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Arrêt Oracle - Faurecia 2 : une réponse difficile à une question légitime.

Arrêt Oracle - Faurecia 2 : une réponse difficile à une question légitime.

Une analyse juridique d'une des affaires les plus longues et les plus coûteuses en droit informatique ayant eu lieu en France. Article sur le sujet.

PublicitéQuelles sont les conditions de validité d'une clause limitative de responsabilité ? On pourrait penser que cette interrogation légitime a trouvé depuis longtemps dans notre droit sa réponse. Il n'en est étonnamment rien. Le hasard judiciaire a fait de cette question le centre d'un litige informatique fleuve.

L'affaire Oracle contre Faurecia est aujourd'hui célèbre. Initiée en 2000, elle vient de connaître son dénouement le 29 juin 2010 par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Il s'agit du deuxième arrêt prononcé par la Haute juridiction dans cette affaire qui fera date, au-delà du droit des contrats informatiques, pour l'ensemble de notre droit contractuel.

Une question essentielle du droit des contrats

Notre société et notre économie même reposent sur le principe du respect des contrats : « Pacta sunt servanda ». Notre code civil traduit ce principe dans son article 1134 qui dispose : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».

Ce qui conduit les parties liées à un contrat à respecter les obligations contractées est l'assurance qu'elles seront sanctionnées si elles s'y dérobent. C'est l'article 1147 du même code qui pose ce principe. Mais à l'opposé, l'engagement n'est possible que s'il peut être maîtrisé, si ses conséquences en sont prévisibles : le prestataire doit être en mesure d'évaluer l'indemnisation qu'il devrait à son client s'il n'était pas en mesure de délivrer la prestation convenue.

Les clauses limitatives de responsabilité sont donc un instrument essentiel du contrôle du risque pour un prestataire. Elles viennent limiter le montant de  l'indemnisation qu'il devra à son client en cas résolution du contrat suite à un manquement de sa part. Mais pour garder toute sa force obligatoire au contrat, il ne peut être envisagé qu'une clause limitative de responsabilité vienne rendre dérisoire cette indemnisation : si la sanction de l'inexécution contractuelle devient insignifiante, le juge craint que la force exécutoire du contrat en souffre.

La jurisprudence a construit plusieurs théories pour tenir en échec les clauses limitatives de responsabilité. Traditionnellement, il est jugé que la « faute lourde » du débiteur lui interdit de se prévaloir de la clause limitative. Plus récemment, dans les années 90, la Cour de cassation a développé une jurisprudence autour de la notion « d'obligation essentielle » : si la clause limitative de responsabilité fait échec à l'obligation essentielle du prestataire, elle sera réputée non écrite.

Entre tous ces principes et ces notions, c'est un « tuning » délicat que les juges ont bien du mal à opérer. La saga Oracle - Faurecia l'illustre à merveille.

Une saga judiciaire

PublicitéPour mémoire, Faurecia avait souhaité déployer sur l'ensemble de ses sites, un logiciel intégré. Conseillée par un assistant à maîtrise d'ouvrage, elle avait porté son choix sur une version en cours de développement d'un progiciel Oracle. Un contrat de licence, un contrat de support technique et un contrat de formation, puis un contrat de mise en oeuvre du logiciel avaient donc été conclus. Dans l'attente de la disponibilité de la version attendue du progiciel, il avait été en outre décidé par les parties qu'une solution provisoire serait installée sur ses sites ibériques, ceux-ci étant confrontés à la nécessité de changer de logiciel pour passer l'an 2000. Cette solution provisoire a toutefois connu de graves difficultés et la version attendue du progiciel ne lui étant pas livrée, Faurecia a cessé de régler les redevances. Assigné en paiement par l'éditeur, Faurecia a demandé la résolution pour inexécution de l'ensemble des contrats conclus.

La Cour d'appel de Versailles, retenant la responsabilité d'Oracle, avait toutefois fait application de la clause limitative de responsabilité stipulée en l'absence de démonstration par Faurecia d'une faute lourde du prestataire.

Dans un premier arrêt du 13 février 2007, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles pour violation de l'article 1131 du code civil, considérant que le manquement par Oracle à « une obligation essentielle », à savoir la non-livraison de la version attendue du progiciel, écartait l'application des clauses limitatives de responsabilité.

Statuant sur renvoi après cassation, la Cour d'appel de Paris décidait de résister et refusait de faire application de la ligne directrice qui venait d'être tracée par la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 26 novembre 2008, la Cour d'appel de Paris, bien que relevant que le prestataire, en ne livrant pas la version attendue du logiciel, en considération de laquelle le client avait signé les contrats, avait manqué à une obligation essentielle, décidait de faire application de la clause limitative de responsabilité prévue contractuellement.

La Cour d'appel relevait que :
- cette clause avait été librement négociée et acceptée par le client, « équipementier automobile au niveau mondial, rompu aux négociations et averti en matière de clauses limitatives de responsabilité » ;
- cette clause n'avait « pas pour effet de décharger par avance (le prestataire) du manquement à une obligation essentielle lui incombant ou de vider de toute substance cette obligation, mais seulement de fixer un plafond d'indemnisation qui n'est pas dérisoire puisque égal au montant du prix payé par le client au titre du contrat de licence » ;
- Faurecia ne démontrait pas l'existence d'une faute lourde imputable au prestataire, la preuve n'étant pas rapportée que ce dernier ait eu « conscience du dommage qu'il allait causer » ou qu'il ait commis « une faute d'une gravité telle qu'elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ».

Un dénouement en trompe l'oeil

A la suite de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, Faurecia formait un nouveau pourvoi devant la Cour de cassation.

La Haute juridiction était donc amenée à clore définitivement le débat sur la question de la validité de la clause limitative de responsabilité du contrat Oracle. Dans sa décision du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejoint la Cour d'appel de Paris et confirme l'application de la clause limitative de responsabilité telle que stipulée dans le contrat entre Faurecia et Oracle.

Elle approuve la Cour d'appel d'avoir considéré que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l'obligation essentielle de la société Oracle. Elle considère également qu'aucune faute lourde n'avait été démontrée à l'encontre de la société Oracle et que cette faute ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur.

La validité d'une clause limitative de responsabilité reste donc toujours subordonnée à l'appréciation judiciaire de son degré d'impact sur l'obligation essentielle du prestataire. Ces deux éléments de l'équation restent difficiles à apprécier. Dans un contrat complexe, comme peut l'être un contrat informatique, quelle est l'obligation essentielle du prestataire ?

Des enseignements pour les rédacteurs de contrats

On retiendra néanmoins quelques enseignements pragmatiques de cet arrêt :
- Le plafond d'indemnisation fixé au prix du contrat licence n'a pas été jugé dérisoire.
- L'effort consenti sur le prix (en l'espèce 49% de taux de remise) vient limiter le droit à réparation du client : plus les prix sont « serrés » plus le quantum de l'indemnisation en cas d'échec sera réduit.
- La mention selon laquelle « les stipulations du contrat répartissent le risque entre les parties » et que « les prix convenus reflètent cette répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résulte » est appréciée par les juges comme confortant la validité de la clause limitative de responsabilité.

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