Comment concrétiser la promesse des « développeurs citoyens »

Confrontés à une pénurie de talents tech, les départements IT se tournent vers les utilisateurs métier pour répondre à certains besoins de développement applicatif. Cependant, transformer ces développeurs citoyens, ou « citizen developers », en vraies ressources pour l'entreprise nécessite stratégie et anticipation, comme le détaille cet article adapté de CIO Etats-Unis.
PublicitéLa forte demande de développeurs d'applications entraîne des pénuries sur les talents de programmation. Malgré cela, le besoin apparemment insatiable de nouvelles applications persiste. Comment une organisation peut y répondre avec un tel écart entre l'offre et la demande ? Selon le bureau des statistiques du travail des Etats-Unis (BLS), l'emploi des développeurs applicatifs devrait augmenter de 21% entre 2018 et 2028 - bien plus rapidement que la moyenne de l'ensemble des professions. Face à cette demande en hausse et aux tensions que cela génère sur la force de travail, ainsi que sur les entreprises elles-mêmes, le concept de « développeur citoyen » séduit des organisations dans une diversité de secteurs.
Les citizen developers sont des utilisateurs métier qui créent des applications à partir d'une base de code, d'un système ou d'une structure appartenant à l'entreprise. Il s'agit typiquement de professionnels issus non pas du développement mais d'autres domaines, qui exploitent les outils à leur disposition, nécessitant peu de compétences en écriture de code, pour construire des applications qui sans cela auraient dû être entièrement codées par des développeurs. « Pour faire simple, c'est l'évolution naturelle du développement agile, où l'on donne de plus en plus de contrôle aux utilisateurs finaux pour leur permettre de répondre à leurs besoins à leur rythme », lance Gary Kern, DSI de MutualBank.
Pour les départements IT, le principal bénéfice des développeurs citoyens est de permettre une innovation métier en self-service, ce qui démocratise la transformation de l'entreprise, selon Jason Wong, vice-président de la recherche et du conseil chez Gartner. « Et du côté des entités métier elles-mêmes, celles-ci constatent une agilité et une productivité accrues, deux facteurs clefs pour obtenir une dextérité numérique. »
Le développement citoyen ou « citizen IT », que Gartner décrit comme un sous-ensemble de « l'IT pilotée par les métiers », assuré par des utilisateurs finaux qui ne sont pas des professionnels de la technique, devient de plus en plus courant dans des domaines comme le développement d'applications, les data sciences ou l'intégration d'applications, selon le cabinet d'études.
Dans un rapport publié en octobre 2019, Gartner a souligné que l'IT piloté par les métiers recouvre généralement un effort de collaboration entre les métiers et l'IT, avec l'application de standards et de politiques appropriées, même si le rôle de l'organisation IT peut fortement varier selon les cas. Le cabinet prédit qu'en 2023, le nombre de développeurs citoyens actifs dans les grands groupes va atteindre au moins quatre fois le nombre de développeurs professionnels. « Pratiquement tous les utilisateurs finaux peuvent être des citizen developers, si on leur en donne les capacités dans le bon contexte », selon le rapport du Gartner. « Pour cette raison, les leaders chargés des applications doivent inclure le développement citoyen dans leurs futures stratégies applicatives. »
PublicitéComment les organisations peuvent-elles donc exploiter au mieux ces ressources de développement émergentes ? Nos collègues de CIO États-Unis ont recueilli les conseils d'organisations adeptes de cette pratique et d'experts.
Priorité aux besoins
Si vous voulez mettre à profit les développeurs citoyens pour créer de nouvelles applications, méconnaître les grands objectifs de votre organisation et ne pas les garder en tête peut vite faire dérailler vos initiatives. « La vraie valeur des développeurs citoyens, c'est leur capacité à mieux identifier les besoins spécifiques des métiers et la façon dont ils envisagent d'y répondre », souligne Gary Kern. Une fois que ces besoins sont déterminés, les projets de citizen development peuvent démarrer sur un périmètre restreint, afin d'éviter des dysfonctionnements majeurs pouvant nuire à l'entreprise ou perturber ses processus.
« Pour moi, il est préférable de démarrer en attendant des développeurs citoyens qu'ils travaillent sur un prototype plutôt qu'un produit fini », conseille Gary Kern. Si l'effort de développement porte sur un usage limité ou une application standalone, cela laisse davantage de latitude sur les tests applicatifs à mettre en oeuvre. Mais même dans ce cas, l'IT doit toujours apporter son aide pour les processus d'assurance qualité, selon le DSI de MutualBank.
Vérifier les compétences et faire du tutorat
Le concept de développement citoyen ne signifie pas que tout un chacun dans l'organisation peut immédiatement commencer à créer des applications. Il est important d'identifier les individus qui possèdent les bonnes compétences. « Le rôle actuel de ces collaborateurs ne doit pas être le principal facteur déterminant », insiste Bill Balint, DSI de l'Université Indiana de Pennsylvanie. « Les candidats doivent avoir de bonnes compétences de communication, être flexibles et adaptables, et, plus important, capables de gérer un changement permanent. »
L'Université Indiana de Pennsylvanie a désigné des administrateurs d'applications travaillant en dehors du département IT, qui prennent la plupart des décisions sur la gestion et la sécurisation des applications en partenariat avec l'IT. L'Université fait également appel à des « super utilisateurs » qui aident l'IT à accomplir ses missions, « car bien souvent surgissent des besoins informatiques non planifiés et bien précis, qui peuvent sans risque être traités en dehors de la DSI », illustre Bill Balint. « Donner aux départements la capacité de répondre à ces besoins par eux-mêmes permet d'aller plus vite et d'obtenir des résultats de façon plus efficace. »
L'expérience de l'université montre également qu'un vrai système de tutorat est essentiel pour obtenir les meilleurs résultats quand on change les responsabilités, par exemple en demandant à un collaborateur de développer un logiciel alors que cela ne faisait pas partie de ses attributions auparavant. « Faites-en sorte d'aider les nouveaux membres de l'équipe à se sentir à l'aise avec la culture qui entoure leur nouveau rôle, à se familiariser avec les principales parties prenantes, et même un peu avec leurs objectifs de performance sur le long terme, avant de trop se soucier de leur productivité », recommande Bill Balint. « Embarquer d'emblée quelqu'un dans toute une série de formations officielles, sans tenir compte de son contexte et de son niveau de confort s'avère parfois moins efficace. »
Il est vital de ne pas abandonner les développeurs citoyens sur une « île », pour reprendre le terme de Bill Balint. « L'IT doit être au courant de ce qui est fait et rester vigilante sur d'éventuels points de défaillance, par exemple si la personne part ou n'est pas disponible. Peu importe qui développe une application, toutes les activités liées au coeur de métier doivent se plier aux mêmes standards. »
Sélectionner les bons outils
Demander à des collaborateurs de devenir des développeurs citoyens pour ensuite les équiper avec des outils trop complexes pour eux est une perte de temps et peut déboucher sur des logiciels de mauvaise qualité. « Les citizen developers manquent souvent d'outils adéquats et de l'environnement sous-jacent pour produire de bons résultats, ce qui peut les inciter à revenir aux pratiques de 'shadow IT' », relève Jason Wong.
Pour aider à choisir les bons outils, c'est une bonne idée de faire tester ces derniers par des développeurs expérimentés de l'organisation, avant de les mettre à la disposition des développeurs citoyens pour leurs projets. « Vous devez impliquer les développeurs qui travaillent actuellement pour votre entreprise », affirme John Walker, directeur IT de l'entreprise de transport et de logistique H&M Bay. « Ceux-ci doivent s'assurer que ces outils peuvent prendre en charge certaines tâches de leur to-do liste, et ils doivent être convaincus qu'ils sont bien plus faciles à utiliser que ceux dont se sert l'IT. »
John Walker recommande de s'appuyer sur les études qui évaluent les offres du marché. « Ensuite, en raison de l'importance de l'effort en jeu, j'examinerai et j'évaluerai les 4 à 6 outils classés en tête », ajoute-t-il. « J'impliquerai par ailleurs plusieurs développeurs et des profils métier de haut niveau dans le processus de sélection. »
Même en déployant les outils les plus faciles à utiliser, rien ne garantit que tout le monde puisse devenir un bon développeur en une nuit. « Demandez aux développeurs professionnels d'identifier des 'super utilisateurs' dans l'organisation », conseille John Walker. « Il s'agit d'utilisateurs métier qui comprennent les similitudes entre systèmes et perçoivent où ajouter des champs, des écrans, des tables de bases de données pour répondre à leurs besoins. Voici vos meilleurs candidats pour devenir des développeurs citoyens », affirme-t-il. Si l'entreprise ne possède pas assez de ces 'super utilisateurs' pour répondre à ses besoins de développement, John Walker suggère d'inciter d'autres utilisateurs finaux à se manifester et à candidater pour devenir des développeurs citoyens.
Maintenir la DSI impliquée dans le dispositif
Faire appel à des profils qui ne sont pas des développeurs de métier pour bâtir des logiciels n'est pas quelque chose qu'on peut mettre en place sans plus s'en soucier par la suite. La DSI doit être présente pour guider les citizen developers - parfois à distance et parfois de façon plus proche.
L'étude du Gartner a montré que les organisations IT n'étaient pas toujours aussi engagées que ce qu'elles devraient dans les initiatives de développement citoyen, ce qui peut conduire à des problèmes de sécurité, de qualité et de gouvernance. Le cabinet de recherche indique que les entreprises peuvent transformer le shadow IT en citizen IT, à condition de désigner des membres de la DSI pour aider les leaders métiers, à la fois sur l'identification de super utilisateurs et sur la conversion de leurs pratiques actuelles en initiatives de citizen IT, de façon à compléter et étendre les capacités de l'IT.
La DSI peut également considérer le citizen development comme un composant spécifique de la sa stratégie IT globale, travaillant avec les leaders métier pour mesurer l'impact des contributions de citizen IT sur l'entreprise et déterminer quand il est nécessaire de remonter vers l'IT.
La ville de Wichita, au Kansas, s'appuie sur des « développeurs embarqués » pratiquement dans toutes ses opérations, afin d'étendre la portée d'un département IT aux ressources limitées, comme le raconte Michael Mayta, son DSI. « Dans notre environnement, ces ressources sont progressivement devenues non nécessaires », relate Michael Mayta. « Des années d'expansion technologique sans ajout de personnel nous ont conduits à chercher à augmenter nos équipes en faisant appel à des talents en dehors de l'IT. »
A travers des outils collaboratifs et analytiques, l'IT apporte de l'aide aux développeurs embarqués chaque fois que c'est nécessaire. Déterminer précisément si et quand l'IT doit intervenir pour améliorer ou compléter les développements dépend du périmètre et de la complexité des projets.
Selon Michael Mayta , les développeurs embarqués peuvent concevoir dans les grandes lignes des systèmes qui implémentent les bons processus, mais ils peuvent avoir besoin d'assistance pour déployer une solution robuste et capable de suivre la charge. « Nous avons opté pour une approche où nous choisissons la plateforme, nous évaluons les compétences des développeurs embarqués, nous identifions ce qu'il leur manque et nous fournissons les accès, la formation et les conseils appropriés. »
Cette stratégie permet d'accélérer la création et la maintenance des applications, même avec des ressources serrées, relève Michael Mayta. « Ces développeurs améliorent de façon significative la capacité de l'organisation à utiliser ses ressources. Aider les développeurs embarqués à comprendre les grands besoins en termes de sécurité, d'authentification, de qualité de service et d'interface utilisateur permet d'avoir un processus efficace et efficient. »
Article de Bob Violino / CIO États-Unis (Adaptation et traduction par Aurélie Chandèze)
Article rédigé par

La rédaction de CIO Etats-Unis,
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