La filière logistique collabore face aux développements de l'IA

À l'occasion du SITL 2025, Ceva Logistics, Daher, Renault Group et la plateforme européenne de recherche en innovation Alice ont partagé les nombreux cas d'usage de l'IA dans la logistique, mais aussi les enjeux et obstacles à son développement. Pour progresser et ne pas réinventer la roue, les acteurs de la filière, même concurrents, travaillent de plus en plus ensemble.
PublicitéS'il est un secteur complexe et soumis à l'incertitude, c'est bien celui de la logistique. À l'occasion du SITL 2025 qui s'est tenu à Paris début avril, plusieurs acteurs du métier sont venus témoigner des usages de plus en plus nombreux de l'IA pour justement faire face plus efficacement. Que l'on parle optimisation des processus, des flux de marchandises, des trajets de transport ou des ETA (estimated time of arrival), voire de gestion de l'énergie ou de l'emballage, etc., et surtout de préparation face aux aléas, les pistes d'exploitation de l'IA et de la genAI sont nombreuses et de nature très variée. Au point que les acteurs de la filière, souvent concurrents, se regroupent néanmoins, au sein de réseaux comme France Supply Chain ou d'autres structures collaboratives pour partager cas d'usage et pistes de travail. Des représentants de Ceva Logistics, Renault Group, Daher et de l'alliance for logistics innovation through collaboration in Europe (Alice) présents au SITL ont détaillé leurs réflexions et avancements individuels et collectifs en la matière.
Optimiser les expéditions ou les opérations de douane
Olivier Storch, DGA de Ceva Logistics rappelle ainsi que la filiale logistique du géant du transport maritime de marchandises CMA-CGM se sert déjà de l'IA depuis plusieurs années. « Nous travaillons avec l'IA à tous les niveaux de la chaîne, ajoute-t-il. Pour optimiser nos expéditions à l'international ou pour rendre les opérations de douane plus efficientes, par exemple. Nous avons aussi mis en place un jumeau numérique de notre activité qui nous donne les moyens d'optimiser nos opérations avec l'IA ». Le prestataire marseillais travaille de cette façon sur le planning de ses équipes ou la gestion des pics et des creux d'activité. Or, pour lui, gagner quelques points de productivité de cette façon, c'est conserver la confiance du client.
Olivier Storch, DGA de Ceva Logistics.
Comme le raconte également Olivier Storch, avec l'IA, l'entreprise augmente également sa capacité à anticiper des solutions pour s'adapter aux nombreux aléas inhérents au métier. « Fin 2023, par exemple, nous avons subi l'impact du phénomène El Niño. La sécheresse qui en a résulté au Nord-Brésil a en effet rendu impossible l'escale des grands porte-conteneurs dans certains ports de la région », raconte-t-il. Une difficulté majeure impossible à anticiper. Mais pour le DGA de Ceva Logistics, c'est le type de situations dans lesquelles l'IA peut accompagner les experts de l'entreprise pour disposer par exemple de façon préventive d'un report modal vers le transport routier. L'enjeu est central, selon lui, car les clients de Ceva Logistics attendent de l'agilité et de la rapidité de réaction.
PublicitéCollaboration dans la filière
Mais le logisticien marseillais travaille aussi avec Daher et 6 autres organisations au sein d'un collectif pour l'innovation logistique sur des sujets d'innovation majeurs comme la digitalisation, la robotisation et l'automatisation, et l'IA. Ce collectif a été créé en mars 2025 au sein de l'association France Logistique qui réunit les représentants de la filière. Alexandre Lima, senior manager business development supply chain chez Renault Group, travaille aussi au sein d'une structure collaborative transverse, le Lab Digital & Technologies de France Supply Chain. Ce groupe de travail réunit des représentants de différentes organisations afin de réfléchir à la transformation digitale de la logistique en s'appuyant sur les cas d'usage identifiés par chacun. En 2024, il s'est saisi du sujet de la genAI pour le comprendre et le démocratiser. « Après avoir sondé la communauté sur les cas d'usage, raconte Alexandre Lima, nous en avons sélectionné deux sur lesquels travailler. Les prédictions et les prévisions, d'une part, l'anticipation de la demande du client pour gagner en qualité de service, d'autre part. Nous regardons la maturité des entreprises, la structuration des data, le ROI, les points de vigilance, etc. ».
Alexandre Lima, senior manager business development supply chain chez Renault Group.
Autre preuve de l'intérêt actif de la filière pour une collaboration autour de l'IT et de l'IA, la plateforme européenne de recherche, d'innovation et de développement de marchés dans la logistique et la supply chain Alice (Alliance for logistics innovation through collaboration in Europe). Cette plateforme regroupe ainsi des transporteurs et logisticiens de tous types, mais aussi des industriels comme L'Oréal, Procter & Gamble ou encore Michelin qui l'a récemment rejointe. Ils travaillent sur 5 grands axes dont « systèmes d'information pour une logistique interconnectée ». Mais les 4 autres thématiques, logistique urbaine, corridors, durabilité et sécurité de la supply chain et coordination et collaboration globale au sein de la supply chain sont tous concernés également par le digital.
Une fragmentation trop importante des projets
« Pour l'instant, nous sommes encore au coeur du buzz en matière d'IA, estime Fernando Liesa, secrétaire général d'Alice, mais on voit néanmoins surgir beaucoup d'exemples dans lesquels elle apporte une réelle valeur à la logistique ». Pour autant, il identifie deux obstacles majeurs. Pour commencer, comme il le rappelle, pour déployer de l'IA, encore faut-il que toute la supply chain soit digitalisée. Or, si elle l'est dans les grandes entreprises, ce n'est pas du tout le cas dans les nombreuses petites structures. « Et pour elles, s'intégrer dans autant de supply chains qu'elles ont de clients crée beaucoup de complexité ». Second obstacle, la fragmentation des développements de projets d'IA. « Pour travailler avec des modèles d'IA, une grande entreprise peut utiliser ses propres modèles, probablement personnalisés pour son activité, et ses propres data supply chain ». Cela conduit à des développements différents en fonction des organisations, et donc à une fragmentation des projets qui empêche d'atteindre un des objectifs principaux d'Alice, à savoir l'interconnexion globale de la supply chain. « Nous avons déjà collecté et cartographié une première vague de cas d'usage d'IA dans la logistique auprès de nos membres, que nous avons regroupé dans un livre blanc il y a an, poursuit Fernando Liesa. Et nous nous intéressons déjà à une deuxième vague de projets ».
Aymeric Daher, DG de la division logistique du groupe Daher.
Le recours aux startups
Aymeric Daher, DG de la division logistique du groupe Daher, a insisté de son côté sur l'intérêt de l'open innovation entre autres en matière d'IA. Le logisticien a d'ailleurs lancé une plateforme d'open innovation, ouverte aux acteurs de la logistique et aux startups. « Nous travaillons par exemple avec Oqular qui réalise des inventaires d'entrepôt en "temps masqué", précise-t-il. Les chariots de manutention sont équipés de caméras qui scannent les marchandises et d'une IA qui fonctionne en arrière-plan pour réaliser l'inventaire au fil de l'eau à partir des vidéos et l'envoie directement au SI. Cela apporte des gains en productivité, mais aussi une meilleure traçabilité ». Ceva Logistics suit lui aussi cette voie de la collaboration avec les startups. Olivier Storch évoque par exemple la difficulté à savoir quel type de packaging utiliser lorsqu'on gère, comme Ceva Logistics, des dizaines de milliers de références de marchandises pour ses clients. « C'est un des cas où nous travaillons avec une startup, en l'occurrence pour déterminer avec un algorithme quels sont la taille, le poids, le niveau de fragilité de la marchandise, afin d'adapter le packaging ».
Se préparer face aux aléas de la supply chain
« Un des principaux obstacles au déploiement du digital et de l'IA, explique Fernando Liesa, réside vraiment dans la définition de structures de données compréhensibles de manière similaire, indépendamment de l'entreprise concernée, insiste-t-il. Cela comprend la définition de jumeaux numériques des actifs physiques et des ressources de l'entreprise pour les rendre compatibles entre eux. Le secrétaire général d'Alice rappelle aussi qu'une entreprise intègre non seulement ses propres actifs physiques, mais aussi des actifs physiques externes. « C'est très important pour l'IA, mais aussi pour l'automatisation. Et pour obtenir cet Internet physique, il faut absolument définir à des processus et des protocoles standards, et à une façon simple et également standard de décrire les actifs et les ressources des entreprises », pour faire des possibilités de l'IA une réalité au coeur des opérations ».
Fernando Liesa, secrétaire général de la plateforme européenne Alice pour la recherche et l'innovation logistique.
« Chez Renault Group, nous travaillons sur la localisation et la structuration de cette data nécessaire à l'IA, avec des controle towers, pour savoir quelle valeur en tirer, pour que l'IA nous rende plus robustes et résilients face aux crises, complète Alexandre Lima. Très concrètement, il s'agit par exemple de savoir si nos camions sont à l'heure ou pas, et surtout quelles conséquences cela entraîne pour nous et comment nous y adapter». Autre exemple, le constructeur automobile a réalisé une cartographie globale de l'ensemble de ses fournisseurs. Une couche d'IA détecte des éléments simples comme une erreur d'adresse, par exemple. Mais, en scannant, en digérant la presse mondiale, elle peut aussi "s'apercevoir" que le camion d'un fournisseur de rang 3 a brûlé. Renault peut alors demander au fournisseur de rang 2 comment il est affecté. « Nous sommes alors capables d'anticiper, et de chercher un plan B, voire un plan C.
Enfin, tous les intervenants ont tenu à rappeler l'importance de former et d'embarquer les équipes, et de ne pas laisser la main à l'IA sur les décisions importantes liées à la supply chain.
Article rédigé par

Emmanuelle Delsol, Journaliste
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