Tribunes

Edito - La dérive des bons sentiments

Edito - La dérive des bons sentiments
Bertrand Lemaire est rédacteur en chef de CIO

Les heurts impliquant les Suprématistes et des militants anti-racistes à Charlottesville ont amené d'étranges initiatives d'acteurs IT.

PublicitéAux Etats-Unis, le Premier Amendement de la Constitution garantit le droit aux Suprématistes d'exprimer leur idéologie. Le racisme est légal dans ce pays. Or, suite aux événements dans la petite ville de Virginie baptisée Charlottesville, comme le rapporte notre confrère Le Monde, de nombreux acteurs de l'IT grand public se mettent à la chasse aux Suprématistes, bloquant des comptes ou même des sites web. Bien sûr, la première réaction est de se réjouir de l'engagement d'une lutte contre le racisme et l'extrême-droite qui s'est aussi largement exprimée dans le rejet de l'ambiguïté de Donald Trump par toute une série de patrons d'entreprises. Mais une deuxième réaction doit avoir lieu car les bons sentiments entrent dans une certaine dérive qui doit inquiéter tout démocrate.
Il faut tout d'abord rappeler que les personnes et organisations visées n'ont enfreint aucune loi de leur pays. Le fait que, en France, ces mêmes personnes et organisations seraient emprisonnées ou dissoutes ne doit pas être pris en compte : ce n'est pas le sujet car la loi française ne leur est pas applicable. Ce sont donc des acteurs privés -Google, GoDaddy, etc.- qui ont des engagements contractuels avec des clients et qui décident unilatéralement, de leur propre initiative, et brutalement, que ces clients ne sont pas gentils et qu'il faut refuser désormais de respecter les engagements contractuels pris. Vous commencez, je pense, à voir où est le problème.

Un précédent fâcheux au nom des bons sentiments

Car ces clients -quoiqu'on pense d'eux- subissent évidemment un lourd préjudice. Ils se retrouvent privés des prestations auxquelles ils ont droit en vertu des contrats qu'ils ont conclu. Et leurs prestataires ne leur ont donné aucune alternative. Dans certains cas, les prestataires concernés peuvent en effet s'appuyer sur leurs conditions générales de vente. C'est ainsi que Facebook peut supprimer des comptes appelant à de la violence. Tous les comptes appelant à la violence, pas seulement ceux des Suprématistes. Et si ceux-ci n'appellent pas explicitement à la violence, il est délicat pour Facebook de couper leurs comptes.
Maintenant, imaginons qu'un avatar du sénateur Joseph McCarthy revienne sur le devant de la scène politique aux Etats-Unis. Peut-être que les mêmes acteurs IT se sentiraient obligés, pour complaire à leurs clients électeurs, de couper tous les sites et services des organisations de gauche... Ah, zut, ce seraient des « gentils » qui seraient impactés. Du moins selon notre vision des choses.

Une logique qui pourrait mener à bien des dérives

PublicitéEt puis, imaginons -un cas très improbable- une entreprise française qui, pour préserver une usine ou une mine dans un pays en guerre, aurait accepté un compromis avec des « méchants » locaux, par exemple DAESH. Voire aurait objectivement financé le dit « méchant » dans le cadre de ce compromis. Est-ce que des grands acteurs IT pourraient décider de « punir » la dite entreprise en la déréférençant, en coupant ses sites web, etc. ? Il n'y a pas si longtemps, lors de la Deuxième Guerre du Golfe, la position française a profondément énervé les Américains. Beaucoup avaient décidé de boycotter les produits français. Aujourd'hui, si une telle situation se reproduisait, les sites web des entreprises françaises seraient-ils menacés dans leur existence même ?
Jusqu'à présent, en France, il y avait un seul principe : soit une organisation ou l'expression d'un individu sont légales et les prestataires réalisent leurs prestations sans poser de question ; soit c'est illégal et le prestataire doit tout couper, de lui-même si l'infraction parfaitement définie légalement est manifeste, c'est à dire évidente, sur ordre judiciaire sinon.
Le précédent américain pourrait ainsi entraîner, peut-être, aussi des dérives en France. Ou avoir des conséquences pour des entreprises françaises.

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