Stratégie

L'impossible valorisation de la réduction de la dette technique

L'impossible valorisation de la réduction de la dette technique
L'agence de régulation de l'aviation civile américaine (FAA) continue d'utiliser des disquettes système pour la couche transport. Un niveau édifiant de dette technique, avec d'imposants risques à la clé. (Photo : K.Beron/PIxabay)

Absence de métriques, de budget et de ROI visible : la réduction de la dette technique est un casse-tête pour la DSI. Impossible pour elle, malgré les risques associés, de convaincre sa direction de l'importance du sujet. Les disquettes système et les bandes perforées qui perdurent au sein de l'agence américaine de régulation de l'aviation civile en sont un exemple édifiant.

PublicitéLa dette technique ou chronologique est le coût total des mises à jour nécessaires de tous les actifs informatiques accumulés au fil de l'histoire d'une entreprise et qui ne sont plus conformes aux normes actuelles d'ingénierie. Et il est indispensable pour les DSI de la gérer pour éviter de nombreux problèmes. Besoin d'une leçon de choses sidérante en la matière ? Comme cela a récemment été rendu public, pour les couches système de transport de son SI, la Federal aviation administration (FAA), l'agence de régulation de l'aviation civile américaine, se repose encore sur des disquettes 3,5 pouces et des bandes perforées ! Nul besoin d'être ingénieur informatique pour savoir qu'une stratégie d'intégration système aussi manifestement obsolète est gage de désastre. Si l'exemple est extrême, de nombreux DSI devraient cependant admettre que leur stack système comporte certainement des composants anciens sources de risques tout aussi importants.

Une hydre informatique à nombreuses têtes

La DSI doit d'abord réaliser qu'elle doit se préoccuper de cette dette technique à tous les niveaux d'architecture du système d'information :
- L'architecture d'entreprise : les processus et les pratiques qui décrivent la façon dont les différentes entités de l'entreprise effectuent leur travail ;
- Les applications : les programmes utilisés par ces processus et ces pratiques ;
- Les référentiels : les ensembles de données et d'informations, structurées ou non structurées ;
- L'intégration : les applications qui synchronisent des référentiels qui se chevauchent ;
- Les plateformes : les technologies sur lesquelles les applications fonctionnent, y compris les systèmes d'exploitation, les bases de données, les systèmes de gestion de documents et de contenu, les environnements de développement et les technologies d'intégration ;
- L'infrastructure : les réseaux, les serveurs physiques et virtuels et les équipements destinés aux utilisateurs (PC, portables, smartphones, etc.) ;
- Les installations : les datacenters, les environnements d'hébergement dans le cloud.
- La documentation : les services informatiques doivent garder une trace de tous ces éléments au cas où quelque chose tomberait en panne et devrait être réparé, ou qu'une mise à jour serait nécessaire ;

De plus, le temps et les dépenses nécessaires pour gérer la dette technique se limitent rarement à une seule couche. Même un coup d'oeil superficiel révèle que le coût du remboursement de la dette d'une couche du SI a des impacts sur les autres, ce qui peut entraîner des complications coûteuses.

Les disquettes système et les bandes perforées de la FAA

Pour revenir à la FAA et à sa couche d'intégration système basée sur des disquettes et des bandes perforées, fonder un système aussi essentiel que le contrôle du trafic aérien sur une technologie aussi manifestement obsolète relève de la catastrophe. Pourtant, personne n'a perdu son emploi pour cela à l'agence. Et il n'y avait aucune raison pour que cela arrive. En effet, la cause première des difficultés de la FAA, cette absence de gestion de la dette IT, tient au fait qu'il s'agit d'une discipline qui fait rarement l'objet d'un suivi avec des indicateurs fiables et est presque aussi rarement budgétisée. C'est la source réelle du problème.

PublicitéCommençons par les métriques : bien que l'estimation des coûts des projets informatiques soit loin d'être toujours fiable, elle est suffisamment informative pour être utile également dans le cas de la remédiation de la dette technique - dans le cas de la FAA, il faudrait commencer par mesurer le niveau de dépenses nécessaires pour mettre à jour ou remplacer les systèmes d'intégration et les plates-formes sur lequel ceux-ci reposent. Et c'est tout à fait suffisant. Il n'est pas forcément besoin de plus de précision. Autrement dit, ceux qui ont dirigé la FAA pendant toutes ces années auraient pu estimer le coût du remplacement des programmes et des mise à jour des référentiels, et remplacer les disquettes et les bandes perforées sur lesquelles ils s'appuient.

L'impossible conversation entre le DSI et le conseil d'administration

Mais les décisions business ne se fondent pas seulement sur des coûts estimés. Elles exigent de connaître aussi les bénéfices financiers qui justifient ces dépenses. Et le problème majeur de la dette technique, c'est qu'il n'existe pas de moyens clairs et évidents de quantifier les bénéfices que l'on peut tirer de sa réduction. Autrement dit, difficile de calculer le ROI de cette dernière. La dette technique se résume souvent à un ensemble de composantes qui continuent de fonctionner suffisamment bien pour tout le monde, jusqu'à ce qu'elles ne fonctionnent plus.

Quiconque a dû demander des fonds pour la modernisation du SI peut facilement imaginer le dialogue qui a eu lieu dans les réunions de conseil d'administration de la FAA, il y a bien longtemps, lorsque le DSI, chapeau en main, a demandé des fonds pour remplacer disquettes et bandes perforées. « Voici ce que cela coûtera », a-t-il probablement exposé. « Quels sont les avantages ? », lui a demandé le conseil d'administration. « Aucun que nous puissions quantifier et monétiser ». À ce moment-là, le DAF a probablement été pris d'un fou rire : « vous vous moquez de moi ! Des coûts sans aucun bénéfice ? Je ne le crois pas ! » Puis un autre membre du conseil d'administration a probablement ajouté : « La refonte du système que nous payons déjà ne va-t-elle pas régler le problème ? » Et le DSI a sans doute acquiescé avec résignation : « Mais elle ne devrait pas être achevée avant des années, et chaque jour d'attente est un risque supplémentaire que nous ne devrions pas prendre. »

Jusqu'ici, tout va bien

Ce qui nous conduit aux quatre dimensions essentielles de l'amélioration de la stratégie d'entreprise, et au rôle joué par la réduction de la dette technique pour les atteindre. Une argumentation importante au service de la DSI. Réduits à son essence, la définition des objectifs stratégiques de l'entreprise comporte quatre pistes d'amélioration : l'augmentation des recettes, la réduction des coûts, une meilleure gestion des risques et la réalisation de la mission de l'organisation. La dette technique est, pour l'essentiel, un risque. Pour y faire face, les directions des risques ont quatre options : réduire la probabilité de survenue d'un incident ; réduire les dommages causés par l'incident ; anticiper et réduire les dommages financiers ; accepter le risque au motif qu'en pratique, certains risques ne peuvent être ni évités, ni atténués, ni assurés.

Et dans ce cadre, l'enjeu principal, c'est qu'une prévention réussie ne peut être distinguée de l'absence de risque. C'est perdant-perdant pour le gestionnaire des risques, et dans le cas de la dette technique, pour le DSI. Si un incident ne se produit pas et que l'organisation a dépensé beaucoup d'argent pour le prévenir, l'atténuer ou l'assurer, le gestionnaire de risques est souvent considéré comme quelqu'un qui a crié au loup sans raison. Si le même incident se produit et que l'organisation n'a pas dépensé d'argent pour le prévenir, l'atténuer ou l'assurer, il est vu comme incompétent et doit assumer tous les dommages causés. La dette technique relève clairement de la gestion des risques, et plus précisément de leur prévention, et aboutit exactement à ce type de cette situation. À la FAA, chaque année qui s'est écoulée sans incident a été une année de plus au cours de laquelle les indicateurs de dette technique ont joué contre le DSI, et non en sa faveur, en réduisant sa capacité à argumenter pour une modernisation. Mais, jusqu'ici, tout va bien...

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