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Les aberrations de la bourse : un défi important pour SAP et sa prochaine génération de produits

Les aberrations de la bourse : un défi important pour SAP et sa prochaine génération de produits

SAP a pu développer R/3 pendant plusieurs années et investir un montant substantiel, sans être perturbée par des analystes financiers et des investisseurs à la bourse insistant sur des gains à court terme. C'est une des raisons pour lesquelles SAP avait un produit pour les nouvelles plateformes client serveur quand aucun autre éditeur n'était à un stade comparable de maturation. Aujourd'hui, étant cotée à la bourse de New York (NYSE) et les fondateurs étant devenus minoritaires, SAP n'est plus dans une telle situation privilégiée. Deux informations apparemment anodines dans la publication de ses résultats pour le premier trimestre 2008 font apparaître la pression et les effets potentiellement néfastes des exigences de la "communauté financière" auprès de l'industrie du logiciel.

PublicitéR/3 : le succès d'un projet R&D de long terme, affranchi de pressions financières à court terme Quand SAP a lancé R/3 au début des années 1990, la société a laissé sur place toute la concurrence dans le nouveau marché des systèmes client -serveur sur des plates-formes UNIX. Comment un éditeur de logiciels européen, basé dans un village allemand (à Walldorf, "Dorf" veut dire "village" en Allemand), a-t-il bien pu prendre de court toutes les sociétés de la Silicon Valley, devenant le leader mondial des progiciels de gestion ? Bien sûr, il y a beaucoup de raisons pour ce succès, mais arrêtons-nous un instant sur l'influence de la bourse. Pour permettre à R/3 de faire son entrée sur le marché, les fondateurs de SAP ont permis à leur cofondateur Hasso Plattner de dépenser beaucoup d'argent pour son projet fétiche de création d'un progiciel de gestion intégré pour le marché des moyennes entreprises (Et oui, déjà à cette époque !), plus précisément pour les plates-formes IBM destinées à ce marché et qui n'avait pas encore été baptisées AS400. Dépenser quelques centaines de millions de DM de l'époque pour un tel projet à risque n'aurait pas été acceptable pour les analystes financiers et les investisseurs de la bourse américaine (NYSE), qui ont tous les yeux rivés sur les résultats trimestriels. A cette époque, SAP n'était cotée qu'en Allemagne et les quatre fondateurs détenaient encore plus de 60% des actions. Ils étaient libres d'aller à contre-courant des idées préconçues et des modes de penser. En étant un peu provocateur mais sans trop d'exagération, on pourrait dire que le succès de SAP était dû à l'absence de « Generally Accepted Accounting Principles » (GAAP, les règles de gestion imposées aux sociétés cotées en bourse aux Etats Unis). Il fallait une vision, beaucoup de ténacité (sur plusieurs années !) et, comme toujours, une bonne dose de chance. En tant que progiciel de gestion pour la gamme moyenne d'IBM, R/3 a été un échec fameux. Mais le progiciel avait été développé sur les meilleures stations de travail UNIX de l'époque, "offertes" par Plattner à "ses" développeurs - et il tournait parfaitement sur ces machines et plus généralement sur les plates-formes UNIX. Exactement les plateformes à la base du nouveau marché "client serveur" qui connaissait une croissance explosive. On peut argumenter que c'est précisément la tâche de la bourse de financer ce type de projet, trop risqué et trop peu compréhensible pour des banques. Et pourtant, c'est exactement ce genre de projet que les analystes financiers dénoncent et que la bourse sanctionne violemment - certainement aujourd'hui, mais déjà au début des années 1990. N'étant pas sous le diktat d'analystes omniscients et d'investisseurs à la recherche de gains rapides, SAP pouvait mener son projet à terme et sortir un produit en 1992, quand personne d'autre n'en avait rien de comparable, certainement pas les sociétés américaines cotées en bourse. Le prochain tournant des solutions SAP : Quelles sacrifices à la "communauté financière" ? En regardant le communiqué des résultats financiers de SAP au premier trimestre 2008, on peut se demander si SAP sera capable de rééditer un succès du style R/3, étant maintenant scrutée par - et la merci de - la "communauté financière" mondiale. Le communiqué est assez alambiqué dans ses commentaires entre des résultats GAAP et non-GAAP, démontrant ainsi que les chiffres de SAP sont meilleurs dans le monde non-GAAP. Rien d'anormal pour une société européenne qui est aussi cotée en bourse aux Etats Unis et doit se plier aux règles américaines de reporting. Mais deux faits "mineurs" apparemment anodins du communiqué sont plus alarmants : - SAP a racheté ses propres actions à hauteur de 258 Millions € au premier trimestre 2008 et prévoit de dépenser encore 250 M € pour de tels achats "stériles" pendant le reste de l'année, - SAP a amputé de 100 M € le budget de Business ByDesign pour améliorer ses marges. Ces mesures sont purement financières, visant à satisfaire la bourse et la "communauté financière" (par un "shareholder value" à court terme) plutôt que l'entreprise et ses clients, avec la possible exception que le rachat des actions serve à leur redistribution aux employés et à la diminution du risque d'une OPA. On peut légitimement considérer SAP Business ByDesign comme le prochain "grand projet SAP", un projet déterminant pour le futur de SAP, aussi important que R/3 l'a été à une autre époque. En effet, nous sommes à une rupture : nous sommes à l'aube du « SOA Computing », car l'IT et les fournisseurs IT vont devoir livrer du « modulaire » puisque le business va s'organiser en modulaire pour gagner l'agilité et la capacité d'innovation nécessaires pour être compétitif dans une économie mondialisée et assurer sa pérennité par une croissance profitable et durable (vision stratégique Entreprise Cap 2020 du BIT Group). Les progiciels « monoblocs » sont condamnés. Amputer de 100 M € son "budget d'investissement accéléré" SAP Business ByDesign, progiciel de la génération SOA, pour se plier aux exigences de la communauté financière met à risque le futur de la société pour le "bénéfice" d'investisseurs dont l'intérêt principal devrait être de justement sécuriser cet avenir. L'industrie du logiciel a toujours dû essayer de concilier deux différentes notions de temps - finalement assez antinomiques : celle du profit à court terme et celle des projets de R&D à moyen et long terme. Forcer les développeurs de vivre dans "le temps financier", de se plier aux exigences du court terme, produit souvent des résultats catastrophiques. Parfois ce sont des reports substantiels de livraison des produits - causant une baisse dramatique du cours des actions de l'éditeur; plus généralement, les éditeurs soignent certes les interfaces utilisateurs de leurs produits, mais sacrifient leur qualité jusqu'à tomber dans des profondeurs abyssales. Même des sites d'e-commerce avec des millions d'utilisateurs, comme celui de voyages-sncf.com, ont dégénéré à un niveau inacceptable de qualité : à chaque montée de version du logiciel du site, l'achat d'un billet de train se transforme en jeu de hasard pendant plusieurs jours. Microsoft a "résolu" ce problème de manière brillante en faisant croire aux utilisateurs que les défauts de ses logiciels n'étaient que des erreurs d'usage. Le défi pour le futur SAP n'a pas cette option : Ses clients sont dépendants du bon fonctionnement de leur solution SAP pour la gestion de leur entreprise au quotidien. Des défaillances graves mettraient en péril l'entreprise. SAP doit donc continuer à mettre le temps et l'argent nécessaires pour développer la prochaine génération de sa solution avec la qualité qu'il faut et à laquelle ses clients sont habitués - même si ce n'est pas du goût de la "communauté financière". Ce sera une des tâches les plus difficiles du nouveau co-PDG de SAP, Leo Apotheker, que de réconcilier les différentes notions de temps et les différentes attentes des clients, des développeurs et des investisseurs. Il devra résister à la tentation de se focaliser exclusivement sur le trimestre. Un défi fort pour un commercial de premier ordre qui a vécu tant d'années dans "le temps commercial et financier".

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