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Le ministère de l'Intérieur mise sur SAFe pour moderniser le SI du permis de conduire

Le ministère de l'Intérieur mise sur SAFe pour moderniser le SI du permis de conduire
En parallèle de la refonte du SI historique, le ministère de l'Intérieur a déployé la réforme

Le ministère de l'Intérieur a décidé de s'appuyer sur le framework SAFe pour la refonte du système d'information gérant le permis de conduire, afin de favoriser la collaboration entre les différentes parties prenantes tout en conservant la maîtrise du programme.

PublicitéL'actuel système d'information (SI) qui gère l'éducation routière et le permis de conduire (ERPC) repose sur différentes briques, dont la plus ancienne a près de trente ans. Après de précédentes tentatives de refonte restées inabouties, le ministère de l'Intérieur a décidé en 2018 de relancer un programme afin de moderniser ce SI. Profitant des enseignements tirés des expériences antérieures, le ministère a choisi de s'appuyer sur le framework SAFe afin de répondre aux enjeux d'un tel programme. Lors de la conférence Aquilité organisée en mai 2022 par Agile en Seine pour les organisations du Grand Sud-Ouest, Amine Fendri, chef de bureau adjoint à la direction du numérique, sous-direction des systèmes d'information et directeur technique du SI permis de conduire au ministère de l'Intérieur, accompagné par Maxence Modelin, consultant chez Octo Technology et delivery manager ERPC, ont partagé leur retour sur ce programme entamé en 2020.

Historiquement, deux grandes briques composent le coeur du système d'information ERPC. La première, développée en Cobol sur mainframe GCOS, est le système national des permis de conduire (SNPC), né en 1992 avec la naissance du permis à points. Le SNPC gère les droits, le calcul des points, les titres et l'instruction des demandes des usagers sur les titres ou encore l'inscription aux examens et aux stages. L'autre brique, plus récente, est une application dénommée Aurige, qui englobe tout ce qui concerne l'éducation routière, notamment la formation et l'organisation des examens pratiques et théoriques. Ces deux composants ont été complétés par d'autres applications au fil du temps pour répondre à différents besoins. Toutefois, après environ 27 ans d'existence pour le SNPC, non loin de 15 pour Aurige, le système d'information ERPC était devenu de plus en plus difficile et coûteux à faire évoluer. En outre, le manque d'intégration entre les deux systèmes entraînait des duplications de données, avec tous les problèmes afférents.

Refondre les deux SI existants

Un premier programme de refonte, Faeton, lancé en 2006, n'a pas obtenu les résultats escomptés et a été arrêté en 2013. Un programme de dématérialisation a été lancé en 2015 avec le plan préfecture nouvelle génération (PPNG), mais celui-ci, en mettant en service des télé-procédures et une nouvelle organisation des services, ne renouvelait pas le coeur des systèmes d'information et portait une refonte davantage métier que technique. En 2018, le ministère a donc décidé de relancer une refonte globale, afin de réorganiser et restructurer les différentes applications en un seul système d'information. Un programme en trois volets a été mis en route, prévoyant le remplacement du SNPC, celui d'Aurige, mais aussi le déploiement de la réforme « Le permis pour tous », lancée en 2019. « Il était nécessaire au minimum de refaire les deux briques principales sur un socle plus moderne, afin d'améliorer la relation avec les usagers, de mieux piloter les projets métiers et de faciliter le suivi et la mise en oeuvre des politiques décidées par la sécurité routière », a commenté Maxence Modelin. Pour cela, le programme incluait également des objectifs techniques : avoir une architecture applicative plus orientée service et modulaire, mieux valoriser la donnée et diminuer les délais de mise à disposition aux citoyens.

Publicité« Par son budget, estimé à 72 millions d'euros, le programme figure dans le top 10 des grands projets numériques de l'Etat », a indiqué Amine Fendri. Pour atteindre les objectifs fixés, il fallait mobiliser 150 personnes durant quatre ans selon les estimations. Durant ce laps de temps, le système existant devait également être maintenu en état de fonctionner. Il fallait donc faire appel à des partenaires pour renforcer les capacités internes. « Nous souhaitions un marché multifournisseur, pour ne pas dépendre d'un seul acteur. L'un des enjeux était de favoriser la collaboration entre les différents fournisseurs choisis, tout en gardant la maîtrise du programme en interne. Il fallait également garder une cohérence entre le build - la feuille de route du nouveau SI, et le run - la maintenance du SI existant », a expliqué Amine Fendri. Dans ce but, un accord-cadre agile basé sur SAFe et multifournisseurs a été mis en place. Les rôles clefs, comme la direction de programme, la direction de produit, les business owners ou le release train engineer (RTE) ont été confiés à des collaborateurs internes de la délégation à la sécurité routière et de la direction du numérique du ministère de l'Intérieur coachés sur le framework. La maintenance du SI existant a également intégré le programme et basculé en agile, avec deux équipes de TMA transformées en équipes agiles.

Une montée en puissance avant le premier train

Après une phase de cadrage entre décembre 2018 et avril 2019, une phase de contractualisation a suivi jusqu'à mi-2020, allant de la rédaction de l'appel d'offres jusqu'à la notification des prestataires choisis. L'équipe pilotant le programme a profité de cette période pour réaliser un proof of concept (PoC) afin de rassurer les métiers et de leur montrer qu'on pouvait réussir en agile. Pour ce PoC, le périmètre retenu a été le recalcul des points et la migration des données du SNPC. Selon Amine Fendri, le PoC avait aussi pour but de réduire les risques sur la refonte, en préparant le terrain sur quelques sujets clefs, comme la reprise des données du mainframe vers le nouveau système, la réécriture de l'algorithme ou l'hébergement sur le cloud interne du ministère, et en testant la méthodologie agile et DevOps. Dans le même temps, la réforme sur le permis pour tous a permis d'initier le socle sur l'autre domaine métier, la gestion des examens, avec le lancement d'une expérimentation en Occitanie pour tester une nouvelle méthode d'attribution des places au permis. « Sur ce volet, l'enjeu était davantage métier. Il a fallu lancer la co-construction d'une solution avec tous les acteurs professionnels et étatiques. Cela nous a permis de créer le lien avec les utilisateurs », a confié Amine Fendri. Entre le cadrage et le démarrage du programme, le nombre d'équipes a progressivement augmenté, en vue de préparer le lancement. D'une équipe au départ, le nombre est passé à trois, puis quatre pour le PoC et la réforme, pour atteindre six au moment du premier train SI ERPC (ART ou agile release train) en octobre 2020. En parallèle, un programme de formation à SAFe a été mis en place, en commençant par les décideurs IT et métier, puis les autres rôles, pour finir par SAFe for teams en septembre 2020, juste avant le tout premier PI planning, événement de planification de chaque incrément.

Entre le cadrage du programme fin 2018 et mi-2022, l'approche a connu plusieurs évolutions, dont le ministère a tiré un certain nombre d'enseignements. « Nous avons utilisé un cadre basé sur SAFe auprès d'équipes qui travaillaient déjà en agile, ce qui a grandement simplifié l'intégration de la méthode », a lancé Maxence Modelin en préambule. Au départ, le ministère a appliqué le cadre à la lettre, pour l'adapter progressivement. Chaque incrément s'appuie sur un cycle de cinq itérations, avec quatre consacrées au build et une pour l'innovation et la planification, le tout sur dix semaines. « Nous identifions un backlog, nous priorisons les fonctionnalités avec un atelier WSJF (weighted shortest job first) puis nous réalisons un PI (program increment) planning pour préparer et engager les équipes. Ensuite celles-ci réalisent l'incrément, qui se conclut par une démonstration du système avec l'ensemble des équipes et par une rétrospective inspect & adapt », décrit le responsable du delivery. En complément des grands indicateurs de SAFe, par équipe, par produit, par train et pour le programme, le ministère a souhaité appliquer les indicateurs Accelerate du framework Flow. « Nous voulions suivre la performance du delivery, c'est-à-dire la capacité du système à délivrer des produits en production », explique Maxence Modelin. Ce cadre prévoit quatre indicateurs par produit : fréquence de déploiement, délai de livraison d'une fonctionnalité développée, délai moyen de réparation et taux d'échec sur changement. « Ces mesures nous ont permis de faire progresser notre chaîne de delivery », apprécie Amine Fendri.

Deux trains mais des équipes transverses

Après neuf incréments réalisés, quelques invariants ont perduré, dont la structure des équipes, qui prévoit un product owner (PO) et un co-PO, un expert fonctionnel, un scrum master, un tech lead, des développeurs ainsi qu'un Ops. « Avoir un Ops dans chaque équipe s'est révélé une décision fort heureuse, de même que d'inclure des développeurs seniors dans chaque équipe », a pointé Amine Fendri. Au fil du temps, le ministère a en revanche adapté plusieurs éléments. Ainsi, les ateliers de priorisation WSJF se sont révélés peu pertinents dans le programme de refonte, dont deux volets portaient davantage sur l'architecture que sur le métier, et le dernier, la mise en oeuvre de la réforme, était toujours prioritaire. « Au bout de quatre PI, nous avons décidé d'abandonner cet atelier », explique Maxence Modelin, pour qui celui-ci peut toutefois être bien adapté pour prioriser les travaux de TMA plutôt que sur le build.

Autre constat, il s'est révélé difficile de maintenir un seul train pour l'ensemble du programme. La croissance du nombre d'équipes, entamée dès le PoC, s'est poursuivie, pour atteindre quinze à l'heure actuelle. « Cela s'est fait de façon progressive, sur les deux lignes de produits, en subdivisant des équipes existantes plutôt qu'en créant des équipes from scratch », décrit le directeur technique. Conséquence, une scission du train ERPC a eu lieu après 5 ou 6 incréments, « faute de sujets communs et car nous avions atteint la limite maximum de 150 personnes pour un train SAFe », explique Amine Fendri. Celui-ci note tout de même des avantages à avoir démarré avec un seul train, comme le fait de mettre en place des méthodes et pratiques similaires. Face au risque d'aboutir à deux SI manquant d'interactions, des équipes transverses ont été maintenues pour assurer la cohérence technique du programme, sur le pilotage, la data et la qualité.

Alléger SAFe avec la maturité

Pour des équipes habituées à travailler en agile, le passage à SAFe a laissé deux impressions contradictoires. « Avec cinq jalons dans l'année, il y a à la fois une impression de lourdeur, avec des projections à deux mois et demi, où l'on est capable de pivoter que deux mois et demi plus tard, et parallèlement un raccourcissement du temps, avec des jalons où on se projette à dix incréments, soit deux ans », observe Maxence Modelin. Le ministère a également pointé la difficulté pour les différentes équipes agiles à s'accorder sur la définition des points de complexité, qui servent à estimer les différentes tâches à réaliser. « Nous avons essayé d'uniformiser la valeur du point de complexité, dans un objectif de rendre le train prédictible, mais ce n'est pas quelque chose de simple. Après neuf incréments, les équipes ont divergé au fil du temps », constate Maxence Modelin.

De son expérience, le ministère tire un enseignement global : les équipes matures allègent les rituels SAFe. Par exemple, le PI Planning est concentré sur une journée. « Cela nécessite que l'exercice soit très bien préparé, avec des équipes matures et des scrum masters rodés », souligne Amine Fendri. Il en est de même avec le rituel Inspect & Adapt. De même, les événements de coordination et de suivi PO Sync et Scrum of Scrums se sont transformés en un seul rituel Art Sync, ce qui permet d'avoir moins de réunions, au prix d'une légère perte de visibilité sur le cadrage. Pour les démonstrations, celles-ci se font désormais en séquences toutes les deux semaines par train, en alternant l'ordre. Enfin, la formation et l'innovation se font de plus en plus à la carte, selon le directeur technique. Amine Fendri note également que la co-localisation des équipes est un luxe sur lequel on ne peut plus vraiment compter depuis la pandémie de Covid. Tous les rituels doivent donc être compatibles avec le travail à distance, même si c'est moins efficace qu'en présentiel. « Nous avons tout de même créé des jours de présence obligatoires pour les équipes », précise le directeur technique.

Dressant un bilan du chemin déjà parcouru, Amine Fendri et Maxence Modelin estiment que SAFe s'est bien intégrée aux pratiques existantes, sans que ce soit un changement radical pour les équipes, « grâce à un état d'esprit agile solide au sein du programme ERPC ». Grâce à SAFe et ce socle agile, le programme se déroule bien. Maxence Modelin le résume ainsi : « nous avons toujours une vision produit incrémentale, avec des jalons cibles, mais nous redéfinissons régulièrement la feuille de route. Nous avons des petites équipes multidisciplinaires, une excellence technique que nous chérissons et que nous poussons, avec une automatisation des tests, une livraison en continu, et enfin une amélioration continue. » Mais pour les deux intervenants, la plus grande réussite de SAFe est sans nul doute la mise en place d'une culture commune des équipes. « Nous avons travaillé avec des équipes mixtes comptant jusqu'à quatre sociétés, avec des KPI basés sur la valeur métier et la prédictibilité », confie Amine Fendri.

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