Stratégie

Face à un ROI incertain, les dépenses en IA vont-elles ralentir ?

Face à un ROI incertain, les dépenses en IA vont-elles ralentir ?
Face à la difficulté à mesurer le ROI de l’IA, bon nombre d’entreprises sont en train de reporter des investissements prévus sur 2026, assure le cabinet d’études Forrester. (Photo : Steve Buissinne/Pixabay)

Forrester prévoit que de nombreuses entreprises vont différer un quart de leurs investissements en IA, dans l'attente d'un impact plus mesurable. D'autres estiment que les dépenses se maintiendront, tout en devenant plus ciblées.

PublicitéLa plupart des entreprises n'ont pas encore constaté d'impact direct de leurs investissements en IA sur leurs résultats, ce qui pourrait les amener à revoir leurs budgets IA à la baisse au cours de l'année à venir, selon Forrester. Le cabinet d'études prévoit ainsi que de nombreuses entreprises reporteront un quart de leurs dépenses prévues en IA à 2027. Seuls 15 % des décideurs interrogés par Forrester font état d'une augmentation des revenus liée à l'IA au sein de leur organisation au cours de l'année écoulée. Et moins d'un tiers d'entre eux parviennent établir à un lien direct entre investissements dans l'IA et hausse des revenus.

« Le décalage entre les promesses exagérées des fournisseurs d'IA et la valeur créée pour les entreprises entraînera une correction de marché », écrivent les analystes de Forrester. Selon ce dernier, les acheteurs devraient tirer profit de cette fragilité de l'offre pour actionner des leviers de réduction des coûts de l'IA tout en recentrant leurs investissements sur les projets ayant un impact sur le chiffre d'affaires et les bénéfices.

De nombreux DSI interrogés par Brian Hopkins, vice-président des technologies émergentes chez Forrester, ont récemment exprimé leurs inquiétudes quant au manque de retour sur investissement de leurs projets d'IA. Si beaucoup constatent des gains d'efficacité, traduire un gain de 15 minutes sur la rédaction d'un courriel par un employé en amélioration des résultats financiers reste difficile, explique-t-il. « Les entreprises ayant du mal à passer d'une efficacité axée sur les tâches individuelles à une efficacité globale des processus, elles ne constatent aucune augmentation de leur chiffre d'affaires, poursuit-il. Peut-on affirmer qu'elles n'en retirent aucun bénéfice, ou bien ne mesurent-elles pas pleinement la valeur ajoutée qu'elles obtiennent, faute de pouvoir relier les différentes actions ? »

Une bulle pour Bill (Gates)

Brian Hopkins prévoit que les reports de dépenses en IA seront fréquents en 2026, près de la moitié des organisations clientes de Forrester, principalement issues des secteurs de la finance et de la santé, différant des investissements initialement budgétés l'an prochain. Selon l'analyste, les DSI, poussés par leur direction à lancer des projets d'IA, s'interrogent sur les dépenses liées au déploiement de plateformes d'IA de grande envergure. Lors d'une récente conversation avec Brian Hopkins, le DSI d'une entreprise s'inquiétait ainsi de l'acquisition d'une plateforme d'IA. « Il se demandait : "Est-ce que la valeur ajoutée va se concrétiser, ou devons-nous simplement patienter ?". On observe de nombreux investissements massifs dans ces plateformes, et si la valeur ajoutée ne se réalise pas, les dépenses seront forcément réduites », estime le responsable de Forrester

PublicitéCertains experts en IA partagent l'avis de Forrester : pour eux aussi, une correction du marché de l'IA est imminente. Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, a récemment évoqué l'existence d'une bulle spéculative autour de l'IA, et les observateurs du secteur ont constaté un certain essoufflement de l'enthousiasme initial pour cette technologie. Beaucoup ne prévoient pas d'éclatement prochain de la bulle de l'IA, mais celle-ci se dégonfle lentement.

Davantage de rigueur dans les investissements

Mais d'autres encore n'anticipent pas de ralentissement significatif à court terme. Hightouch, fournisseur d'une plateforme d'IA et de données pour le marketing, assure ne constater aucun signe de ralentissement des dépenses, selon Brian Kotlyar, son directeur marketing. Mais les entreprises sont de plus en plus exigeantes quant à leurs investissements en IA, explique-t-il. « Nous observons une nette progression de la compréhension de l'IA et de son utilisation, résume-t-il. Les budgets restent alloués et l'urgence d'investir pour tirer parti de l'IA demeure, mais les critères d'achat sont plus rigoureux et exigeants qu'au début de la période d'expérimentation. »

Brian Kotlyar n'exclut toutefois pas une correction de marché à terme. Il cite l'exemple de la frénésie d'achat de tulipes dans les années 1630, lorsque les prix des bulbes ont atteint des sommets. « Deux phénomènes se produisent simultanément, explique-t-il. L'utilité fondamentale de l'IA pour l'assistance et le remplacement de la main-d'oeuvre est claire et indiscutable. Parallèlement, les marchés peuvent s'emballer - il fut un temps où l'on pouvait échanger un seul bulbe de tulipe contre une maison entière à Amsterdam ! » Mais, même en cas de possible ralentissement, la tendance en matière d'IA est indéniable, ajoute-t-il. « L'IA est aujourd'hui très performante et n'évolue plus significativement dans de nombreux domaines à forte valeur ajoutée. Elle est là pour durer. »

Réunir les conditions du passage en production

D'autres observateurs entrevoient un possible ralentissement des dépenses en IA, les entreprises délaissant les projets expérimentaux pour se recentrer sur des solutions génératrices de revenus. Certaines entreprises n'atteignent ainsi pas la précision souhaitée avec les outils d'IA, tandis que d'autres constatent que leurs données sont difficiles d'accès ou mal structurées, détaille Sam Ferrise, directeur technique du cabinet de conseil Trinetix. « De nombreuses entreprises réalisent que leurs attentes en matière de précision et de performance de l'IA ne correspondent pas toujours au niveau d'investissement qu'elles sont prêtes - ou capables - de consentir, précise-t-il. L'essentiel est d'ajuster les attentes en fonction de l'investissement et du cas d'usage. »

Par ailleurs, les entreprises déployant l'IA rencontrent des problèmes de confidentialité ou de sécurité, ajoute-t-il. « De nombreuses équipes réussissent à démontrer la viabilité d'un cas d'usage avec un retour sur investissement évident, pour ensuite se rendre compte qu'elles doivent renforcer la solution avant de pouvoir la déployer en production en toute sécurité. En l'absence d'alignement, il est naturel que les organisations suspendent ou reportent leurs dépenses jusqu'à ce qu'elles puissent justifier la valeur ajoutée. »

L'éventualité d'un éclatement de la bulle IA est peut-être un scénario exagéré, bien que possible, selon Sam Ferrise. Pour les organisations, négliger les coûts intangibles des projets, tels que ceux liés à la formation, la conformité et la gouvernance, a été une tentation bien présente. « Une correction ou une réinitialisation semble plus plausible [qu'un éclatement de la bulle, NDLR. Les entreprises vont probablement recentrer leurs efforts sur des cas d'usage nécessitant un investissement moindre, mais offrant une valeur perçue plus élevée », juge le directeur technique de Trinetix.

Passer des promesses aux résultats, des PoC à la production

Srikrishnan Ganesan, cofondateur et PDG de Rocketlane, fournisseur de solutions d'automatisation des services professionnels basé sur des agents d'IA, confirme que les dépenses en expérimentations et PoC devraient diminuer en 2026, les entreprises privilégiant les projets d'IA offrant des résultats concrets. « Nous sommes restés trop longtemps dans l'ère de la vente axée sur les promesses et nous devons désormais passer à l'ère des résultats, indique-t-il. Les attentes du marché vont se réajuster corrigeant les nombreuses ambitions des entreprises qui se chevauchent l'une l'autre et prétendent générer un retour sur investissement considérable. »

Néanmoins, de nombreuses organisations chercheront toujours à atteindre une « efficacité radicale » grâce à l'IA. « Les dépenses globales en IA devraient continuer d'augmenter à mesure que le déploiement de l'IA en production s'étend à davantage de services au sein des entreprises », affirme Srikrishnan Ganesan.

Les utilisateurs d'IA passent des phases de PoC à la production, ce qui se traduit par une baisse des dépenses annoncées et une allocation plus judicieuse des ressources, abonde Dan Zimmerman, directeur des produits et de la technologie chez TreviPay, une plateforme de paiements B2B. « De nombreuses organisations réalisent que leurs premiers projets étaient trop axés sur l'expérimentation et peu sur un retour sur investissement mesurable, ce qui nécessite un réajustement, explique-t-il. La période d'engouement et d'enthousiasme autour de l'IA, où chacun expérimentait, faisait des promesses audacieuses et se précipitait pour lancer des projets pilotes, touche à sa fin. Nous entrons dans une phase plus rigoureuse, technique et pragmatique. »

Les organisations qui ont investi dans des solutions de démos rapidement mises en oeuvre pourraient être contraintes de revoir leur stratégie, mais celles qui intègrent l'IA à leurs processus clés - service client, décision en matière de crédit - constatent déjà un retour sur investissement durable, assure Dan Zimmerman. « Je peux affirmer avec certitude que l'IA améliore la productivité et rend les connaissances plus accessibles à tous les niveaux de l'entreprise », déclare-t-il.

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