Tribunes

De la satisfaction des services délivrés : le Marketing source d'inspiration des DSI

De la satisfaction des services délivrés : le Marketing source d'inspiration des DSI
Georges Epinette (à gauche) et Patrick Gourdon plaident pour que les DSI s'inspirent de leurs collègues du marketing.

"Vaste Programme" comme disait le Général ! Ce sujet est tellement éculé qu'il fait partie des marronniers de toute revue se rapportant à l'activité des DSI. Et pourtant, peut-on s'inspirer des outils et méthodes de nos collègues du Marketing ? Réponse de Georges Epinette avec la contribution de Patrick Gourdon.

Publicité1. Énoncé et préalables

"L'expérience Client" : cette expression, désormais dans le vocabulaire de tout directeur marketing qui se veut "dans le coup", repose sur "l'immatériel" de l'émotionnel: c'est-à-dire sur une appréciation d'intangibles, dans une dimension souvent comparative, tant par rapport à l'offre concurrentielle que par les désirs des clients qu'il faut parfois anticiper.

Si l'expérience client veut fidéliser, qu'on ne s'y trompe pas : le client est volage dans le sens où existe un arbitrage permanent entre le niveau de satisfaction du service et l'attrait exercé par les offres concurrentes sensées faciliter la vie : proximité, accessibilité, etc. Avant toute chose, il faut comprendre que le client est partisan du moindre effort. Il recherche la simplicité : sans "prise de tête" dans un rapport d'optimisation du plaisir vs. la satisfaction (évidemment au moindre prix...)

Du coup, de la fourniture de produits à la fourniture de services, nous arrivons aujourd'hui à la fournitures d'expérienceS. Nous mettons un S majuscule à expérience car tout l'art consiste à offrir des expériences segmentées en fonction des profils, attentes et désirs des différents clients à travers un portefeuille d'offres dynamiques et synergiques. C'est ici que l'on passe de la GRC (Gestion de la Relation Clients) au MEC (Management de l'Expérience Client) tout comme on passe de la Proposition de Valeur (les offres sensées satisfaire le client) à l'Architecture de Valeur (comment s'organiser pour délivrer cette proposition).

Ainsi, plus fondamentalement, l'expérience voulue renvoie à la vision de l'entreprise mais aussi à ses engagements et croyances en posant un double questionnement à travers l'identité et l'éthique de celle-ci.
Cette démarche est souvent portée par la gouvernance institutionnelle qui se retrouve parfois en bisbille avec les réalités opérationnelles. Qu'on le veuille ou non, tout le monde se retrouve sur le terrain de la "part de clients " (quota du budget de dépenses incompressibles de ces derniers) ainsi que la "part de marché". Dans cette perspective, la personnalisation demeure le seul dénominateur commun entre marketing stratégique et opérationnel. Les innovations technologiques, l'arrivée de l'Informatique cognitive (ex: Watson chez IBM), les puissances exponentielles de traitement analytique de données clients tangentent vers ce but ultime: satisfaire mon client - hier volage procureur et agnostique - en partenaire fidèle, défenseur et prosélyte.

MAIS on en revient toujours au point de départ : il est fondamental. Au-delà du business immédiat, c'est à l'entreprise d'arbitrer sur les expériences qu'elle souhaite offrir à ses clients. Si cela semble une évidence à première vue c'est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît tant cette approche requiert de renoncer à la facilité de l'immédiateté !

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2. Quelles analogies avec la problématique du Marketing de la DSI ?

Ramenée à la DSI, la démarche décrite précédemment présente de nombreuses analogies avec ces approches marketing qui trouvent leur aboutissement dans l'adéquation entre l'offre et les attentes des Directions utilisatrices. Mais....

Premier élément : le vocabulaire. Abandonnons le volapük informatique pour emprunter le langage de nos interlocuteurs. Ainsi, les termes comme SLA sont à bannir au profit - par exemple - de portefeuille d'offres de service.
Deuxième élément : l'alignement à la mode Venkatraman doit s'inscrire dans une perspective multidimensionnelle et a été brillamment schématisé dans la thèse d'Elisabeth Lefranc*.

Ainsi, le problème que nous nous posons semble avoir fait l'objet de nombreuses études académiques: études plus ou moins déjà appliquées dans nos entreprises par les personnes en charge de la satisfaction client. Je pense par exemple au STA (Service Transaction Analysis), Expérience Audit, Walk-Through Audit, pour ne citer que les principales...
Mais si on déplace le questionnement sur l'Effectivité**, d'autres méthodes - fondées sur une approche davantage psychologique - ont aussi été imaginées dans les années.... 70 ! Ces années furent formidables à plus d'un titre : tout semble y avoir été conceptualisé pour résoudre les problèmes auxquels le XXIème nous confronte. Tout, excepté que ces méthodes sensées quantifier l'émotion (plaisir, excitation, domination, etc... ) ne paraissent pas avoir recueilli un parfait consensus. C'est sans doute pourquoi, les dernières années ont essayé de rebattre les cartes à travers des approches visant davantage sur les "nécessités" (au sens ellulien du terme) que sur "l'enchantement" dont se targuent les fonctions marketing. Nous pensons au: CES (non pas celui de Las Vegas mais le "Customer Effort Score") qui analyse justement l'effort réalisé par le client pour accéder au service proposé; à l' "Expérience Engagement Process" qui score l'effort mais qui présente l'inconvénient de pas intégrer la notion de quota dans la chaîne de répartition des efforts-récompenses.

Si on reprend le schéma précédent, les premières questions à se poser sont les suivantes :

1. - Que veut le client et que peut-on lui proposer ? La Méthode ESOVE (Ibid.), répond en partie à cette interrogation en embarquant tous les facteurs de contingence à travers la notion de Capacité à payer et Capacité à recevoir. Mais de la confrontation entre la demande et l'offre, doivent naître plusieurs options formalisées dans un portefeuille d'expériences: portefeuille qui trouve sa limite au plan budgétaire et dans les valeurs portées par l'entreprise. C'est ce qui distingue -encore et malheureusement-, le budget de prestations d'une DSI de celui affecté à une Direction Marketing. Le premier aura beaucoup de mal à faire jouer la création de valeur générée par l'Immatériel et se verra donc contingenté dans un rapport coût-bénéfice immédiat. Alors que le second pourra surfer sur l'effet Buzz à travers l'image véhiculée de l'entreprise à ses consommateurs. De cette friction peut découler une forme d'évasion de la Direction Métier vers des offres extérieures plus pertinentes. En fonction des préceptes de Gouvernance précédemment exposés, au DSI de les accompagner en ajoutant ces offres à son catalogue ou de les ignorer quitte à être désintermedié.

2. - Entre les engagements proposés et la prestation réellement réalisée : existe-t-il des écarts? Pour le savoir, il faut auditer régulièrement la manière dont sont appliqués les processus prévus. La déviance est une conséquence naturelle des comportements humains eux-mêmes encouragés par la facilité et la routine. Ce qui réclame une vigilance de tous les instants ! Pour y parvenir, des modèles et méthodes existent. On peut s'en inspirer avec bonheur: par exemple le modèle de Jackson et son état intentionnel du futur.

3. - L'innovation au service du client. Là-encore, le DSI doit absolument jouer son rôle d'éclaireur en accompagnant les transformations digitales et/ou analytiques au service de ses clients métiers. Notamment en maniant la preuve par l'exemple: montrer la maîtrise de l'informatique cognitive en apportant une meilleure réactivité aux demandes de résolutions des problèmes opérationnels (helpdesk DSI internes), améliorer les chaînes de production IT par l'analytique, etc.

4. - Du côté client: la mesure entre l'offre attendue et l'offre vécue reste LE sujet principal. C'est le point faible de toute appréciation de qualité de service. Car si le client est volage, il est aussi inconstant, parfois irrationnel. Au cours de l'expérience vécue, un critère peu important pourra - dans un faisceau de conjonctions - prendre soudainement une importance majeure.... rendant ainsi difficile la qualification ex-post de l'offre. C'est ce que nous nommons l'aléa effectif. Et la tentation est grande d'agir comme nos politiques en périodes électives où l'électeur est manipulé de telle façon que son suffrage ne repose pas sur le jugement du bilan mais sur les promesses de l'impétrant: promesses transcendées par les médias engagés ! Ainsi, la fameuse effectivité permet de modifier, voire de manipuler, dans la dernière ligne droite les services liés aux abonnements. Nous pensons notamment au fameux "churn". Qu'est ce qui va faire basculer le client pour qu'il se réabonne ? Quelques gages et beaucoup de promesses avec un "petit cadeau" en fin de période? Mais attention, les "petits cadeaux", certes bien agréables, ne doivent pas supplanter la relation durable.

Sur ce point, l'échelle "temps" n'est pas du tout le même pour le Marketing et la DSI. Car jouer la facilité du court terme au détriment du moyen-long terme ne correspond pas à notre façon de voir les choses. Le DSI - compte-tenu de contraintes qui lui sont imposées - ne doit pas ambitionner de se faire absolument aimer de tous. Il doit délivrer un éventail de prestations "en conscience": aligné sur les valeurs institutionnelles de l'entreprise, formalisé par des principes de gouvernance clairs du type : "Juste ce qu'il faut, au moindre coût, pour chaque métier de l'entreprise"(C'est un exemple). Si le DSI est vraiment porté par ces valeurs et supporté par sa DG, s'il dispose du charisme suffisant, il pourra "raisonnablement" adapter le spectre du Management de l'Expérience Client au profit de services "pertinents" qui sauront faire le lien avec ce qui apparaît aujourd'hui déjà très difficile : satisfaire le plus grand nombre !

* Elisabeth Lefranc. Le management de l'expérience client : au-delà des enquêtes satisfaction, la mesure de l'expérience vécue. Business administration. Conservatoire national des arts et metiers - CNAM, 2013. French. .
** Georges Epinette - Effectivité de l'usage dans le Monde Numérique - Editions CIGREF-NUVIS 2011


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