munch : Nous avons en effet une obligation absolue de zéro défaut. Nous devons publier exactement ce qui a été voté, décrété ou décidé selon les procédures appropriées.
Pour cela, nous faisons évoluer nos processus de gestion des textes. Nous disposons notamment d'un nouvel outil depuis l'an dernier pour gérer la chaîne de publication avec ses processus de contrôle et d'approbation.
Mais nous avons un rôle nettement plus large que les seuls Journaux Officiels et notre évolution concerne l'ensemble de notre périmètre.

CIO : C'est à dire ?

Bertrand Munch : Notre grand chantier actuel est le développement du site Service-Public.fr et l'évolution de la Documentation Française. La mutation du papier vers le numérique concerne en effet non seulement toutes nos éditions propres mais aussi les autres donneurs d'ordre publics qui ont recours à nos services.
De plus, nous devons évoluer de la documentation purement régalienne vers une documentation de débat public. Nous devons donner de l'information appropriée à tous les citoyens désireux de s'informer.
Nous diffusons ainsi des collections comme Doc'en Poche (avec les séries Regard d'Expert, Entrez dans l'actu et Place au débat) qui regroupe des ouvrages en format poche à prix très accessible en donnant des informations très concrètes, rédigés par des experts (comme des chercheurs universitaires). Cette collection s'adresse à des citoyens qui s'interrogent sur un sujet plus ou moins d'actualité. La sortie de l'ouvrage doit donc être rapide.





Notre objectif en 2015 est que toutes les publications qui relèvent de notre initiative propre sortent en même temps en mode numérique e-Pub et mode papier. La version électronique est bien sûr plus facile à mettre à jour. Nous réfléchissons aussi à des versions purement web/HTML de certains ouvrages, notamment ceux qui compilent des questions ou des fiches.
Concernant nos activités pour le compte de tiers, notre action dépend bien sûr de la commande. Parfois l'édition est purement numérique.


CIO : Mais le propre du numérique n'est-il pas d'être interactif, par opposition au papier ?

Bertrand Munch : Tout à fait. La DILA s'occupe, comme nous l'avons vu, des Journaux Officiels, très structurés et destinés aux juristes ou aux autres professionnels, et auxquels sont associés des outils d'indexation ou de recherche. Par ailleurs, nous éditons une documentation recomposable destinée au citoyen éclairé.
Mais la DILA est également en charge de Service-Public.fr qui vise à l'information pratique du citoyen. Et nous avons de ce fait aussi en charge Mon.Service-Public.fr qui est totalement interactif par nature puisqu'il s'agit de réaliser des opérations en ligne en relation avec les administrations.
L'objectif est de couvrir toute la chaîne de l'information (par exemple : comment signaler un changement d'adresse ou s'inscrire sur les listes électorales) à l'action (réaliser les démarches en ligne liées aux informations obtenues). Les actions doivent pouvoir être opérées auprès des bonnes administrations, y compris du point de vue de la compétence territoriale, par exemple la mairie du domicile de l'internaute (si celle-ci est partenaire).
Nous proposons un outil numérique industrialisé disponible 24h/24 et sept jours sur sept. C'est utile autant aux citoyens qu'aux administrations qui sont nos partenaires. Une étape suivante sera un véritable coffre-fort numérique sous forme de porte-document personnel dans lequel on pourra stocker les documents et informations qui sont régulièrement demandées par les administrations et les partager avec celles-ci au fil des demandes.


CIO : Quelles sont vos relations avec la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication) ? N'empiétez vous pas sur leurs prérogatives en lien avec la création de l'Etat Plate-Forme ?

Bertrand Munch : Non, il n'y a pas de difficulté de cet ordre. La grande ligne générale reste que la DISIC donne les règles et la stratégie. Et la DILA n'est qu'un prestataire numérique comme les autres. La création de la DISIC a été une excellente idée qui est en train de réellement améliorer la gouvernance de l'Etat.
Sur certains sujets, nous travaillons bien sûr en étroite collaboration. Le Porte-Document et le Dites-le moi une seule fois en sont de bons exemples. De même, la DISIC va mettre en oeuvre France Connect, un passe-partout pour tous les dossiers administratifs. Avoir une clé, c'est bien. Mais il faut des serrures à ouvrir. Comme ce que nous proposons.
Bien entendu, faire passer une bonne idée au stade du service suppose un gros travail. Et, dans nos locaux, de nombreuses SSII travaillent en mode agile avec des équipes internes sur différents projets de démarches en ligne. Physiquement, les équipes de France Connect sont d'ailleurs dans nos locaux.


CIO : Comment a été menée la mutation culturelle en lien avec la transformation numérique ? La transformation est-elle toujours possible ?

Bertrand Munch : Comme déjà mentionné, le virage a été pris depuis des années. La publication sur le site journal-officiel.gouv.fr du Journal officiel en PDF certifié (lequel basculera sur Légifrance en 2016) est effective depuis une dizaine d'années. Pour l'anecdote, le pneumatique entre le Sénat, l'Assemblée Nationale et les Journaux Officiels, qui transmettait en format papier les textes à publier, s'est arrêté le 6 janvier 2004. Mais il reste des motards qui nous apportent régulièrement des documents papier.
Cela dit, vous avez raison de mentionner certaines difficultés. Certaines données n'étaient pas publiées sur l'édition numérique du Journal Officiel, comme les décrets validant les changements de noms. Si la majorité des données doivent être les plus exploitables possibles, d'autres, à l'inverse, ne doivent pas l'être a posteriori.
Avec la disparition de l'édition papier, tout sera publié sur Internet. Mais nous allons mettre en place un système pour empêcher l'indexation. Il sera tout de même possible de lire tous les numéros du Journal Officiel un à un à la recherche d'une information. De ce fait, la sécurité sera similaire à celle du Journal Officiel papier qu'un lecteur pouvait toujours scanner en tout ou partie avant de l'OCRiser.

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