Eurotunnel soigne la santé de ses infrastructures avec la data et l'IA

Pour maintenir une infrastructure qui voit circuler 400 trains par jour 24h/24, Eurotunnel a fait appel à l'IA et organisé sa data. Et vient de se doter d'une solution qui donne à ses experts métiers une vision et un moyen d'action sur toutes les données de santé du tunnel sous la Manche et de ses équipements.
Publicité400 trains circulent quotidiennement et 24h/24 dans le tunnel sous la Manche. « Des trains qui plus est extrêmement lourds, insiste Denis Coutrot, chief data and AI officer de Getlink (Eurotunnel). Les ouvrages en béton, rails, caténaires, équipements de ventilation, etc. subissent des sollicitations uniques au monde. » La maintenance d'une telle infrastructure hors norme impose ainsi une exigence de haut niveau. D'autant qu'à cette problématique, s'ajoute la perspective du renouvellement des infrastructures à des rythmes différents, mais longs, entre 7 ans pour certaines voies et une trentaine d'années pour les éléments en béton.
Le tunnel doit par ailleurs afficher un niveau particulièrement élevé de disponibilité qui impose une maintenance à la hauteur. Avec des défis comme l'impossibilité de fermer le tunnel dans sa totalité, mais uniquement section par section, la réorganisation nécessaire de la circulation, avec des trains parfois temporairement à contresens par exemple, et le pré-positionnement des équipes dans les portes d'accès. Autre spécificité, « certains incidents ont peu d'occurrences, mais des impacts forts qui nous pénalisent, ajoute Denis Coutrot. Les arrachements de caténaires arrivent très rarement par exemple, mais peuvent entraîner des arrêts de circulation de trente minutes à 4 heures. »
De la computervision pour surveiller les caténaires
Pour anticiper les incidents, les régler et les éviter, Getlink développe des outils de surveillance à base d'IA, un socle data sur les équipements et leur maintenance, ainsi que des outils d'exploitation de cette data. Et il vient juste de se doter d'une solution destinée à étudier l'historique des événements et à investiguer ces incidents. Getlink a ainsi mis en place un premier dispositif, avec des caméras et de la computervision, pour aller au-delà des seules inspections visuelles du tunnel. Une solution qui cible précisément les caténaires.
Les pendules qui relient le câble porteur et le câble conducteur de la caténaire (le second est celui sur lequel le pantographe du train glisse) peuvent, par exemple, se dépositionner ou s'abîmer sous l'effort demandé à la caténaire. Depuis deux ans, Getlink a déployé un camion appelé Camcat développé par ses équipes. « Nous le faisons entrer dans le tunnel sur les shuttles de fret et il scanne la voûte tout au long du linéaire, explique Denis Coutrot. À partir d'une analyse manuelle ou avec de l'IA, l'équipe d'ingénierie digitale peut ainsi identifier de manière très précise des défauts sur les caténaires. »
Denis Coutrot, chief data and AI officer de Getlink (Eurotunnel) - (Photo RF)
Getlink a développé des modèles de machine learning capables d'identifier les défauts à partir des images prises par le Camcat. « C'est un exemple emblématique, parce qu'à partir de l'étude de ces pendules qui soutiennent la caténaire, l'équipe d'ingénierie digitale s'est aperçue que nous pouvions répliquer l'approche sur d'autres composants ». Getlink peut, en effet, respécifier un modèle pour une même vidéo, mais cette fois pour l'ensemble des éléments de la caténaire sur la voûte qu'il souhaite monitorer. Un travail considérable, car il faut réentraîner le modèle, l'améliorer, et ce, pour tous les éléments monitorés lors de l'ensemble des campagnes de surveillance.
PublicitéAnticiper un problème une heure avant qu'il survienne
Autre exemple, celui des circuits de voie. Des courants qui, selon qu'ils circulent ou non dans les rails, indiquent la présence ou l'absence d'un train. « Le voltage de ces circuits de voie peut diminuer pour différentes raisons, explique Denis Coutrot. Nous récupérons les signaux, et nous les analysons là aussi avec des modèles pour le monitoring, afin d'envoyer une alerte au moins une heure en avance. » Développé en début d'année par les équipes de data scientists et mis en service courant 2025, ce modèle de machine learning anticipe déjà 60% des défaillances. Getlink le laisse tourner quelques mois, avant de le réentraîner pour en augmenter les performances.
Les scans et les analyses du Camcat remontent par exemple des données telles qu'une image annotée de la façon suivante : « pendule défaillant au point kilométrique 28, avec une épissure qui commence à se dérouler ». Pour exploiter l'historique de ce type de data, Getlink les stocke dans un datalake Snowflake, et a défini des data domains pour les organiser. « Chez nous, ces data domains sont très concrets, précise le Chief data and AI officer. Il s'agit de toutes les données liées à la voie ferrée, toutes celles liées à la caténaire, etc. » Ces différentes couches de données permettent de réaliser un tableau de bord de la santé des différents actifs de l'ensemble du tunnel.
Exploiter toutes les data pour investiguer les incidents
En 2023, Eurotunnel a, par ailleurs, réalisé un PoC avec la solution de maintenance préventive par la data et l'IA du Français Railwai, destinée spécifiquement aux réseaux ferroviaires. Eurotunnel voulait mettre à disposition de ses experts métiers toutes les données sur la santé de l'infrastructure, l'historique des incidents ou les ordres de travaux dans leur domaine de spécialité, pour que non seulement ils exploitent ces data, mais qu'ils interagissent avec elles. Le projet a été un temps laissé de côté, même si son ergonomie avait beaucoup séduit par rapport à des tests d'outils de BI trop semblables à PowerBI dont elle dispose déjà, ou qui nécessitaient trop de développement. L'exploitant du tunnel sous la Manche vient donc de signer pour exploiter Railwai. « Alors que nous ne réalisions que du reporting, insiste Denis Coutrot, nous allons disposer d'une capacité d'investigation, à condition d'avoir déroulé notre stratégie data en amont ». Un atout pour la maintenance, mais aussi pour la vision à long terme des actifs ferroviaires de Getlink.
Outre cette capacité d'investigation, ce sont les expertises à la fois data et IA, et des métiers du ferroviaire que l'entreprise a appréciées. « Quand les experts parlent aux experts directement, nous gagnons beaucoup de temps, se félicite ainsi Denis Coutrot. Nous sommes sur des métiers extrêmement techniques. Et ils ont aussi une équipe qui travaille sur l'IA, ce qui nous intéressera dans un second temps. »
Un projet de 3 à 6 mois
Getlink a tout juste signé son contrat avec Railwai à la rentrée, et va décider, dans le cadre d'une réunion de lancement à venir, de la mise en forme de la data dans l'outil, de la façon dont les données seront poussées vers les experts, etc. La préparation au lancement devrait prendre entre 3 et 6 mois, Getlink ayant déjà réalisé un imposant travail sur ses domaines de données, avec des vagues de 6 mois par domaine, une durée nécessaire à la collecte, au sourcing, etc. « Pour l'instant, notre politique consiste à faire converger toutes les données vers le datalake pour les pousser dans Railwai et nos autres applicatifs, précise Denis Coutrot. Quitte, à terme, à pousser dans l'autre sens des données enrichies depuis Railwai vers le datalake. »
Article rédigé par

Emmanuelle Delsol, Journaliste
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