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L'Europe à la traîne pour les brevets autour de l'IA

L'Europe à la traîne pour les brevets autour de l'IA
Selon le rapport du think tank Skema Publika, la France se distingue par sa recherche publique en matière d’IA.

Un rapport publié par le think tank Skema Publika analyse la répartition des brevets autour de l'intelligence artificielle (IA) depuis 30 ans. Il pointe les enjeux politiques associés au développement de ces technologies et propose des recommandations pour améliorer la compétitivité de la France et de l'Europe dans ce domaine.

PublicitéDans une note intitulée « L'intelligence artificielle : un sujet politique », le think tank Skema Publika, adossé à Skema Business School, reprend les constats d'un rapport réalisé par plusieurs professeurs-chercheurs en management de l'innovation et sciences des données au sein de Skema. Ludovic Dibiaggio, Lionel Nesta et le data scientist Mohamed Keita ont analysé 30 ans de brevets déposés autour de l'intelligence artificielle, soit plus de 860 000 brevets au total. Sans surprise, ce rapport montre que sur la période allant de 1990 à 2017, les pays leaders en termes de production de brevets sont les États-Unis (30 %), la Chine (26 %), le Japon (12 %), la Corée du Sud (6 %), l'Allemagne (5 %), le Royaume-Uni (2,5 %), la France (2,4 %) et le Canada (1,9 %). Les États-Unis et les puissances asiatiques représentent donc près des trois quarts du marché de l'innovation IA.


Source : L'intelligence artificielle : un sujet politique, note de Skema Publika.

Cette hégémonie se confirme à travers la liste des vingt premiers acteurs mondiaux en termes de brevets déposés sur l'IA. IBM occupe la première place, suivi par Intel et Samsung. Dans ce classement, les entreprises asiatiques font de l'ombre aux GAFAM, comme le notent les auteurs du rapport. « En effet, si Microsoft et Google sont présents dans ce top 20, il faut aller jusqu'à la 27e place pour retrouver Apple, tandis que Amazon et Facebook se trouvent respectivement à la 42e et 49e place. » Seules deux entreprises européennes figurent au top 20, Siemens (Allemagne) et Philips (Pays-Bas). Le premier acteur français à l'échelle mondiale est Thales, en 37e place. À l'échelle européenne, seules deux entreprises françaises sont dans le top 20, Thales étant 4e du classement et ST Microelectronics 20e. En France, si aucune entreprise privée n'apparaît dans le top 20 mondial, les acteurs publics sont toutefois bien positionnés à l'échelle européenne, avec six acteurs dans le top 10, dont le CNRS en seconde place, le Commissariat à l'énergie atomique en 4e et l'Institut Pasteur en 5e place.

L'étude a aussi analysé la répartition des brevets émanant du secteur privé par rapport à ceux venant du secteur public. Si à l'échelle mondiale le privé domine, avec 4,6 brevets venant d'entreprises privées pour un brevet venant du public, les auteurs pointent des différences très marquées selon les pays. Ainsi, en Chine pour un brevet émanant d'une institution publique correspond 1,9 brevet privé. En France, cette proportion est de 2,8, tandis qu'aux États-Unis, où les acteurs privés mènent la danse, elle est de 8,8. Enfin, dans les autres pays asiatiques, où les acteurs privés ont un poids très important, la recherche publique « initialement atone », commence à émerger. En Corée du Sud, le taux est ainsi de 3,0. Au Japon, le rapport reste toutefois de 20,4 brevets privés pour un brevet public.

PublicitéLa biométrie en tête des applications

Dans leur rapport, les trois auteurs ont également examiné la répartition des brevets en fonction de différentes typologies, dont le domaine scientifique. Le plus représenté est l'informatique, avec près de 20% des brevets étudiés. La médecine clinique et la biologie occupent respectivement les deuxième et troisième places, avec 15,5% et 12,3% des brevets. L'ingénierie électrique et électronique vient en quatrième place (10,1% des brevets), suivie par la recherche médicale (6,2%). En termes de techniques d'IA, le machine learning et ses déclinaisons sont de loin les plus fréquentes. L'apprentissage automatique en général arrive en tête, mentionné dans 19,3% des brevets. L'apprentissage non supervisé représente quant à lui près de 14% de l'ensemble et l'apprentissage renforcé est cité dans 11,4% des cas. Le deep learning est en revanche bien plus rare, avec 3,2% des brevets. Les autres techniques populaires sont les réseaux de neurones, présents dans environ 16% des brevets, et les approches bio-inspirées, utilisées dans 11,8% des cas. Les techniques plus classiques comme les systèmes experts (3%) et l'apprentissage de règles (2,6%) ferment le ban.

Sur le plan fonctionnel, le premier usage de l'IA est la biométrie, objet de près de 25% des brevets. Dans environ 16% des cas, l'IA sert à la compréhension de scènes et dans 7,3% à la vision par ordinateur. D'autres formes de reconnaissances sont mentionnées dans des proportions proches : reconnaissance du locuteur (6,8%), de caractères (6,2%) et reconnaissance vocale (6,15%). La planification apparaît quant à elle dans environ 6,3% des brevets. Enfin, concernant les domaines d'application, le trio de tête est formé par les sciences médicales (17,5%), le transport (15,9%) et la sécurité (14,9%).

Miser sur les forces des modèles existants

En conclusion de ce travail, les auteurs proposent des recommandations à l'intention des décideurs français et européens. Ils pointent néanmoins une « dépendance au sentier » dans ce domaine de l'IA, où les coûts d'investissements sont colossaux. Selon les chercheurs, les choix stratégiques futurs de ces décideurs sont contraints par des choix passés qui les engagent sur le long terme. « Ils doivent donc posséder une connaissance fine des avantages comparatifs de leurs pays et des pays concurrents dans les domaines relevant de l'IA pour cibler des investissements spécifiques leur permettant de fournir l'effort quantitatif nécessaire à l'accroissement de leur part de marché dans les secteurs jugés clés. »

Parmi les pistes proposées, les auteurs préconisent de s'appuyer sur la vigueur de la recherche publique française pour créer les conditions d'un transfert technologique efficace entre acteurs publics et privés français. Ils conseillent également de construire les politiques nationales d'IA autour des spécificités des systèmes nationaux d'innovation de chaque pays, insistant sur le fait que chaque région du monde a des modèles d'interaction entre public et privé qui lui sont propres, et dont il faut tirer parti. Dans la même optique, ils suggèrent d'imaginer et construire un modèle européen de l'innovation IA adapté à la diversité de ses États, pour améliorer le positionnement mondial de l'Europe. Enfin, ils rappellent l'importance d'anticiper les impacts de l'IA sur les activités d'innovation et sur le marché du travail. « Les entreprises doivent ainsi ajuster leur modèle économique, réaliser les investissements complémentaires nécessaires, et adapter leurs compétences techniques et leur capital humain. De leur côté, les pouvoirs publics doivent ajuster les réglementations en vigueur, et assurer une offre de formation qui accompagne l'essor de l'IA, en investissant dans les infrastructures scientifiques et technologiques. »

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