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Storytelling : quand les DSI racontent des histoires

Storytelling : quand les DSI racontent des histoires
Pour certains, l'informatique, avec sa complexité et son langage ésotérique, serait la candidate idéale pour le storytelling. (Photo : Pixabay/Chenspec)

Il est souvent difficile pour les comités de direction et les utilisateurs des métiers d'appréhender toute la complexité des enjeux et projets technologiques. Pour faire passer le message, certains DSI s'adonnent désormais au storytelling, cet art du récit vulgarisateur prisé depuis longtemps par les équipes marketing.

Publicité« Longtemps je me suis couché de bonne heure. » « C'était une journée froide d'avril, et les horloges sonnaient treize heures ». Qu'est-ce que ces citations ont en commun ? Qu'il s'agisse de Du côté de chez Swann de Marcel Proust ou de 1984 de George Orwell, ces incipits d'ouvrages classiques nous donnent envie de lire la suite. Nous sommes piqués, amusés, surpris ou intrigués d'une manière ou d'une autre. L'amour de la narration est une constante chez l'être humain, que les scientifiques attribuent à l'ocytocine, surnommée hormone du bien-être. Qui d'entre nous, en effet, résiste à une histoire riche, racontée de manière engageante et abondamment illustrée ?

Le storytelling, c'est son nom, est aussi ancien que l'Humanité et accompagne autant les principes fondamentaux de la religion, de la politique que du marketing. Mais depuis peu, il fait aussi une apparition discrète au sein des DSI. Des responsables informatiques participent à des ateliers ou à des séminaires sur le sujet avec l'intention expresse d'améliorer leur sens de la narration et leur capacité de communication et de persuasion auprès des directions et des métiers. Certains assistent même à des sessions sur la fiction, la poésie et l'écriture de scénarios.

L'ésotérique informatique, candidate idéale pour le storytelling

Richard Sykes, ancien CIO du laboratoire pharmaceutique Imperial Chemical Industries (ICI) dans les années 1990, était réputé pour sa capacité à écrire des scénarios prospectifs très variés sur l'avenir d'ICI à l'intention de son conseil d'administration. Au début de son mandat, il a par exemple réalisé deux fausses unes de journaux. La première imitait le Financial Times, et affichait la montée en flèche des actions du laboratoire, l'attribuant à ses nombreuses innovations technologiques. Sur la seconde, s'inspirant d'un autre journal, des titres apocalyptiques imputaient au contraire la disparition de la société à son incapacité à investir dans les technologies de l'information. Malin et efficace, semble-t-il. « J'ai directement obtenu le feu vert pour investir, racontait le CIO. J'ai toujours essayé d'expliquer la technologie avec des mots et des récits que le conseil d'administration pouvait assimiler. J'évitais le jargon technique et j'utilisais des figures de style et des termes financiers qu'ils comprenaient. Un bon DSI doit être conscient du profil du public auquel il s'adresse. »

Pour certains, l'informatique, avec toute sa complexité et son langage ésotérique, serait même la candidate idéale pour le storytelling. « Pour un DSI ou un responsable data, par exemple, la meilleure façon de réussir les projets, c'est de leur donner vie, estime ainsi Caroline Carruthers, ancienne chief data officer chez Network Rail, qui gère les gares et les infrastructures ferroviaires au Royaume-Uni, aujourd'hui PDG du cabinet de conseil data Carruthers and Jackson. Vous pouvez fournir tous les tableaux de bord, graphiques et chiffres du monde à vos interlocuteurs, c'est seulement lorsque vous les aidez à comprendre la pensée qui sous-tend les projets ou la stratégie, et que vous lui donnez vie que vous obtenez l'adhésion dont vous avez besoin. »

PublicitéUn esperanto pour communiquer avec les métiers

Les DSI utilisent souvent le storytelling comme une forme d'espéranto, une interface de traduction. « Je trouve toujours un bénéfice à utiliser une histoire pour aider mon public non technique à comprendre des concepts très techniques, insiste de son côté Adam Miller, DSI de l'assureur britannique Markerstudy Group. C'est tout aussi important pour obtenir leur adhésion, que pour mettre en évidence l'impact de l'inaction, du statu quo, souvent l'option la plus facile à choisir. » Le storytelling peut être utilisé pour persuader les cadres supérieurs de dégager du budget, de planifier un changement de stratégie ou de partager de bonnes et de mauvaises nouvelles. Des entreprises comme Domino's, T-Mobile ou Uber ont conçu des récits qui font appel aux émotions des employés lors des changements de stratégie, afin d'éviter l'échec.

Le storytelling est également de plus en plus utilisé comme méthode de séduction des clients externes. Strava, solution de suivi d'activité sportive, utilise son application pour que les utilisateurs comparent leurs parcours de course, de randonnées et de sorties à vélo afin de susciter la passion et la compétitivité. Ces dernières années, le data storytelling est devenu un moyen courant pour montrer des informations complexes grâce à des médias enrichis. Et aujourd'hui, il est partout, depuis les relevés bancaires jusqu'aux suivis d'investissements.

Du storytelling au data storytelling

« Prenons le très traditionnel PowerPoint, propose Porter Thorndike, chef de produit principal chez Ibi, société d'analyse de données et de création de reporting interactif. Les pires documents sont ceux avec des tonnes de texte. Ceux qui affichent des listes à puces sont un peu meilleurs, mais la panacée, ce sont les reportings sous forme de narration visuelle. Cela explique la popularité croissante d'outils comme Tableau ou Power BI. L'interactivité visuelle aide les gens à donner un sens à leurs données, à les utiliser et à les communiquer sous forme d'histoires. C'est cela, le data storytelling : la visualisation, la narration et le contexte. « Tout le monde aime les bonnes histoires, confirme Miguel Traquina, CIO de la société d'authentification biométrique iProov. Un équilibre entre les faits et un peu d'humour peut rendre votre histoire encore plus engageante. Cela permet de maintenir l'intérêt tout en veillant à ce que le message principal ne soit pas perdu. »

« L'utilisation du storytelling a plusieurs facettes, précise Jon Collins du cabinet d'analystes GigaOm. Tout d'abord, la structure et l'arc narratif d'une histoire sont essentiels pour plaider en faveur d'une décision de changement. Il faut commencer par le contexte, poursuivre avec le défi à relever, puis rappeler les étapes principales. Ensuite, on détaille les personnages et la façon dont ils interagissent, avec des exemples concrets. Enfin, la façon dont une histoire est racontée n'est pas si différente si l'on s'adresse à des enfants ou à des cadres fatigués. Il faut stimuler le public et, si on peut, en faire un héros ou une héroïne dans sa propre histoire. Le récit doit valoir la peine d'être raconté. En fin de compte, si la stratégie technologique est axée sur la transformation, il faut vendre cette vision avec du charisme et du charme. Ce sont, fondamentalement, des compétences de storytelling. »

Comédie, drame, tragédie

Les dirigeants soulignent également l'importance d'adopter le bon message, le bon ton et le bon format pour chaque public. « Il y a deux éléments centraux dans la narration : la compréhension du message et la connaissance du public, explique Caroline Carruthers. Tout le reste doit être adapté en fonction, car différents styles seront nécessaires dans différents contextes. Dans une réunion sérieuse, par exemple, l'humour pourrait être contre-productif et déprécier le message. Au contraire, si je raconte une histoire de data sur scène, cela peut être un excellent ressort pour rendre pertinent un sujet trop aride et, en fin de compte, s'assurer que tout le monde se souvienne de ce que vous avez dit. »

Aujourd'hui, sans surprise, l'arrivée de l'IA générative s'immisce dans l'histoire. Pour Porter Thorndike d'Ibi, de plus en plus, des narrations générées par algorithme vont mettre à disposition de tous un éventail de récits disponibles à une échelle gigantesque. De plus, l'IA, la réalité augmentée et la réalité virtuelle rendront les histoires plus immersives et engageantes, si l'on en croît Miguel Traquina d'iProov. « L'IA peut certainement vous aider à raconter de meilleures histoires, estime Miller. Cependant, rien ne frappe plus un public que le récit d'une histoire personnelle. Et cela nécessite une touche humaine. La narration est une forme d'art, et ceux qui la maîtrisent peuvent avoir un impact énorme. »

Une démarche trop condescendante ?

Pour Caroline Carruthers, le terme de storytelling a peut-être fait son temps. « Le mot évoque la lecture d'une histoire aux enfants avant d'aller se coucher, regrette-t-elle. Or, dans un contexte de data et de technologie, la narration a un rôle stratégique essentiel. Ce que nous faisons est engageant, donc je pense que nous devons faire évoluer la terminologie pour que les gens comprennent l'importance de rendre accessibles des sujets arides. » James Woudhuysen, critique de la pensée technologique, va beaucoup plus loin et remet en cause la démarche même. « L'idée que les gens ne peuvent comprendre la complexité d'un sujet que si on leur livre une narration spécifique est condescendante, désinvolte et infantile, estime-t-il. Tout le monde aimerait raconter des histoires comme celles de Thackeray (auteur de Barry Lindon, NDLR), mais ce n'est pas fait pour les réunions de direction ou les séances de feed-back avec post-it. C'est stupide et très américain, mais il semble que cela soit plus tendance que jamais malheureusement. »

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