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NexSIS : la facture s'alourdit, mais le potentiel d'économies est toujours là

NexSIS : la facture s'alourdit, mais le potentiel d'économies est toujours là
Malgré l'inflation de la facture, le projet NexSIS peut déboucher sur de réelles économies, du fait des effets de mutualisation entre services départementaux d'incendie. (Photo : ANSC)

Evalué en 2018 à 150 M€, la facture du projet de mutualisation des systèmes d'information des services d'incendie et de secours a doublé. Pourtant, tout n'est pas noir dans cette initiative, dont le potentiel d'économies atteint le milliard d'euros.

PublicitéAprès l'échec de Scribe, le projet de modernisation de l'application de saisie de PV des policiers, un autre projet informatique du ministère de l'Intérieur suscite l'attention de la Cour des comptes. Dans un rapport publié en fin de semaine dernière, la Cour des comptes tire la sonnette d'alarme concernant la modernisation et la mutualisation des systèmes d'information des SIS (services d'incendie et de secours), soit le projet NexSIS porté par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), un opérateur dont la gouvernance est partagée entre l'Etat, les collectivités et les associations professionnelles de sapeurs-pompiers, mais qui est placé sous la tutelle de deux directions à Beauvau, dont sa direction de la transformation numérique (DTNUM).

Si les conclusions de la Cour concernant NexSIS restent mesurées - loin du constat très noir dressé pour Scribe -, les Sages s'inquiètent de la dérive des coûts et de calendrier sur ce projet. En 2018, au lancement du projet, un premier examen par la Direction interministérielle du numérique (Dinum), dans le cadre de sa mission de sécurisation des grands projets, évalue la modernisation du système des SIS à 150 M€ sur 10 ans. Un montant qui sera réévalué à environ 180 M€ par deux autres audits, dont le dernier date de 2022. Sauf que les documents transmis par l'Intérieur lors des projets de loi de Finances montre une sérieuse inflation de la facture.

En attendant NexSIS, les éditeurs facturent au prix fort

Première mauvaise surprise en 2024, avec un coût estimé à 225 M€ sur 10 ans par Beauvau. Et, en 2025, nouvelle envolée de la facture qui passe cette fois à 300 M€ sur une durée allongée de 4 ans (2018-2031). « Ce dernier chiffrage, bien que portant sur une période plus longue que les précédentes, traduit une nouvelle dérive significative du coût complet du projet », souligne la Cour des comptes. Entre le premier audit de la Dinum et le dernier chiffre donné par l'Intérieur, la facture a tout simplement été multipliée par deux.

Et ce, sans même compter quelques effets de bord, comme l'augmentation des coûts des systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO) actuellement exploités dans les services d'incendie et de secours. « Les SIS dont les systèmes étaient au bord de l'obsolescence ou dont les contrats approchaient de leur terme ont été particulièrement pénalisés », souligne la Cour des comptes, les éditeurs de ces solutions passant des augmentations de tarifs de 10 à 20% par an depuis 2021-2022, du fait de l'arrivée prochaine de NexSIS appelé à les supplanter. Puisque le client est appelé à les quitter, autant en profiter !

PublicitéLes insuffisances du cloud Pi

Pour autant, le bilan dressé par la Cour des comptes reste mesuré, soulignant les difficultés qu'a traversées le projet, les acquis de NexSIS et son « potentiel d'économies ». D'abord, une partie du dérapage budgétaire s'explique par le fait que le projet a dû être repensé. La faute aux insuffisances du cloud Pi du ministère de l'Intérieur sur lequel NexSIS était censé s'appuyer. « L'ANSC a [...] rapidement fait le constat que le Cloud Pi n'offrait pas de garanties suffisantes en matière de disponibilité (fréquence des interruptions de service et durée de rétablissement) pour héberger la solution NexSIS », écrit la Cour des comptes, ce qui a obligé l'agence à se tourner vers un prestataire externe (Scaleway). Cet échec a eu pour conséquence l'impossibilité d'utiliser le Réseau interministériel de l'Etat (RIE) pour raccorder les SIS. « L'abandon du recours au Cloud Pi [...] a conduit à abandonner l'utilisation du RIE. En effet, d'une part, le recours à ce réseau n'était plus justifié par la contrainte technique de conserver l'ensemble des flux en interne au ministère et, d'autre part, le déploiement des premiers SIS au RIE s'est avéré plus long qu'initialement anticipé », écrit la rue Cambon. Ce qui a poussé l'ANSC à bâtir une infrastructure réseau de collecte et d'acheminement des appels d'urgence spécifique, baptisée Secourir et confiée à Orange. Bilan : des délais supplémentaires et des surcoûts significatifs (82 M€ selon le projet de loi de finances 2025).

Ensuite, la Cour des comptes souligne les acquis du projet. A commencer par Secourir, bâti sur une technologie IP, que la Cour décrit comme « un projet précurseur de modernisation des communications d'urgence ». Notamment par ses capacités de résilience ou d'interopérabilité, permettant de gérer des afflux d'appels et de mettre en oeuvre des formes d'entraide entre SIS. S'y ajoute la mise en oeuvre réussie de la technologie AML (Advanced Mobile Location), permettant une géolocalisation précise, à quelques mètres près, des appels émis depuis des mobiles Android et iOS.

Un milliard d'économies potentielles

Enfin, malgré un retard de trois années, NexSIS est aujourd'hui entré dans une phase opérationnelle. La solution a été déployée dans trois départements entre fin 2023 et fin 2024 (Corse-du-Sud, Var, Indre-et-Loire), avant de s'étendre à 6 autres au premier semestre 2025 (Seine-et-Marne, Nièvre, Ardèche, Ain, Lot et Deux-Sèvres). L'ANSC vise une mise en oeuvre de la solution dans 78 SIS d'ici fin 2027. Pour la Cour des comptes, ce calendrier reste un défi car, faute d'obligation légale, les SIS rejoignent le projet sur la base du volontariat, poussant l'ANSC à consacrer « une énergie importante à les démarcher et à établir des conventions de financement attractives, au cas par cas ». Un poids pour une agence ne comptant que 25 personnes et affichant un taux d'externalisation de 94% sur la construction de la solution NexSIS.

Malgré ce bémol, le rapport de la rue Cambon souligne que le potentiel du projet est bel et bien toujours là. Le projet a été construit sur l'hypothèse du remplacement des SGA-SGO utilisés par les SIS départementaux par NexSIS, soit un gain estimé alors à environ 600 M€ sur 10 ans. La Cour des comptes estime que les économies apportées par NexSIS et Secourir se chiffrent désormais plutôt à 470 M€ à l'issue du déploiement de ces systèmes. Mais que des gains supplémentaires du même ordre sont possibles via « une réorganisation et une mutualisation des centres de traitement des appels des SIS, aujourd'hui départementaux ». Un palier qui porterait l'économie totale à 1 Md€ sur 10 ans, mais qui passe par une mobilisation du ministère autour d'une telle stratégie de mutualisation. Une démarche « aujourd'hui inexistante », regrette la Cour des comptes.

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