Ruée vers l'IA : et si on évitait de reproduire les erreurs du cloud ?
Le sentiment d'urgence marketing qui entoure l'IA a un air de déjà-vu pour les spécialistes de la gestion du licensing. Il y a dix ans, la bascule vers le cloud se déroulait dans un climat similaire. Souvent pour le pire.
PublicitéL'IA générative a déferlé dans les discussions stratégiques des entreprises avec une rapidité inouïe. Les grands éditeurs - souvent les mêmes que pour ceux vendant vos licences perpétuelles ou cloud - dégainent déjà leurs offres packagées, promettant des gains de productivité massifs à vos directions générales.
Mais gardons la tête froide. Si l'IA ouvre des perspectives immenses, elle fait peser des risques critiques sur les directions des achats, sur la direction financière et la DSI. Pour les vétérans du SAM (Software Asset Management), ce sentiment d'urgence marketing a un goût de "déjà-vu". Il rappelle étrangement la bascule vers le cloud, il y a dix ans.
"Cloud First" : les leçons d'une facture douloureuse
Souvenez-vous. Lors de la transition vers le cloud, combien d'entreprises ont signé les yeux fermés ? Le bilan est connu : absence de dimensionnement réel, métriques d'usage floues, projections budgétaires inexistantes à 3 ans... et, surtout, une absence quasi systématique de mise en concurrence.
Le résultat ? Nous le payons encore aujourd'hui : une inflation budgétaire incontrôlée, une flexibilité contractuelle proche de zéro et une perte de souveraineté sur la donnée. Ne laissons pas l'histoire bégayer avec l'IA.
Make or Buy : la première question stratégique
Avant de signer le moindre bon de commande, revenons aux fondamentaux. Comme pour le Cloud, le dilemme "Make or Buy" doit être tranché :
Make : vous gardez la maîtrise de l'architecture et l'hébergement (On-Premise ou cloud privé). C'est le choix de la conformité et du contrôle, mais c'est aussi plus lent.
Buy : vous passez par un éditeur (SaaS/PaaS). Vous gagnez en vitesse et en fonctionnalités, mais vous acceptez une dépendance technologique forte (le 'vendor lock-in').
Cette décision ne doit pas se prendre sur un coin de table, mais doit reposer sur une analyse fine du TCO (coût total de possession) et de votre agilité future.
Attention au piège du "bundle"
La stratégie de certains géants, Microsoft en tête avec Copilot pour Microsoft365, est redoutable : enrichir les offres existantes avec de l'IA, facturée au prix fort, souvent indissociable du reste. Le risque ? Une "super-inflation" mécanique une fois la période contractuelle initiale (souvent attractive) passée.
Face à ce risque, une règle d'or : exigez la modularité ! N'acceptez pas de payer pour des fonctionnalités que 80% de vos utilisateurs n'activeront jamais. Lancez des pilotes mesurés, prouvez le ROI, et négociez la dissociation tarifaire dès le premier jour.
Gouvernance des achats d'IA : les garde-fous indispensables
PublicitéL'expérience du SAM et du cloud doit vous dicter quelques impératifs pour vos contrats IA :
Localisation & souveraineté : où sont vos données ? Où sont les modèles ? Si c'est aux Etats-Unis, quelles sont les implications juridiques ?
Métriques claires : ne signez pas de chèques en blanc. Exigez des indicateurs précis (consommation CPU/GPU, tokens, requêtes).
Capping : définissez des plafonds budgétaires ou des mécanismes de dégressivité. L'usage de l'IA peut exploser exponentiellement ; votre facture, elle, ne le doit pas.
Exit strategy : c'est le point le plus critique. Si l'éditeur augmente ses prix de 30% dans 3 ans, pourrez-vous le quitter simplement ? Si la réponse est non, ne signez pas.
L'IA n'est pas une baguette magique, c'est un centre de coût
L'IA est un terrain en construction. Les offres vont muter, les modèles tarifaires aussi (par exemple, AgentForce, de Salesforce, passe de la métrique conversation, soit la session, à une indexation sur l'action, soit la tâche réalisée). Figer votre entreprise aujourd'hui dans des contrats longs et rigides serait une erreur stratégique.
La transition vers le cloud nous a montré que l'innovation sans gouvernance se paie cher. C'est en structurant, en mesurant et en négociant maintenant que vous ferez de l'IA un levier de performance, et non le prochain gouffre financier de votre DSI.
Article rédigé par
Guillaume Geudin, directeur des pôles performance achats chez Elée
Guillaume Geudin est directeur des pôles performance achats chez Elée, cabinet de conseil indépendant dédié à l'optimisation des dépenses logicielles et cloud. Fort de plus de 15 ans d'expérience, il accompagne les grandes entreprises dans la maîtrise durable de leurs coûts technologiques et la gestion des relations avec les principaux éditeurs.
Après plusieurs postes clés en achats IT au sein de grands groupes internationaux, il rejoint Elée en 2018 pour aider DSI, DAF et directions achats à structurer leur sourcing, piloter les renégociations contractuelles complexes et à en maximiser l'optimisation.
Passionné par l'équilibre entre innovation et rigueur budgétaire, il partage son expertise lors de publications et conférences sur les enjeux financiers, de conformité et de souveraineté IT.
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