Katrin Lehmann, Mercedes-Benz : « utiliser l'IA sur toute la chaîne de valeur »

Katrin Lehmann, la DSI groupe de Mercedes-Benz, détaille les usages croissants de l'IA chez l'industriel. Avec des applications dans tous les départements du groupe. Elle se penche aussi sur l'influence de la géopolitique sur ses choix IT.
PublicitéEnviron un an après sa nomination en tant que DSI groupe de Mercedes Benz, un groupe qui emploie environ 11 000 personnes à l'IT, Katrin Lehmann détaille la stratégie du constructeur en matière d'IA. Comme les autres géants de l'automobile, l'industriel allemand est confronté au ralentissement du marché : en 2024, le groupe a généré un chiffre d'affaires de 145,6 Md€, en recul de 4% sur un an. Si l'entreprise reste très largement profitable, avec 10,4 Md€ de bénéfice l'an dernier, ce dernier s'affiche lui aussi en recul sur un an (-28%).
CIO : depuis notre dernier entretien, la situation géopolitique a fortement évolué et les appels à la souveraineté numérique en Europe se font de plus en plus pressants. Comment renforcez-vous la résilience de votre informatique, notamment en ce qui concerne MO360, la plateforme de données du groupe bâtie sur Microsoft Azure ?
Katrin Lehmann : Ce qui est décisif pour la souveraineté, c'est d'avoir une stratégie multicloud et de segmenter nos données. Nous définissons quelles données sont différenciatrices en termes de concurrence et les traitons avec une attention particulière.
Nous poursuivons délibérément une stratégie qui consiste à ne pas tout miser sur un seul cheval, et nous travaillons avec différents partenaires, notamment en échangeant étroitement avec d'autres entreprises en Allemagne et en Europe. La situation actuelle nous oblige à remettre sans cesse en question notre positionnement stratégique, ce que je considère comme une bonne chose. Mais cela ne signifie pas que nous ne continuerons pas à miser sur la collaboration avec des partenaires internationaux, tant que nous restons vigilants, que nous nous positionnons de manière flexible et que nous protégeons nos 'joyaux de la couronne'.
La priorité est donnée aux données personnelles, qui sont particulièrement protégées par le RGPD et d'autres lois et directives sur la protection des données, et bien sûr aux informations et données de nos véhicules.
Êtes-vous préoccupée par la dépendance à des partenaires internationaux potentiellement imprévisibles à l'avenir, je pense par exemple à Microsoft ?
D'une part, nous avons des échanges très étroits avec Microsoft. Nous discutons bien sûr aussi de ces sujets, comme avec d'autres entreprises partenaires. D'autre part, nous ne travaillons pas exclusivement avec Microsoft. Nous menons notre restructuration SAP en collaboration avec AWS. Et en Chine, nous coopérons avec des entreprises comme Alibaba Cloud.
Vous avez précédemment évoqué les données et informations relatives aux véhicules. Quel rôle joue ici le système d'exploitation de Mercedes-Benz, MB.OS, qui est utilisé aussi bien dans la production qu'au sein du véhicule ?
PublicitéMB.OS est notre nouveau système d'exploitation, que nous avons introduit avec la Classe A. Nous sommes ainsi en mesure d'effectuer des déploiements Over-the-Air, de sorte que le véhicule soit toujours à jour d'un point de vue logiciel. Comme sur un smartphone.
Pour cela, nous avons besoin d'un parcours logiciel propre de bout en bout, qui nous permette d'introduire des mises à jour via les usines et, plus tard, à distance. En ce qui concerne la production, cela signifie que lorsque la voiture sort de la chaîne de montage, elle dispose toujours de la dernière version du logiciel. Le logiciel est mis à jour pendant le processus de production à des points dits « flash ».
« Notre propre chatbot fera bientôt office de point de contact central pour les informations des différents domaines et départements. » (Photo : Mercedes-Benz)
De nombreuses entreprises cherchent encore le « pourquoi » de l'utilisation de l'IA. Précédemment, vous avez cité différents cas d'application, comme l'IA dans le traitement du leasing, le configurateur basé sur l'IA en Grande-Bretagne ou l'assistant IA pour le support à Maastricht. De nouveaux cas d'utilisation sont-ils nés depuis ?
Nous utilisons désormais l'intelligence artificielle tout au long de la chaîne de création de valeur. Grâce à l'IA et aux Large Language Models, nos experts en achats peuvent comparer plus efficacement les offres de différents fournisseurs et prendre de meilleures décisions. Les responsables des différents composants d'un véhicule sont assistés par des solutions d'IA dans la création et la gestion des spécifications. Mais il existe également de nombreuses possibilités d'utilisation dans le domaine financier, pour proposer une assistance rapide. Une jeune collègue a, par exemple, fait programmer ses macros Excel par une application d'IA.
Avec Meet.IA, un outil développé en interne pour la traduction et la transcription en direct, nous facilitons la collaboration à l'international au sein de l'entreprise. De même, notre propre chatbot Mercedes-Benz, Direct Chat, est devenu indispensable au travail quotidien. Bientôt, cet outil fera office de point de contact central pour toutes les informations, en reliant et en intégrant de manière transparente les chatbots spécifiques aux départements et aux domaines. Seuls les cas d'usage qui répondent à nos directives et qui présentent un business case positif sont mis en oeuvre, car chaque utilisation entraîne naturellement des coûts.
Parlons justement des coûts. Au cours des dernières années, l'informatique est passée du statut de simple facteur de coût à celui de facilitateur de l'activité. Compte tenu des mesures d'économie actuelles dans de nombreuses entreprises, craignez-vous un retour en arrière ?
L'informatique fait partie de la solution et non du problème. En ce moment, nous devons tous apporter notre contribution et examiner très attentivement les sujets sur lesquels nous investissons et qui apportent la plus grande valeur ajoutée à l'activité. C'est pourquoi nous avons établi un processus de gestion de portefeuille et installé un comité, le Mercedes-Benz Digiboard, au sein duquel nous priorisons, avec nos partenaires métiers des différentes spécialités, les projets que nous pouvons entreprendre et ceux qui peuvent éventuellement attendre.
Cela signifie que nous investissons de manière ciblée là où la plus grande valeur ajoutée est générée pour l'entreprise. J'y vois une dynamique positive, car les métiers sollicitent l'IT et demandent comment devenir plus efficaces grâce à des solutions numériques.
« Nous avons créé une base de données de tous nos cas d'utilisation de l'IA, ce qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble à tout moment et d'éviter les doublons. » (Photo : Mercedes-Benz)
Quel rôle joue le GenAI Accelerator, initiative dont vous avez parlé l'année dernière ?
Le GenAI Accelerator existe toujours. Il fait désormais partie intégrante de notre stratégie IT. De plus, Daniel Eitler, notre RSSI groupe, a désormais également pris le poste de Chief Data Officer et de Chief AI Officer. Il veille à ce que nous fassions avancer les bons projets en collaboration avec nos collègues de Mercedes-Benz Tech Innovation (dont dépend le GenAI Accelerator, NDLR).
Par ailleurs, nous avons créé une base de données de tous nos cas d'utilisation de l'IA, ce qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble à tout moment et d'éviter les doublons. Tous les départements, y compris aux États-Unis et en Chine, se sont engagés à faire passer leurs projets d'IA par l'initiative centrale afin de respecter les directives groupe et exploiter les synergies.
Quel rôle joue l'IA dans le contexte dans le contexte de la production ?
Nous utilisons l'IA depuis longtemps, notamment grâce à notre plateforme de données MO360, qui constitue une excellente base pour cela. La particularité de notre campus à Berlin est que les collègues qui ont effectivement travaillé dans l'usine participent activement au développement de nouveaux cas d'application. Nous avons ainsi réfléchi, sur la base du poste de travail, aux besoins des collaborateurs pour pouvoir travailler plus efficacement et mieux.
Par exemple, si de nouveaux collaborateurs ont besoin d'informations sur le fonctionnement ou l'entretien d'une machine, ou si un problème survient, ils peuvent interagir avec l'IA par prompt ou même par la voix et obtenir les informations dont ils ont besoin. Cela accélère énormément les processus, augmente l'efficacité et permet d'accéder aux meilleures pratiques. Tout en facilitant le partage des connaissances avec les collègues d'autres sites.
Autre exemple sur notre usine de Rastatt, où est produite, entre autres, la nouvelle Classe A. Nous y utilisons l'IA générative, par exemple pour optimiser la consommation de peinture dans l'atelier de peinture. C'est justement à cette période où le contrôle des coûts joue un rôle important que nous voyons un potentiel considérable dans l'utilisation de l'IA.
Dans une usine du groupe. Les collaborateurs sur la ligne de production disposent d'un chatbot qui va piocher dans les bases de connaissances de l'industriel. (Photo : Mercedes-Benz)
Et est-ce qu'ils peuvent réellement faire confiance au chatbot, alors que ChatGPT et consorts se trompent souvent dans leurs réponses ?
Avec la MO360 LLM Suite, nous disposons d'une boîte à outils avec différents LLM, spécialement adaptés à nos besoins et appliqués à nos cas d'usage. Grâce à des droits d'accès bien définis aux données et applications de production pertinentes, nous nous assurons que les LLM n'hallucinent pas et nous pouvons comprendre exactement à quelles données ils se réfèrent et d'où proviennent les informations.
Pour nous, il est essentiel que les résultats soient compréhensibles et que nos collègues puissent se fier à 100% aux informations qu'ils reçoivent des LLM. C'est pourquoi nous avons opté pour un développement interne, effectué en partenariat.
Quel est l'état actuel du développement des agents d'IA chez Mercedes-Benz ?
Nous nous occupons intensivement de ce sujet. Tous les vendredis, je fais une Learning Hour avec mon équipe de direction IT, au cours de laquelle des experts nous expliquent les nouvelles technologies d'IA. Car, après tout, aucun d'entre nous n'a appris cela à l'université. Nous avons maintenant construit nos propres agents et nous les testons avec eux pour voir quels cas d'utilisation fonctionnent et les domaines où des améliorations doivent être apportées.
En fait, il s'agit de permettre à différents agents d'IA issus de différents systèmes (comme Salesforce, SAP ou ServiceNow) de communiquer entre eux. L'objectif est de créer des systèmes multiagents virtuels - c'est-à-dire assurant la communication et la collaboration de différents agents IA.
Ces systèmes devront fournir des réponses complètes à l'utilisateur en rassemblant des informations provenant de différentes sources. Au lieu de charger mon équipe de l'analyse fastidieuse de données provenant de différents systèmes, je peux missionner un agent qui rassemble les informations pertinentes, comprend la sémantique et s'assure que l'ensemble est cohérent.
Existe-t-il d'ores et déjà des cas d'application concrets ou parle-t-on encore d'apprentissage, de développement ou de test ?
Au niveau de l'entreprise, nous en sommes encore au stade du prototype. Toutefois, nous avons déjà des premiers projets en production sur MO360 : des assistants d'IA analysent les données en temps réel et peuvent, par exemple, aider à identifier les écarts soudains en matière de qualité. Ils proposent des solutions quasiment sur la simple pression d'un bouton. Je suis convaincu que les développements dans ce domaine vont progresser très rapidement.
Article rédigé par
Jurgen Hill, CIO Allemagne (adapté par Reynald Fléchaux)
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire