Stratégie

Fanny Cosson (Saint Martin d'Heres) : « L'accompagnement pédagogique est la clé d'une migration réussie vers le Libre »

Fanny Cosson (Saint Martin d'Heres) : « L'accompagnement pédagogique est la clé d'une migration réussie vers le Libre »

Fanny Cosson a menée durant six ans la transformation des systèmes informatiques de la commune de Saint Martin d'Heres. A l'aube de son départ vers l'intégrateur Smile où elle occupera un poste de chef de projet, elle a répondu à nos questions.

PublicitéCIO : Votre arrivée coïncide avec le passage à l'Open Source des systèmes d'informations de la commune de Saint Martin d'Heres. Est ce que c'était une volonté de la mairie ou la votre ?

Fanny Cosson : Avant ma nomination en tant que ‎directrice de l'organisation et des systèmes d'information à la Mairie de Saint-Martin-d'Hères, j'ai travaillé durant dix ans dans l'IT. J'avais donc une véritable culture du logiciel libre à apporter. La migration m'a paru évidente au vu des nombreux avantages économiques qu'elle pouvait représenter. J'ai d'ailleurs été choqué par les budgets alloués à l'informatique et par l'instabilité pourtant persistantes des systèmes d'information.
Quand les éditeurs ont une main mise totale sur les systèmes d'information, ça peut rapidement devenir le bazar ...

CIO : Il a donc fallu convaincre la mairie. Mais à la vue des arguments économiques dont vous disposiez, cela n'a pas du être difficile en cette période de réduction budgétaire...

Fanny Cosson : Même si le discours idéologique est en phase avec la politique de la commune [NDLR : La Mairie de Saint Martin d'Heres est communiste depuis l'après guerre], de nombreux élus se sont montrés frileux. Heureusement, j'ai vite eu l'appui du chef des administrations et de deux/trois élus qui sont devenus mes sponsors. L'opposition à l'hégémonie des éditeurs peut expliquer leur soutien mais surtout le fait qu'ils avaient déjà une vraie culture de l'informatique qui m'a permis de les convaincre plus vite que les autres. Les quatre directeurs généraux adjoints (des services, du développement urbain, des services techniques et des actions sanitaires et sociales) se sont montrés plus réticents. La culture du libre n'était pas en place, il a fallu faire un gros travail d'évangélisation pour accompagner la mutation. Et après coup, je réalise à quel point cet accompagnement est essentiel dans la mutation vers le libre.

CIO : Quels ont été les principaux chantiers que vous avez dû mener ?

Fanny Cosson : En premier lieu, nous sommes passés de quatre serveurs sous Windows à 25 serveurs virtualisés sous Linux, pour une supervision du réseau et des actifs réseaux. Ainsi, nous avons pu installer des solutions comme Nagios, qui surveille les systèmes réseaux, et pu vérifier les capacités des noeuds par nous mêmes. Pour la mise en oeuvre et le déploiement en interne, nous nous sommes appuyés sur Tellnewage, un prestataire. La migration s'est étalée sur six mois et pendant ce temps, Tellnewage a formé les agents en interne à raison de deux ou trois ateliers par mois. Le service informatique comptait un effectif de six personnes quand je suis arrivée et ils sont maintenant onze, nous avons donc embauché et beaucoup formé.
Pour monter en compétence, nous avons adopté une posture « open source » encore une fois ! Les informaticiens se sont auto-formés, entre eux, en partageant leur savoir durant des formations de deux heures, une fois par semaine et à tour de rôle. C'était un excellent moyen de souder l'équipe puisque les compétences de chacun sont valorisées et reconnues.

PublicitéCIO : Avez vous gagné en efficacité avec ces nouvelles solutions ou simplement réalisé des économies ?

Fanny Cosson : En 2009, nous avons installé le logiciel GLPI, un outil libre de gestion de tickets d'incidents informatiques. C'était une petite révolution qui a fait gagner un temps non négligeable. Auparavant, les 1200 agents devaient appeler le secrétariat en cas de problème informatique !
En 2009, nous avons bénéficié d'une formation du syndicat inter-communal pour accompagner la migration vers Open Office. Ce changement majeur nous a permis de réaliser une économie de 180 000 euros sur l'année. Mais, la disparition de la suite Office a été un bouleversement pour certains. La migration a essuyée toutes sortes de critiques, allant de la plus légitime à des accusations infondées comme certaines qui accusaient Open Office de causer des pannes réseaux !
Après ce changement très symbolique, nous avons développé un Intranet sur Joomla en 2012. Nous y avons mis des tutoriels réalisés sur les différents retours des usagers. Cela a été très bien reçu et nous a permis de mener à bien la conduite du changement. Nous avons également mis en place des groupes de formations dans des salles dotées d'un rétroprojecteur. Un an plus tard, nous avons décidé d'évoluer vers une messagerie Open Source. Nous nous sommes séparés de la solution vieillissante Lotus pour passer à Egroupware, en 2013. La migration de 1500 boites mail vers une nouvelle solution aurait coûtée 12 550 euros.
Et, enfin, il n'y a pas moins d'un an, nous avons déployé la GED Alfresco dans les services, ainsi que RAPLA, un logiciel qui permet de gérer dans un planning différents types de ressources.

CIO : Est ce que cette évolution vers le libre a bénéficié aux usagers de la ville ?

Fanny Cosson : Tout à fait ! Nous avons pu évoluer vers des systèmes d'exploitations libres dans les écoles grâce au soutien de l'Académie qui s'est chargée de former les enseignants. Ainsi, les deux ordinateurs qui sont dans les classes de nos écoles tournent sous Ubuntu. Les enfants peuvent retrouver sans difficulté les programmes qu'ils ont à l'école chez eux.

CIO : Pourquoi Ubuntu ? Avez vous choisi le même OS pour les postes de la Mairie ?

Fanny Cosson : Nous avons choisi Ubuntu parce que c'est la solution la plus conviviale et la plus connue, tout simplement. Par contre, les 650 machines de la Mairie sont toujours sous Windows. Même si une migration est dans les cartons... Néanmoins, je suis moi même sous Ubuntu ainsi que le service Informatique. Les élus qui soutiennent la démarche ont, quant à eux, pris la décision de migrer vers d'autres Linux.
J'en profite pour mentionner l'exemple de la ville de Fontaine, une autre ville voisine de Grenoble. Ils ont entrepris une migration vers Ubuntu et leur démarche est intéressante puisqu'ils proposent tous les six mois de migrer vers Ubuntu, chaque agent est ainsi libre de changer d'OS ou non. En seulement six mois, 20 % des agents ont ainsi fait leur migration de leur propre chef.

CIO : Le site web de la commune repose-t-il également sur de l'Open Source ?

Fanny Cosson : Oui, nous avons refondu le site en 2012 sur Joomla et nous l'hébergeons en interne. Il a été développé par un stagiaire mais le pôle communication a depuis recruté un développeur web, spécialisé dans le libre, qui s'en charge.

CIO : Avez-vous l'intention de financer le développement de solutions libres ?

Fanny Cosson : Peut être indirectement puisque la commune est membre de l'Adullact (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales), une association qui développe et fait la promotion de logiciels libres utiles aux missions de service public. Les membres sont des administrations et des collectivités territoriales. Nous échangeons les solutions que nous développons en interne et chaque membre est contributeur. La ville de Paris a développée Open Mairie qui est vraiment utile pour de nombreuses communes comme la notre.
Nous sommes également membre de la métropole de Grenoble, ville dont le 56ème engagement de campagne du maire était de recruter un DSI fortement engagé dans le libre. Ce qui a depuis donné une impulsion à la région : je ne connais pas de communes de la métropole où il n'y a pas Open Office sur les postes.
Finalement, nous ne sommes plus précurseurs quand on se lance dans le libre aujourd'hui. Il y a une vraie tendance de fond, nous disposons même de consignes ministérielles pour l'intégrer aux services, c'est dire ! Le contexte de restriction budgétaire et les questions de vie privée ont propulsé le débat sur la place publique : ce n'est plus un sujet qui n'intéresse que les geeks. Et sur le plan technique, il y a beaucoup plus de sociétés de services qui forment et proposent du support sur le libre.

CIO : Pouvez vous citer des exemples de solutions libres, issues de ces communautés, que vous utilisez ?

Fanny Cosson : Nous utilisons Webdelib, pour les délibérations, I-Parapheur (worflow d'approbation avec signature électronique) ou Flow 2 (un outil de certification qui permet d'envoyer des flux d'ordres de paiement à la trésorerie principale). Nous pouvons vraiment répondre à toutes les problématiques avec le Libre.

CIO : L'Open Data est également une tendance actuelle. Quelle est votre vision de ce phénomène ?

Fanny Cosson : C'est un vaste chantier auquel j'ai réfléchi, oui. Vu que je suis sur le départ, je n'aurai pas le temps de m'en charger, nous avons beaucoup de retard sur le sujet et de choses à réaliser pour y parvenir. Ce n'est pas dans la culture française, contrairement au pays du Nord. Il faut que la loi évolue en obligeant les mairies à numériser leurs données. Il y a encore beaucoup plus de papiers que l'on imagine dans les mairies...
J'ai néanmoins préparé le terrain en mettant en place des bars de données libres et accessibles à n'importe quel logiciel. L'idée est que les données publiques soient rendues intelligibles aux usagers, c'est ça qui compte. Et on peut parler du budget, comme du nombre d'arbres plantés ou de l'emplacement des feux tricolores, toutes ces informations appartiennent à la ville et donc à ses usagers. Mais le chantier de l'Open Data va se faire à l'échelle des métropoles et des régions. Les collectivités vont bien finir par se se mettre à jour. Les communes n'auront qu'à mettre à jour leurs données et à suivre la dynamique. C'est clairement l'enjeu des cinq prochaines années.

CIO : Les données ouvertes vont-elles toujours être gratuites ?

Fanny Cosson : Par définition, les données publiques appartiennent aux citoyens et doivent donc rester gratuites. Mais certaines entreprises construisent leur modèle sur ces données gratuites et publiques en fournissant des outils pour les rendre intelligibles. Quoi qu'il arrive, on peut vendre des dictionnaires mais on ne peut pas vendre la culture. Le tout est de savoir comment utiliser le Big Data...

CIO : Au terme de ces six années de migration vers le libre, quel est votre bilan ?

Fanny Cosson : En premier lieu, j'évoquerais les économies majeures que nous avons réalisées grâce aux logiciels libres. Puis le fait que nous nous sommes totalement réapproprié notre système d'information, qui relève d'un enjeu majeur aujourd'hui. Nous avons accès au code de l'ensemble de nos systèmes, ce qui nous permet de faire communiquer aisément nos machines, c'est un gain d'efficience considérable. Voilà pour le positif.
Mais il y a aussi des zones plus sombres. Le libre produit beaucoup de changements et de perturbations pour les agents. Je pense que l'essentiel c'est l'accompagnement et il nous a peut être fait défaut. Je réalise à quel point la pédagogie est essentielle pour faire de la migration une réussite. Les gros éditeurs ont l'habitude de prendre en charge ce type d'accompagnement et ils ont le discours qui va bien avec, c'est pour ça qu'ils ont la cote et que les agents ont parfois peur de passer vers le libre. Mais si nous voulons nous détacher des éditeurs, il faudra comprendre que la conduite de tels enjeux n'est plus la simple responsabilité du service informatique mais de tous.

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