René-Paul Feltrin (Eodom) : « pour nos concurrents, nous sommes des barbares »


Travailler Autrement
Le DSI est un acteur de la transformation de la vie quotidienne dans l'entreprise. Cette certitude est particulièrement démontrée par l'apparition des nouvelles formes de travail rendues possibles par les technologies numériques.Collaboration, télétravail, nomadisme... Toutes ces nouvelles manières...
DécouvrirCIO a organisé le 9 mai 2015 une Matinée Stratégique sur Travailler Autrement à Paris. René-Paul Feltrin, Directeur Général Délégué d'Eodom, y a expliqué comment le télétravail peut être conçu comme principe managérial grâce à l'IT. Dans un marché de la relation client externalisée en baisse, la société génère une croissance de 30 à 40% par an. Comme Uber, Eodom est un « barbare » au modèle incompréhensible par les acteurs traditionnels.
PublicitéEodom est une société opérant dans la relation clients. Au même titre que bien des centres de contacts externalisés, elle va intervenir pour répondre aux clients de sociétés ayant recours à ses services par e-mail, téléphone, chat ou sur les réseaux sociaux. Mais sa particularité est de reposer sur le homeshoring, c'est à dire le travail à domicile. « C'est une forme moderne de télétravail » plaide René-Paul Feltrin, Directeur Général Délégué d'Eodom.
Il a témoigné au cours de la Matinée Stratégique Travailler Autrement organisée par CIO le 9 mai 2015 à Paris. Agée de sept ans, Eodom compte aujourd'hui 45 collaborateurs salariés (dont trois télétravailleurs) pour les fonctions supports mais aussi et surtout 800 agents à domicile. Son chiffre d'affaires reste modeste : 10 millions d'euros par an. Mais dans un marché en baisse, la société parvient encore à générer une croissance annuelle de 30 à 40%. René-Paul Feltrin revendique : « nous sommes des barbares, au sens étymologique du mot, c'est à dire que notre modèle est incompréhensible pour les autres acteurs du marché dont pas un ne nous a emboîté le pas, même des champions nationaux ou internationaux comme Teleperformance ou Webhelp. » Eodom se présente, en quelques sortes, comme le Uber de la relation client.
« Nous sommes des barbares au sens étymologique »
Chez Eodom, le télétravail est non seulement un mode de vie mais aussi une raison d'être, le motif de la création de la société. « Nous en avons surtout fait une offre de services et une offre de valeur pour nos clients » enchérit René-Paul Feltrin. La totalité de l'offre repose en effet sur le travail de personnes qui ne sont jamais dans les locaux de la société. René-Paul Feltrin précise : « si je ne les vois jamais, je les ai, bien entendu, sélectionnées en amont et nous les accompagnons en les aidant à acquérir les compétences utiles. »
Pourtant, si l'efficacité du télétravail peut être validé par tous les managers qui ont à s'y confronter, les entreprises sont encore réticentes à recourir à des prestataires qui ne peuvent pas leur montrer des plateaux de téléconseillers. « L'étape d'après le télétravail salarié interne, c'est nécessairement d'avoir des prestataires qui n'utiliseront aucun présentiel physique de leurs collaborateurs » relève René-Paul Feltrin. Il n'en reste pas moins que, pour Eodom, convaincre ses prospects de la pertinence de son modèle est compliqué.
Il est vrai que la fiabilité du service est essentielle pour les clients d'Eodom. La société va en effet prendre en mains les relations écrites (mails, chats...) ou orales (téléphone...) des clients de ces clients, c'est à dire un service dont la qualité est critique. Or ni les dirigeants d'Eodom ni, chez ses clients, les responsables des relations clients, ne rencontreront jamais les agents qui vont intervenir. L'établissement du lien de confiance est donc un véritable défi.
PublicitéUn défi complexe à relever : la confiance
Pourquoi, dans ces conditions, avoir fait du télétravail un axe managérial et même la raison d'être de la société ? Ne faut-il pas être un peu masochiste ? Didier Ferrier, PDG fondateur d'Eodom, est un ancien directeur de la relation clients au sein de grandes entreprises. Il était donc bien placé pour savoir quelles difficultés il rencontrerait en créant Eodom. René-Paul Feltrin, de son côté, dirigeait un centre de contact classique. Le directeur général se souvient : « quand nous nous sommes rencontrés, lui comme client et moi comme fournisseur, nous avons compris que nous ne parvenions pas à générer la flexibilité dont il avait besoin. »
René-Paul Feltrin devait en effet tordre toute une série de contraintes liées à l'usage de salariés internes pour répondre aux attentes d'agilité de Didier Ferrier. « Lorsqu'un grand opérateur télécom envoyait ses factures le 10 du mois, j'avais besoin de 150 personnes pour une journée pour répondre aux questions des clients mais, le reste du mois, que pouvais-je faire de ces collaborateurs ? » interroge René-Paul Feltrin. Avec les émissions de télé-achat, il fallait du personnel essentiellement le samedi et le matin en semaine. Bref, les effectifs devaient pouvoir s'adapter avec de grandes amplitudes et, en général, sur des horaires peu pratiques pour des salariés.
A cela s'ajoutait un problème commercial : tous les centres de contacts externalisés disposaient des mêmes modèles et des mêmes contraintes. Dès lors, quel facteur différenciant mettre en avant pour conquérir un client ? Tout au plus présenter les choses un peu différemment... Le pari d'Eodom, à sa création, était donc de fabriquer une offre destinée à tous les acteurs ayant besoin d'une forte variation d'effectifs dans le temps. Et ce nouveau prestataire voulait pouvoir garantir qu'il serait centré sur les problématiques de son client, pas sur ses propres contraintes d'effectifs à employer.
Garantir la flexibilité, l'agilité et de bonnes conditions de travail
Obtenir à la fois l'agilité et une qualité de service forcément associée à de bonnes conditions de travail, cela relève de la quadrature du cercle. Eodom a inventé un nouveau modèle économique et, nécessairement, un nouveau modèle managérial pour encadrer des personnels jamais présents dans les locaux de l'entreprise et, de plus, qui ne sont pas salariés. La loi sur le télétravail salarié ne s'applique pas, de ce fait, dans ce contexte. « Nous avons simplement affaire à des sous-traitants que nous manageons comme tels, 800 centres d'appels indépendants avec qui j'ai une relation individuelle » admet René-Paul Feltrin.
Tous les processus de la société ont été adaptés pour tenir compte de cette particularité. René-Paul Feltrin observe : « tous les outils existent pour permettre à des agents à domicile de recevoir des appels, traiter des mails ou accéder à une base de connaissance exactement comme s'ils étaient sur un plateau. » Mais le travail à domicile garantit par contre une qualité de vie et un environnement particulièrement approprié pour se sentir bien.
Le mystère de la pyramide disparue
La vraie différence opérationnelle est la disparition de la pyramide hiérarchique. Dans un centre d'appels, un téléconseiller peut à tout moment lever la main pour appeler un superviseur qui, lui-même, peut recourir à un supérieur hiérarchique, etc. Dans le cas de travailleurs indépendants à domicile, il n'y a de fait plus de superviseurs. « Nous avons cassé la pyramide et nous sommes dans un modèle horizontal collaboratif où chaque agent a derrière lui une équipe, ceux qui travaillent avec lui » rétorque René-Paul Feltrin.
Chaque acteur peut cependant recourir à un référent, celui qui l'a formé à sa mission quand il a reçu le cahier des charges de sa prestation. De la même façon, chaque agent peut suivre son niveau de qualité perçu par ses interlocuteurs, tant de manière absolue que relativement aux autres agents, auprès d'un deuxième contact. Autrement dit : tel agent peut-il s'attendre à voir ses services être toujours utilisés par Eodom, avec plus ou moins de missions, des horaires ou des tarifs plus intéressants ? Enfin, chaque agent va avoir affaire à un troisième référent, celui en charge de la sélection des agents pour chaque mission confiée à Eodom. Ce dernier va affecter les missions à certains agents en fonction de leurs compétences, expériences et choix personnels (clients, médias utilisés...). René-Paul Feltrin revendique : « chez Eodom, les agents peuvent choisir de ne faire que du chat, que du mail ou que du téléphone, uniquement dans le e-commerce ou dans un autre secteur, à tel horaire et pas à tel autre ».
Les équipes d'Eodom sont globalement paritaires hommes/femmes et d'un âge moyen proche de quarante ans. Ce sont donc des personnes avec une certaine expérience, veulent pouvoir choisir leurs horaires sans toutes les contraintes des centres d'appel traditionnels et qui savent que leur principal capital pour développer leurs prestations est la confiance bi-directionnelle. Les agents ont un profil d'entrepreneur qui savent être au service de leurs clients, avec pour les deux tiers, un diplôme Bac+2 à Bac+5.
Des choix techniques garantissant qualité et sécurité
Il reste donc que les agents ne sont pas exclusifs, par définition, mais sont dispersés géographiquement, reliés uniquement par Internet à leur « employeur » Eodom. Si chaque agent doit faire son affaire de disposer d'un PC et d'une connexion Internet filaire suffisante, Eodom doit, de son côté, avoir ses propres lignes téléphoniques et son propre système d'information métier.
L'agent va donc se connecter de manière sécurisée, via un VPN, aux serveurs d'Eodom où il va accéder à un bureau virtuel comprenant tous les outils dont il a besoin, y compris un softphone. Techniquement, ce bureau virtuel repose sur l'offre de VMware et pour la ToIP sur Mitel. Il comporte un bandeau de contact avec un téléphone qui sonne et un accès à tous les outils métiers utiles, dont une GRC et une base de connaissance, exactement comme dans n'importe quel centre de contact. La seule différence sera un accès distant via la virtualisation et le VPN. Pour que la connexion vocale soit de qualité, Eodom impose à ses agents une liaison filaire entre le PC et la box Internet : c'est pratiquement la seule contrainte technique.
Les accès des bureaux virtuels sont gérés par les outils propres d'Eodom. « A chaque fois qu'un contrat expire, le bureau virtuel correspondant est détruit » confirme René-Paul Feltrin. Les bureaux virtuels sont d'ailleurs générés à chaque connexion. Et diverses mesures de sécurité complémentaires peuvent être prises : « nous pouvons décider de supprimer le copier-coller, de supprimer l'accès à un disque externe, etc. » indique René-Paul Feltrin.
Il n'en reste pas moins que, dans certains secteurs, les précautions prises ne suffisent pas. Typiquement, le secteur bancaire est rétif à utiliser du personnel à domicile dès lors que l'agent va être susceptible d'effectuer des opérations financières. Il reste beaucoup plus facile de braquer quelqu'un à domicile que dans un open-space bunkerisé...
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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