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Facture électronique : comment un projet IT à Bercy a fait échouer la réforme

Facture électronique : comment un projet IT à Bercy a fait échouer la réforme
Trop ambitieux en termes de fonctionnalités, souffrant d’un calendrier trop tendu, le projet PPF, mené par une agence dépendant de Bercy, n’a pu être développé à temps pour être au rendez-vous de la réforme. (Photo : Arthur Weidmann)

Le report de la réforme visant à généraliser la facturation électronique a été accueilli avec un ouf de soulagement par nombre d'entreprises. Mais elle résulte avant tout du retard d'un projet central dans sa mise en oeuvre, le Portail public de facturation (PPF). Le nouveau calendrier qui se dessine table désormais sur un retard d'environ un an.

PublicitéEn plein coeur de l'été, la mise en oeuvre de la facturation électronique, qui devait débuter le 1er juillet 2024, a été reportée sine die. Certes, ce décalage était souhaité par nombre d'entreprises qui estimaient le calendrier de l'État trop acrobatique. Mais il résulte surtout du retard pris par Bercy sur ce qui apparaît, sur le plan technique, comme la pierre angulaire du dispositif : le Portail Public de Facturation (PPF), développé par une agence dépendant du ministère des Finances, l'AIFE (Agence pour l'Informatique Financière de l'État).

Dans une réunion organisée le 14 septembre, avec un ensemble d'entreprises impliquées dans la réforme (la Communauté de relais), la DGFiP (la Direction générale des finances publiques) a confirmé que le PPF ne serait pas prêt en fin d'année 2023 comme prévu - pour de premiers tests -, mais plutôt à l'automne 2024. Sans plus de précision à ce stade. Lors de cette même réunion, la DGFiP a levé le voile sur un nouveau calendrier de mise en oeuvre de la réforme, prévoyant une poursuite des développements du PPF en 2024, une phase pilote plus poussée que ce qui était prévu à l'origine courant tout au long de 2025 pour une mise en production en deux ou trois phases à partir de mars 2026.

« On s'attendait à un retard de 6 à 8 mois. Là, on parle plutôt du double. Tous les business plans sont décalés de deux ans », soupire Olivier Taligault, directeur de programme réglementation de Basware, un éditeur candidat pour devenir PDP. Derrière ce nouvel acronyme se cachent les Plateformes de dématérialisation partenaires, des solutions privées appelées à se connecter au PPF pour gérer les flux de factures électroniques des entreprises. Sans PPF, c'est tout le dispositif qui est gelé, y compris la certification de la vingtaine d'entreprises qui souhaitent devenir des PDP. Tant et si bien que la DGFiP étudie une précertification des plateformes partenaires pour permettre aux entreprises de commencer leur migration vers les nouveaux processus 100% dématérialisés. Les éditeurs que nous avons contactés réfléchissent désormais à lancer de premiers tests, visant à valider l'interconnexion entre PDP, sans la brique centrale que doit fournir l'AIFE. « On peut travailler en V, en testant tout ce qu'il est possible de tester sur les flux entre PDP », assure Christophe Viry, le directeur du marketing produit de Generix, autre éditeur positionné sur ce marché.

Un retard qui va alourdir la facture du PPF

Publicité« Ce retard nous est signifié assez tard, regrette Cyrille Sautereau, le président du FNFE (Forum national de la facture électronique). Des entreprises avaient investi pour être prêtes aux dates indiquées ; pour elles, le décalage de calendrier signifie davantage de coûts et un ROI décalé dans le temps. Quant aux start-ups qui ont levé des fonds pour développer une PDP, la décision de report les met dans une situation difficile. » Les éditeurs de PDP craignent également de voir les entreprises se détourner du sujet et relâcher les efforts qu'elles ont entrepris. Un récent baromètre de Generix, auprès des ETI et grandes entreprises, indique qu'environ trois quarts d'entre elles pensaient être prêtes pour l'échéance du 1er juillet 2024. Avec, pour certains grands groupes, des factures de mise en conformité salées (on parle de plusieurs dizaines de millions d'euros). Par ailleurs, tout risque de nouveau dérapage du calendrier ne peut être écarté, le PPF restant à ce jour une application en développement que les éditeurs de PDP n'ont pu ni approcher ni tester.


Le futur mécanisme de facturation électronique qui dématérialise la relation entre clients et fournisseurs. Un schéma en Y qui confère un rôle central au futur Portail public de facturation. (Crédit : AIFE)

D'ores et déjà, le nouveau calendrier se traduira inévitablement par des coûts supplémentaires pour le PPF, un projet coûteux pour les finances publiques avant même les inévitables rallonges budgétaires que ce décalage de calendrier suppose. Dans un avis datant de janvier dernier, la Dinum (Direction interministérielle du numérique), la DSI de l'Etat, évaluait la facture du PPF et de l'adaptation des SI de la DGFiP à 122 M€, auxquels s'ajoutent 44 M€ par année de fonctionnement. Cet avis de janvier 2023 prolonge d'ailleurs un premier avis de cette même Dinum sur le même sujet, datant de mai 2022. Lors de ce premier round, la DSI de l'État n'avait eu accès qu'à un dossier incomplet, le cadrage du projet n'ayant pu être achevé pour cette première saisine de cet organisme chargé d'auditer les grands projets IT de l'État. « Une singularité », selon la Dinum, visant à permettre le lancement des marchés de réalisation, donc la construction du PPF confiée à des prestataires. En particulier, la conception et le développement du PPF pour lesquels l'AIFE a opté en août 2022 pour le duo Capgemini et CGI, pour un montant de 21 M€. Cette singularité indique aussi combien, dès le lancement du projet, le calendrier paraissait ambitieux.

Des spécifications mouvantes

Par ailleurs, si le PPF a reçu le blanc-seing de la Dinum pour le lancement du PPF (un avis conforme), cette dernière soulignait dans son avis certaines faiblesses du projet. En particulier le manque d'indicateurs d'avancement et d'impact, permettant « d'évaluer le bon déroulement du projet », ou encore le besoin de finaliser au plus vite les choix structurants du projet sur l'architecture, la stratégie de tests ou encore la migration des données existantes. Surtout, la Dinum observait : « en dehors du préremplissage de la déclaration de TVA et de l'outil de visualisation des données, le dossier [soumis à son examen, NDLR] ne présente pas de manière détaillée les cas d'usage qu'offre le recueil des données induites par la facturation électronique et l'impact recherché au regard de l'investissement que représente le projet et son coût de fonctionnement. Or leurs instanciations peuvent avoir une incidence non négligeable sur le planning, le budget, et remettre en cause certains choix structurants du projet. » Autrement dit, la Dinum a alors constaté que Bercy et l'AIFE n'avaient pas fini d'écrire les spécifications fonctionnelles détaillées, alors même que les prestataires avaient lancé le développement du PPF, un point d'ailleurs souligné par plusieurs interlocuteurs interrogés dans le cadre de cet article. L'avis de la Dinum en janvier dernier stipulait encore : « l'équipe projet doit instruire au plus tôt l'ensemble des cas d'usages et identifier l'ensemble de leurs conséquences : techniques, fonctionnelles, financières et sur la feuille de route du projet ». Manifestement, cette recommandation n'a pu être mise en oeuvre à temps.

Contactées, ni la DGFiP, ni l'AIFE n'ont donné suite à nos sollicitations.

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