Frédéric Gimenez (Total) : « la mise en place de synergies nous a fait gagner plus de 10 % de notre budget »


Le DSI doit évoluer comme son entreprise
La transformation s'applique non seulement à l'entreprise, non seulement à ses directions et notamment à la direction des systèmes d'information mais aussi au DSI lui-même. Il doit changer, évoluer, notamment lorsque le périmètre de ses fonctions évolue. Et le coaching peut être un moyen de réussir...
DécouvrirFrédéric Gimenez, DSI groupe de Total, pilote aujourd'hui une IT réorganisée après la création d'une branche dédiée aux services transverses, Total Global Services (TGS). L'IT des branches a été recentrée sur les activités coeur de métier. La cohérence de l'ensemble est garantie par le DSI groupe.
PublicitéCIO : Dans quel contexte initial est venue s'inscrire la réorganisation devenue effective au 1er janvier 2017 ?
Frédéric Gimenez : Il y a eu un long cheminement. Traditionnellement, le SI du groupe était lié à notre organisation par branches métiers. Les DSI branches géraient donc presque tout. La DSI groupe s'occupait du régalien (sécurité...) ou de quelques services mutualisés (comme les télécoms).
En 2008, nous avons créé un socle de poste de travail unique mais celui-ci était bien opéré par chaque DSI branche. Il était donc plus facile de passer un applicatif d'une branche à l'autre mais la gestion quotidienne restait différenciée.
En 2014, la chute du prix du baril de pétrole nous a obligés à optimiser nos coûts. Nous avons simultanément repéré de nombreuses opportunités de synergies. Nous avons donc proposé de créer Total Global Services (TGS), pour mutualiser les activités IT partagées au sein du groupe. Au départ, il s'agissait d'activités déjà transverses comme le poste de travail, le support, les télécoms... Nous avons alors observé son fonctionnement et nous avons constaté que les synergies voulues étaient bien au rendez-vous. Du coup, nous avons examiné tout ce qui pourrait être mis en synergies. Un plan a été conçu à cette fin en 2015.
Au 1er janvier 2016, TGS a doublé en effectif et en budget. Nous y avons en effet intégré les infrastructures, les datacenters et SAP. Nous avons alors pu nous réjouir d'obtenir de très importantes synergies, notamment en matière de sourcing : un seul contrat SAP, un seul contrat d'infogérance d'infrastructure... Le gain annuel constaté sur l'ensemble des activités mutualisées est de l'ordre de 10 % sur un budget total supérieur au milliard d'euros. De plus, pour les collaborateurs, il y a eu un grand nombre d'opportunités liées à un élargissement de leurs possibilités de missions. Par exemple, les spécialistes SAP peuvent désormais réaliser des projets successivement dans les différentes branches du groupe au lieu d'être cantonnés à une seule.
CIO : Et, donc, en quoi a consisté la réorganisation du 1er janvier 2017 ?
Frédéric Gimenez : D'une initiative d'abord IT, TGS est devenu une branche à part entière. Celle-ci regroupe désormais la totalité des métiers de supports : SI, bien sûr, mais aussi RH, finances, achats, formation, services généraux et consulting interne (en organisation, en projets...). Toute l'IT associée à ces fonctions (comme les équipes en charge du SIRH, du SI Finance, etc.) a de ce fait évidemment été regroupée dans TGS. Aujourd'hui TGS est supervisée par Namita Shah, membre du Comex, et dirigée par Thierry Pfimlin. Et, au sein de TGS, la division IT a été confiée à Dominique Pardo.
Cependant, au sein de chaque branche, il reste une DSI. Celle-ci est centrée sur la proximité business, le SI spécifique à la branche, en gros les applicatifs métier. Par exemple, on peut citer la monétique des stations-services gérée par la DSI de la branche Marketing-Services ou le calcul haute-performance dans la branche Exploration-Production. De temps en temps, malgré tout, il peut exister des métiers qui se rapprochent entre branches différentes et, là encore, nous pouvons mener des synergies.
PublicitéCIO : Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Frédéric Gimenez : L'essentiel de nos forces de vente se situe dans la branche marketing-services. La DSI de cette branche avait donc mis en place une solution digitale de gestion de la relation client pour une centaine de filiales dans le monde.
Or il se trouve que les polymères, produits directement issus du raffinage, sont toujours vendus par la branche Raffinage Chimie. Lorsque les forces de vente des polymères ont voulu refondre leur SI, ils se sont rapprochés de la DSI de la branche marketing-services.
De même, la DSI Exploration-Production gère le super-calculateur Pangéa. Mais l'ancien super-calculateur est actuellement utilisé par l'une de nos filiales, Hutchinson, dédiée à la chimie de spécialité, pour des calculs de résistance des matériaux par exemple. Même si l'on regarde pour accroître les usages de Pangéa au delà de l'exploration-production, cette branche consomme presque 100 % du temps de calcul disponible. Les polymères, les carburants... pourraient dans le futur bénéficier du calcul haute performance eux aussi. Il faudra, le cas échéant, fixer une gouvernance adaptée.
Il s'agit bien, dans ces cas, d'opérer des synergies intelligentes sur de l'IT métier mais il ne s'agit pas d'IT transverse au titre de l'ensemble du groupe et donc de TGS.
CIO : Dans ce contexte, quel est le rôle de la DSI groupe ou, à l'inverse, ce qu'elle ne réalise plus ?
Frédéric Gimenez : Depuis le 1er janvier 2017, la DSI groupe n'a plus aucun rôle opérationnel. Mon rôle est de définir la stratégie IT, de choisir les plates-formes techniques transverses et de piloter le sourcing stratégique. Par exemple, l'orientation cloud ou l'évolution du poste de travail est de mon ressort. Et, de même, les relations avec les grands acteurs comme SAP ou Microsoft sont traitées au niveau groupe.
De la même façon, la création, la modification et le contrôle de l'application du référentiel de sécurité est de la responsabilité du DSI. Le RSSI groupe m'est rattaché. La sécurité des SI industriels également. Et je dois m'assurer de l'application de la réglementation dans les établissements sensibles, même si les opérations concrètes quotidiennes sur les sites industriels sont réalisées par des équipes industrielles.
Enfin, je suis un interlocuteur du Chief Digital Officer et je suis membre du Comité du Digital groupe. Par contre, la mise en oeuvre au quotidien relève, notamment, de TGS et des DSI de branches.
La DSI groupe a donc une responsabilité globale y compris pour la gestion, en collaboration avec la DRH, de la filière RH des collaborateurs IT (évolution des carrières, GPEC...). Une organisation matricielle comme celle de l'IT est assez courante dans le groupe Total, même si l'IT est particulièrement transverse.
CIO : Puisque nous parlons ressources humaines, comment gérez-vous les experts techniques qui n'ont pas nécessairement vocation à évoluer en managers IT ?
Frédéric Gimenez : Certains experts techniques IT ont bien vocation à évoluer en managers IT. Ceux-ci ont notamment, aujourd'hui, un rôle d'encadrement de la prestation IT, en associant à la gestion de contrat une véritable expertise technique. Nous avons ainsi des dizaines d'experts SAP pour superviser l'infogérance SAP et assurer le lien entre IT et métiers.
Nous avons aussi des managers pour qui l'IT sera une étape dans leur carrière. Ceux-là n'ont pas vocation à devenir des experts techniques IT mais vont faire un parcours dans l'IT, participer à des projets et avoir des rôles de managers IT, parcours qui leur donnera une vision très transverse de l'entreprise, avant de basculer dans les métiers. Enfin, nous avons en effet à garder des expertises techniques de haut niveau mais ce n'est pas, chez Total, un problème propre à l'IT. Le groupe dispose donc d'une filière d'experts qui n'ont pas vocation à devenir managers. Dans l'IT, c'est par exemple le cas des experts en informatique scientifique (et qui peuvent procéder à des publications scientifiques), des spécialistes des télécoms pétrolières (notamment sur les plates-formes) ou de spécialistes des technologies émergentes comme l'UX, la data science, le digital ou l'industrie 4.0.
Notre vrai défi est bien de toujours disposer des expertises utiles, notamment sur les technologies émergentes, et d'accompagner les collaborateurs dont les spécialités ne sont plus d'actualité. D'autres expertises sont fixes et perdurent, notamment, par exemple, le calcul haute performance où nous disposons d'équipes R&D.
CIO : Dans une organisation matricielle comme la vôtre, comment est géré le budget IT ?
Frédéric Gimenez : J'ai la responsabilité de défendre le budget IT global du groupe même s'il est réparti entre les différentes entités. Mon rôle est donc de superviser et d'accroître la performance budgétaire IT. Cela peut passer par une évolution de la stratégie de sourcing ou de choix technologiques ou bien en lançant un plan d'économies.
TGS a son propre budget IT mais il est totalement refacturé aux consommateurs de ses services (DSI branche, DSI groupe...). La DSI groupe peut être son client sur des plans transverses tels que la Digital Workplace, le plan sécurité. Pour chaque branche, il y a une totale transparence des coûts. Le budget IT de chaque branche est constitué d'une part de la facturation opérée par TGS, d'autre part du budget propre à la DSI de branche. Chaque budget IT d'une branche est ensuite refacturé aux métiers de cette branche, en général via un système d'unités d'oeuvres.
Je suis en relation régulièrement avec les DSI des autres compagnies pétrolières dans le monde au travers du Oil & Gaz Benchmark Group pour comparer nos performances entre pairs d'un même secteur.
CIO : Que signifie la révolution digitale dans un groupe industriel comme Total ?
Frédéric Gimenez : Nous sommes tout à fait concernés, dans nos activités commerciales mais aussi pour notre activité strictement industrielle. Ainsi, l'Usine 4.0 implique différents chantiers dont l'opérateur augmenté. Doté d'un smartphone, il peut traiter des tâches d'inspection ou de maintenance. Nous sommes en train de créer la plate-forme technique et le store applicatif nécessaires à ce chantier. Nous avons aussi à traiter des difficultés telles que les réseaux sans fil dans les raffineries ou les plates-formes en mer (à fort environnement métallique et soumis aux normes d'équipements ATEX - ATmosphère EXplosive).
La digitalisation des établissements industriels, c'est aussi la maintenance industrielle prédictive. En quatre ans, nous avons réussi à n'avoir aucun arrêt imprévu contre une quarantaine de pannes avec de tels arrêts sur la période précédente.
Nous travaillons également sur les smart rooms qui permettent de déporter sur des salles de contrôles de plates-formes sur la terre ferme. L'idée est d'éviter d'envoyer des experts par hélicoptères sur de multiples plates-formes en mer. De tels déplacements ont un coût important et rajoutent un délai supplémentaire dans le temps d'intervention. Ces experts devraient pouvoir mener à distance des télédiagnostics voire des télé-interventions sur de multiples sites et plates-formes à partir d'une smart room qui rassemblent plusieurs disciplines en un même lieu ayant accès à toutes les données nécessaires. Le gain financier potentiel direct a été estimé à 85 millions d'euros.
Bien entendu, la branche Marketing-Services était partie avant les autres en matière de digitalisation et a donc une plus grande maturité sur ce sujet. Elle a créé des sites web pour la vente du fioul (fioulmarket.fr), des apps pour fidéliser les clients du lavage des véhicules en stations-services... Elle travaille aussi sur le paiement mobile pour l'un de nos grands défis qu'est la fluidification du passage en stations. Le groupe mène beaucoup d'expérimentations autour de cette thématique.
CIO : Et concernant les objets connectés et l'IoT ?
Frédéric Gimenez : Sur ce thème, c'est plutôt l'industrie qui est partie en premier sur le sujet. Nous travaillons sur des sites pilotes en raffineries ou sur des plates-formes en mer. L'un des problèmes est la connectivité dans des environnements complexes. La plate-forme technique est actuellement en construction.
L'une des difficultés est de disposer d'objets connectés à la norme ATEX, ce qui est pour nous absolument obligatoire afin de les installer dans un environnement comprenant des vapeurs d'hydrocarbures. Cela signifie que l'objet (comme un capteur) doit être étanche à ces vapeurs. Il y en a très peu et nous recherchons les matériels les plus pertinents.
Côté branche Marketing-Services, les réflexions sont plutôt sur la voiture connectée (notamment pour le paiement). Mais nous réfléchissons aussi sur des capteurs positionnés dans les bains d'huile pour mesurer en temps réel la dégradation de ceux-ci et agir en conséquence sur le renouvellement des lubrifiants. Cela pourrait concerner notamment les moteurs de navires mais aussi certaines machineries industrielles.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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